Colissimo fiscal...

par JDCh
mardi 29 mai 2007

François Fillon et Eric Woerth ont confirmé cette semaine la mise en oeuvre rapide de sept mesures fiscales promises par le candidat Sarkozy lors de la campagne.

Sur le fait que nos nouveaux gouvernants veuillent à la fois respecter les promesses faites et aller vite, on ne peut que les en féliciter et les y encourager.

Sur le fait que les sept mesures proposées créent un "choc fiscal", le doute est permis. Je parlerais plutôt de "pichenette fiscale" !

Passons ces fameuses mesures en revue pour essayer de mesure l’ampleur du choc...

Déduction du revenu imposable de 20% des intérêts dans le cadre de l’acquisition d’une résidence principale :

Une déduction à 100% pendant les cinq premières années de paiement des échéances de prêt existait à la fin du siècle dernier. Elle avait été supprimée par le gouvernement Juppé (eh oui !) vraisemblablement parce qu’elle constituait un manque à gagner trop grand pour notre État déjà en mal de recettes et sans doute parce qu’elle ne facilitait pas tant que cela l’accession à la propriété et créait une forme d’inégalité entre celui qui pouvait devenir propriétaire, qui payait l’impôt sur le revenu et bénéficiait d’une réduction significative et celui qui ne pouvait pas et qui, dans bien des cas, ne payait pas cet impôt.

La mesure envisagée ici ne concernerait que 20% des intérêts et uniquement les acquisitions réalisées après le 6 mai 2007 (appelé Sarko day !). Son impact est minimal :

Si l’on considère un emprunt de 200.000 euros, les premières années voient un paiement d’intérêts de 8.000 euros environ et la déduction envisagée correspond à 1.600 euros de revenu imposable en moins ce qui entraîne une réduction d’impôt sur le revenu de 640 euros (si l’on considère un taux marginal (élevé) de 40%). Bascule-t-on financièrement dans la capacité de devenir propriétaire d’un bien d’une valeur supérieur à 200.000 euros parce que l’on peut économiser quelques centaines euros par an (soit quelques dizaines d’euros par mois) alors que la différence entre un loyer et les échéances de remboursement est mensuellement de 1.000 euros ou plus ? La réponse est clairement non. Cela n’est absolument pas décisif et le phénomène ne peut ici qu’être psychologique... Tout juste peut-on imaginer de payer sa résidence principale quelques milliers d’euros plus cher (50 euros de remboursement mensuel de prêt correspond grosso-modo à 5.000 euros empruntés) !

Le message est sans doute bon vu le manque de logements locatifs en France (800.000 environ) mais on est de façon évidente dans la mesurette. La bonne nouvelle est que cela ne va pas coûter cher : tout au plus quelques centaines de millions d’euros contre les 2,5 milliards envisagés si la déduction avait concerné 100% des intérêts et tous les prêts en cours pendant les cinq premières années ! Quelques centaines de millions pour, peut-être, faire basculer quelques dizaines de milliers de foyers, hésitants et "bernés" par une réduction fiscale plus que modeste, du statut de locataire à celui de propriétaire, cela est très cher payé !

L’impact sur l’emploi et la croissance ne saura qu’être marginalement faible...

Félicitations cependant à monsieur Woerth : voilà une mesure qui ne creusera pas le déficit autant que l’on aurait pu le craindre !

Défiscalisation des heures supplémentaires :

Cette deuxième mesure, que l’on peut qualifier de "phare" dans le programme de notre président, est en fait assez peu "fiscale". En effet, une grande partie des salariés effectuant des heures supplémentaires décomptées et rémunérées paient aucun ou très peu d’impôt sur le revenu. Le coût sur les budgets sociaux peut, par contre, s’avérer très important puisque, rappelons-le, si ces heures supplémentaires ne font pas l’objet de charges sociales, comme cela est envisagé, c’est une économie importante qui est proposée aux entreprises.

En effet :

- une heure normale payée net au salarié 8 euros coûte 15 euros en y incluant les charges sociales ;

- une heure supplémentaire payée 25% de plus soit 10 euros nets pour le salarié ne coûterait que 10 euros à l’employeur.

Cette mesure "anti 35 heures sans supprimer les 35 heures" est vertueuse sur le pouvoir d’achat des salariés concernés (ce qui a un impact faible mais réel sur la consommation et la croissance) et aura sans doute un effet positif sur l’emploi car on imagine sans mal qu’elle deviendrait une façon d’augmenter les salaires ou les effectifs sans en avoir tous les surcoûts : il suffira, par exemple, à l’employeur pour verser autant de salaire net à un nouvel embauché sans avoir le même montant de charges d’abaisser son taux horaire d’embauche et de lui demander de déclarer (et d’effectuer ou non) des heures supplémentaires tout en offrant un éventuel petit cadeau fiscal à ce nouveau salarié...

En effet :

- un salarié gagnant 1.400 euros nets coûte, sans heure supplémentaire, 2.625 euros chargés par mois ;

- un salarié gagnant 1.300 euros nets de base auxquels s’ajouteraient 2 heures supplémentaires hebdomadaires (payées 25% de plus et sans charge sociale) gagnerait 1.400 euros nets et ne coûterait "que" 2.537.50 euros.

De même, il serait possible d’augmenter les salaires nets de 3% en échange d’une heure supplémentaire mais pour un coût correspondant à 2% de masse salariale. Si la mesure s’applique, également et de plus, aux contrats de travail à temps partiel, nul doute qu’elle aura un effet important sur le nombre d’heures travaillées et donc sur la croissance (cf. L’emploi crée la croissance)...

A suivre donc sur son volet "charges sociales"... Tout l’art de Mister Woerth en charge également des budgets sociaux sera d’estimer le point d’équilibre entre le manque à gagner pour l’URSSAF et les caisses de retraite et le surplus de cotisations lié aux embauches nettes, conséquences indirectes de la mesure...

On aurait, bien sûr, préféré une méthode plus directe de réduction du coût du travail dans notre cher pays mais celle-là ne devrait pas avoir d’impact négatif et obligera à une forme de partage économique entre salarié et employeur.

On ne parlera sans doute pas de "choc" mais d’un "coup de pouce flexible" plutôt bienvenu.

Défiscalisation des revenus étudiants

Mieux vaut un étudiant qui va obtenir un diplôme lui permettant d’envisager une vie professionnelle attractive qui bosse le soir chez MacDo qu’un jeune chômeur (non ou faiblement diplômé) qui pointe à l’ANPE pour quelques années.

Mieux vaut également éviter les conversations mesquines entre parents et étudiants rattachés au foyer fiscal des parents consistant à déterminer qui, des parents ou de l’étudiant, doit payer les impôts attachés aux revenus de notre post-adolescent qui considère, à juste titre, qu’il n’a aucune raison d’être imposé ni au taux marginal, ni au taux moyen de ses parents...

Mesurette ou mesure ? A priori mesurette mais qui sent néanmoins plutôt bon...

Encouragement du cumul emploi-retraite

Les retraités s’ennuient ou ne gagnent pas assez bien leur vie et beaucoup de "jobs" sont non pourvus dans les services. Il existe ici donc une piste favorisant l’activité globale donc la croissance et celle-ci ne devrait pas coûter mais plutôt rapporter fiscalement puisqu’il ne semble pas que le gouvernement souhaite défiscaliser ces revenus additionnels.

Il y aura peut-être un impact "social" si ces revenus ne sont pas soumis à cotisations retraites (ce qui peut paraître logique ou non suivant le point de vue que l’on prend) mais qui devrait de toute façon avoir un coût (ou plutôt manque à gagner) modeste.

Toujours pas de choc mais encore une "bonne" mesurette même s’il semble que celle-ci soit déjà en oeuvre depuis avril dernier (cf. Circulaire AGIRC-ARRCO du 10 avril 2007).

Suppression des droits de succession dans 95% des cas

C’est la mesure qui me paraît la plus inutile de toutes. Le "95% des cas" est là pour rassurer les Français sur le fait que l’on taxera bien les successions des milliardaires mais ce n’est pas cela qui me fait réagir négativement. Au risque de surprendre, je trouve personnellement normal que les successions soient taxées et que les grosses successions soient taxées lourdement.

De plus, l’âge moyen des héritiers est aujourd’hui supérieur à 50 ans et, en aucun cas, cet héritage tardif n’est de nature à changer la vie patrimoniale et les habitudes de consommation de ces héritiers bientôt retraités !

Sarkozy avait, en son temps, à Bercy, pris quelques mesures favorisant les donations, ce qui est bien plus intelligent puisque 80% du patrimoine individuel des Français est détenu par les "seniors" et que c’est à 20 ou 30 ans que l’on peut vraiment profiter d’un capital permettant, par exemple, d’acheter son premier appartement ou de lancer sa première entreprise.

Tant que les donations sont fiscalement plus attractives que les successions, le transfert de patrimoine d’une génération à l’autre est favorisé. Si ce n’est plus le cas, je ne vois pas le bénéfice économique !

Il paraît que cela va coûter 5 milliards d’euros en année pleine. Mister Woerth, vous avez le droit d’essayer de faire revenir le président sur cette promesse-là !...

Bouclier fiscal à 50% incluant la CSG/CRDS et franchise de 50.000 euros sur l’ISF en cas d’investissement dans une PME

Je me suis déjà exprimé en janvier dernier sur ces deux mesures (cf. Le bouclier de Sarkozix). Je n’ai pas changé d’avis.

On ne fera pas revenir les gens qui se sont exilés à cause d’un impôt emblématiquement castrateur et doublement taxeur en leur disant que cet impôt est maintenu mais que s’ils portent réclamation et que leur fiscalité totale est trop importante, ils seront remboursés du trop perçu !

Je leur préférerais donc une suppression pure et simple de l’ISF et une déduction significative du revenu imposable des investissements effectués dans les PME ou les sociétés de business-angels...

Ces deux mesures, telles qu’elles sont proposées, n’auront certes pas d’effets négatifs sur la croissance et l’emploi et, on peut même imaginer que la veuve d’Arcachon cherchera désespérément une PME dans laquelle investir ses 2000 euros d’ISF mais rien qui ne change véritablement la face de la France derrière ce cataplasme et cette mesurette...

Monsieur Woerth, encore une fois, vous avez le droit de proposer de faire mieux, moins cher et plus simple et on ne vous en voudra pas s’il vous faut quelques mois de plus pour faire de vraies réformes fiscales.

Comme vous avez pu le lire ici je place beaucoup d’espoir dans notre ministre des Comptes publics qui, si vous ne le saviez pas, est également mannequin chez Loréal (sans doute pour des produits capillaires).

"Because I’m Woerth it !"

Il est moins charmant que Claudia Schiffer mais notre avenir collectivo-fiscalo-économique est entre ses mains...

Supportons-le et aidons-le à créer le "choc fiscal" dont notre pays a besoin !

Lire l'article complet, et les commentaires