Comment les internautes ridiculisent Hadopi…

par Patrice Lemitre
vendredi 17 août 2012

Coûteuse, inefficace techniquement, mal fondée juridiquement, Hadopi est ridiculisée un peu plus chaque jour par les Internautes et les pirates, qui contournent l’institution de 1000 façons différentes. Mais par quoi remplacer Hadopi ?

L’industrie de la musique et de la vidéo vit actuellement une crise sans précédent, dont la cause première est un piratage de masse que rien ne semble pouvoir endiguer. En réalité, la crise trouve sa source dans la dématérialisation de l’œuvre. Avec la généralisation de l’informatique familiale et d’Internet en haut débit, on peut se passer du support - plus besoin de CD ou de Dvd, plus besoin de pochettes coûteuses – et aussi de la distribution. Quoi de plus simple que de mettre en ligne un morceau de musique ? C’est d’ailleurs ce que font des millions d’Internautes, adeptes du peer to peer, en s’échangeant des fichiers de tout type, hors de toute organisation commerciale. Ce phénomène à plusieurs conséquences importantes, que je n’hésite pas à appeler « lois de la dématérialisation » :

 

Première loi : une oeuvre dématérialisée ne se contrôle pas. Elle peut être reproduite à l’infini, sans perte de qualité, et se transformer en un nuage de fumée numérique, se dispersant, incognito, par les milles canaux d’Internet. Croire qu’on va pouvoir contrôler ces flux c’est comme imaginer retenir l’amazone avec une cuillère à soupe.

 

Deuxième loi : l’œuvre dématérialisée n’a plus besoin d’intermédiaires pour être diffusée, ce dont personne ne semble vouloir prendre conscience. Auteurs et artistes peuvent facilement mettre eux-mêmes en ligne leurs productions, sans passer par la très coûteuse case « Universal Music ». C’est d’ailleurs une bonne nouvelle car les majors se sont comportées en parasites, vendant honteusement chers disques et films, sans pour autant rétribuer à leur juste valeur les auteurs et les artistes.

Troisième loi : une œuvre dématérialisée, formatée pour une diffusion de masse, ne peut-être vendue qu’à bas prix. D’où la nécessité de faire disparaître de la chaîne tous les parasites qui se payent lourdement en apportant si peu, afin de ne rétribuer que les sites distributeurs, les producteurs et les artistes. 

 

Comment les internautes contournent Hadopi

 Dans ce contexte, on comprend que la solution trouvée par les pouvoirs publics, la fameuse loi Hadopi, est une absurdité, dont les promoteurs se sont d’ailleurs déjà copieusement ridiculisés. Cette loi, qui a été inspirée aux pouvoirs publics par les majors culturelles, dont l’application est très coûteuse, est techniquement et juridiquement inapplicable. En sous-estimant les paramètres techniques et en jetant un voile pudique sur les rançons que les majors prélèvent sur les revenus des consommateurs et sur le travail des artistes, elle s’est condamné d’emblée à l’échec. Au moment où un nouveau gouvernement, moins soumis aux intérêts économiques, se demande quoi faire d’Hadopi, il est peut-être bon de rappeler quelques faits…

 

Hadopi coûte cher : actuellement 12 millions d’Euros par an, sachant que la monté en puissance de l’organisme devrait entraîner mécaniquement un accroissement important de son budget.

 

Hadopi est inefficace : en quelques mois, les internautes ont trouvé quantités de moyens pour le contourner. Ainsi, l’organisme base son action sur la surveillance des téléchargements par la méthode du P2P (peer to peer), avec des logiciels comme eMule ou Limewire. Mais comme il est très difficile de contrôler des flux aussi énormes, l’organisme est obligé de se cantonner à la surveillance de quelques centaines de titres récents. Autrement dit, les internautes peuvent continuer à télécharger en P2P quantités les films ou musiques de quelques années, sans aucun risque.

Seconde ligne de résistance de l’internaute : le recours au téléchargement direct. En quelques mois, les flux de téléchargement en P2P se sont effondrés pour se transférer sur les sites de téléchargement direct comme Megaupload. Avec ces sites, hébergés à l’étranger, loin des moyens d’action de la loi française, on accède à des liens permettant le téléchargement ou le visionnage en streaming des films les plus récents.

L’arrestation des animateurs de Mégaupload a fortement ralenti le téléchargement direct au moment opportun pour Hadopi, qui se demandait comment il allait pouvoir contrôler les millions de requêtes lancées chaque jours sur les moteurs de recherche ! Mais le site You Tube, avec l’hypocrisie qui caractérise les grands acteurs américains de l’économie numérique, a pris le relais en cessant de limiter la taille des vidéos postées. On y trouve maintenant à peu près tout ce qu’on veut, ce qui permet au site d’engranger de confortables ressources publicitaires supplémentaires. Il est vrai qu’on ne peut pas en principe extraire une vidéo de You Tube… Mais tous les navigateurs Internet peuvent recevoir des plug-in permettant d’extraire le fichier, qui pourra être visionnée ultérieurement sur une télévision de salon.

 

Pendant ce temps, les pirates et les développeurs s’organisent pour mettre en place une riposte technique à la surveillance du P2P. Ils se sont d’abord attachés à masquer, par divers moyens, l’adresse IP de l’utilisateur. Une méthode efficace consiste à faire transiter les requêtes P2P par un serveur relais, situés à l’étranger, loin des moyens d’action d’Hadopi. Beaucoup de ces serveurs sont accessibles gratuitement mais sont d’une fiabilité douteuse, distribuant en masse publicités agressives, spams et virus. C’est pourquoi des sites comme Realtek.com ou Your-Freedom.net font un tabac en proposant, moyennent un abonnement mensuel de 3 à 5 €, l’accès à des serveurs anonymes et sécurisés qui permettent à l’internaute de télécharger ce qu’ils veulent, à l’abris des regards trop curieux…. et d’Hadopi.

Pendant ce temps, des programmeurs mettent au point les logiciels de P2P de seconde génération, avec lesquels l’internaute pourra télécharger masqué, grâce à des routines de chiffrement de connexion.

 

Hadopi est mal fondée juridiquement : l’autorité ne peut pas sanctionner celui qui a lancé la requête illégale, faute de moyens de preuve. Le titulaire de l’abonnement Internet est donc présumé responsable. Hadopi peut aller jusqu’à lui couper définitivement son accès à Internet, cela sans qu’il puisse se défendre, utiliser une voie de recours quelconque, faire intervenir un juge ou un avocat… Soit un nombre incroyable de violation des fondements même de notre droit !

Pourtant, il est certain que dans un grand nombre de cas, les requêtes frauduleuses sont lancées par des fraudeurs. Beaucoup de comptes sont piratées, les accès par Wi Fi – qui se sont généralisés – étant très mal sécurisés. Ainsi, un internaute pourrait être lourdement sanctionné pour un téléchargement illégal effectué par un inconnu à partir de sa propre connexion. De telles injustices se produiront inévitablement jusqu’à ce que les plus agacées de ces victimes poursuivent l’état devant les tribunaux. Leurs avocats se chargeront alors de mettre Hadopi en pièces.

 

 

La licence globale, seule solution à long terme

 Soyons clair : même si Hadopi est une stupidité, il faut quand même être conscient que le téléchargement illégal et généralisé pose un grave problème. La possibilité pour l’internaute d’accéder sans aucune contrepartie à n’importe quelle œuvre musicale ou à n’importe quel film signifie à terme la mort de toute création ! Il faut donc trouver une solution, mais laquelle ?

La seule viable à long terme, celle qui n’est jamais abordée car elle n’intéresse pas les majors culturelles, est la mise en place d’une licence globale ; c'est-à-dire un droit à télécharger gratuitement sur des sites labellisés des œuvres d’une bonne qualité technique. Les ressources nécessaires à la rétribution des sites, des auteurs et des artistes étant obtenues par une taxe sur les abonnements à haut débit, payée pour partie par les fournisseurs d’accès (qui sont les premiers bénéficiaires du téléchargement) et pour partie par les Internautes. Un surcoût de quelques euros par abonnement et par mois suffirait à régler le problème. Un jour ou l’autre, cette solution rationnelle finira par l’emporter…


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