Comment détruire la laïcité à l’école

par Robert Albarèdes
mercredi 7 mai 2008

« Réagissez vite s’il vous plaît M. l’inspecteur… Moi personnellement je ne peux plus travailler dans ces conditions et je vous informe que j’ai un avenir devant moi, que j’ai un brevet, un bac et un métier à obtenir. »

En haut à gauche de la feuille, Jenny , 15 ans, élève de 3e au collège Jean Moulin d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), a écrit son nom et sa classe, comme s’il s’agissait d’une rédaction. L’écriture est ronde, appliquée, la lettre est adressée à « M. l’inspecteur »  : « Bonjour, commence-t-elle, j’ai l’honneur de m’adresser à vous pour vous faire part des conditions dans lesquelles nous, tous les élèves de ce collège, travaillons. » …

Et de citer, à partir de son vécu et de celui de ses « camarades », pêle-mêle, tous les maux qui font la vie quotidienne de ce collège ordinaire d’une banlieue ordinaire de notre beau pays de France  :

« des élèves s’amusent à jeter des bouteilles remplies d’acide, des poubelles, des tomates sur les autres élèves… Des élèves s’amusent à interrompre les cours des autres classes… Il y a des agressions physiques et verbales en permanence… Certains sèchent les cours, traînent dans les couloirs et se mettent à crier comme des sauvages » (Texte à lire dans Le Monde en ligne du 18 /04 /08).

Les médias, dans leur ensemble, ont évoqué cette démarche entreprise à l’adresse de l’inspection académique des Hauts-de-Seine par une soixantaine d’élèves de 4e et de 3e de cet établissement banal dans le paysage actuel de notre enseignement pour clamer leur désarroi, leur souffrance, leur impossibilité d’étudier… Ce qui a déterminé leur geste ? Un « blocus » imposé par une dizaine de protestataires contre les réformes portées par le ministre actuel… essentiellement des anciens élèves et des exclus de l’établissement.

Les médias ont évoqué superficiellement cette démarche… puis sont passés à autre chose : les manifestations et blocages de lycées des pseudo-syndicats de lycéens leur plaisent davantage et il est de bon ton, dans la mouvance gauchisante et bien pensante, de valoriser la chienlit partout où elle se trouve, surtout s’il s’agit de passer la brosse à reluire dans le dos de ceux qui détruisent le système éducatif laïc et public…

Là est la vraie question

A la suite de l’inénarrable ministre de l’Education nationale Lionel Jospin, des pédagocrates condescendants formatés « Mérieu », des « théoriciens » de salon de la gauche syndicalo-politique, des démagogues de certaines fédérations de parents d’élèves, des discours laxistes des gauchistes de tous poils (et de l’écho complaisant trouvé dans les médias), s’est imposée l’idée qu’il « fallait faire entrer la société dans l’école », que « l’élève devait être au centre » (de quoi, on se le demande), qu’il se devait de choisir « son projet éducatif » et même, comme l’affirma l’éphémère et superficiel ministre Jack Lang (oui, oui, celui qui ouvrit la manne financière publique à l’enseignement privé catholique), « qu’il devait être considéré comme un citoyen »

Le témoignage accablant des collégiens d’Aubervilliers montre parfaitement que la société est bien entrée dans l’école et qu’elle y accomplit des ravages qu’il sera difficile de réparer, d’autant plus que les forces destructrices sont aussi au sein même de l’école.

Qui peut affirmer aujourd’hui sans mentir que les heures de cours dans nos lycées et collèges sont toutes des heures de travail et d’accès au savoir ? Qui peut dire sans trembler que les 55 minutes d’une séquence éducative sont 55 minutes utiles dans toutes les classes et toutes les matières ? Qui peut ignorer le fait que, si, à la sonnerie, tous les élèves entrent en classe (et c’est de moins en moins vrai), ce n’est pas pour autant qu’ils vont y étudier ? On fait de l’accueil, oui, mais cela conduit-il nécessairement au travail, à l’écoute, à l’accès au savoir, à l’implication totale de chacun (élève et enseignant) dans l’enceinte close de la classe ?

Qui peut aujourd’hui nier que l’école est soumise aux demandes communautaristes de toutes sortes, et en particulier musulmanes à travers les dispenses de cours d’EPS et le refus de la mixité, la mise en cause des cours de SVT, d’histoire, de philosophie, de littérature, l’exigence de spécificités alimentaires, la demande d’horaires aménagés ? Le rapport Obin qui les dénonçait n’a-t-il pas été jeté aux oubliettes par la bien-pensance de gauche comme de droite qui sévit dans le ministère de l’Education nationale ?

Qui peut fermer les yeux sur l’explosion intra-muros scolaire de la violence sous toutes ses formes, sur le développement du refus de toute autorité (même morale) et de toute reconnaissance du travail et de la discipline, sur la négation du respect que l’on doit à celui qui enseigne et à ce qui est enseigné, sur la mainmise du consumérisme le plus vil sur tout ce qui touche à l’élève et à la vie scolaire ?

Qui peut récuser ce fait incontestable de la dépréciation du diplôme terminal des études secondaires dont l’attribution relève plus d’un certificat de complaisance que d’une évaluation de niveau réel… D’ailleurs, un élève aujourd’hui en terminale, qui a vécu depuis trois ans les grèves, manifestations, blocages et la réduction du temps de travail et de formation que cela suppose, peut-il avoir le niveau requis ? Le croire, c’est nier le rôle de l’enseignant et la validité des savoirs à transmettre…

Et ce dernier point est essentiel pour bien comprendre comment fonctionne la machine à détruire l’espace scolaire public et laïc, afin d’y substituer un enseignement concurrentiel privé (sous toutes ses formes, y compris celle des officines « de soutien » ou de « mise à niveau ») qui accueillera tous ceux qui fuient l’enseignement public, mais, aussi, au sein de cet enseignement public, afin de constituer un enseignement à deux vitesses séparant les établissements « nobles » (fin de la carte scolaire, autonomie des établissements, critères d’inscription… ) du « tout-venant » où la fonction d’accueil sera la seule vraiment réalisée…

Dans la concrétisation de ce projet, les forces « libérales droitières et gauchères  » trouvent d’excellents alliés dans la FSU, le SGEN, SUD, la FCPE et les soi-disant « syndicats de lycéens » dont les actions intempestives actuelles remplissent les listes d’attente du privé et accentuent le clivage entre les établissements qui continuent à « bosser » et ceux qui s’agitent, dans les zones sensibles et les quartiers populaires le plus souvent… Le pire, c’est que, ce faisant, ces syndicats et associations – instrumentalisés par les forces gauchistes et gauchisantes comme par les médias bien-pensants – détruisent frontalement le principe de laïcité qui fonde notre école et en assure l’unité

Comment, après avoir imposé sa « pensée » politicienne et corporatiste à l’ensemble de ceux qui fréquentent un établissement scolaire pourra-t-on s’opposer à la revendication de ceux qui viendront y introduire les éléments de leur religion, de leur idéologie, de leur pratique politique, quelles qu’elles soient ?

Comment, après avoir détruit la neutralité de ce sanctuaire du savoir qu’est l’Ecole pour y substituer la certitude de ses opinions et prises de position partisanes pourra-t-on empêcher que d’autres y viennent prêcher leurs propres certitudes confessionnelles, idéologiques, comportementales ?

Comment, après avoir distribué des tracts et autres publications dénonçant la politique gouvernementale actuelle pourra-t-on s’opposer à ceux qui viennent y distribuer des tracts et autres contributions encensant les choix libéraux européens ?

Ne nous y trompons pas : c’est parce que ces syndicats et associations ont prôné la « désanctuarisation » de l’école et la dépréciation du savoir, et du travail pour y accéder, qu’ils peuvent aujourd’hui se servir de l’école comme d’un champ d’action pour l’exercice de leurs intérêts particuliers. En ce sens, ils nient le caractère laïc du lieu d’enseignement, mais ils nient aussi ce que doit être un enseignant laïc dans l’espace public de l’école.

En effet, l’Ecole publique est celle où chacun pénètre en se libérant de sa gangue familiale, sociale, philosophique, politique et religieuse pour n’être plus que centré sur l’accès à la connaissance, sur l’exercice de l’intelligence pour « suivre dans le silence les traces de la raison humaine » (Montesquieu), sur la construction libre de son identité En ce sens, l’enseignant laïc est celui qui, pénétré de la matière qu’il enseigne, est à même de faire connaître à l’élève tout ce qui concerne cette matière en tant qu’objet et en tant qu’outil, tout ce qui est admis comme ce qui est en débat, éclairant tous les aspects de la réflexion en cours, présentant toutes les réponses possibles aux questions posées, les discutant à la lumière de la « raison » seule, mais donnant les moyens au jugement et à l’esprit critique de se former, puis de s’exprimer avec rigueur. L’enseignant laïc, c’est aussi, celui qui participe de la neutralité de la classe, qui s’abstient de toute manifestation visible (ou implicite) d’une idéologie, d’une foi, d’une conviction philosophique… C’est, encore, celui qui apprend à apprendre, qui fait comprendre l’intelligible, qui transmet le plaisir de « savoir », qui propose les moyens d’un libre épanouissement de l’esprit… C’est, enfin, celui qui ne fait pas entrer dans la classe ses inquiétudes sociales, politiques, personnelles, de quelque nature qu’elles soient, et qui adopte l’attitude de reconnaissance et de respect de l’autre qu’impose la transmission du savoir et l’exercice de la raison.

Dans une démocratie, on a parfaitement le droit de ne pas être pénétré de cette conception laïque et républicaine de l’école, de ce noble rôle de l’enseignant… Et on peut se sentir solidaire du « laisser faire, laisser passer, laisser aller » libéral (économique, politique, éducatif).

Mais il faut alors en accepter les conséquences et s’attendre à ce que triomphe la seule loi écrite sur le livre de pierre que serre contre elle la statue new-yorkaise de la Liberté : la loi de la jungle…

Fait le 03/05/08

Robert Albarèdes

www.laic.fr


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