Comment Mélenchon peut gagner en 2012
par Henrique Diaz
lundi 26 mars 2012
Comment le candidat du Front de Gauche peut-il remporter une élection dont on nous dit qu’elle se gagne traditionnellement au centre ? Les partisans du vote en faveur de Hollande dès le premier tour ont pour principal argument, si ce n’est le seul, qu’il serait le mieux placé pour battre Sarkozy au second tour, car classé beaucoup plus proche du centre que de la gauche. Tandis que mécaniquement, il ne pourrait y avoir de report de voix du FN, du centre et même d’une partie du PS vers Mélenchon. Mais si ce genre de mécanique seule existait, cela fait longtemps que les seuls sondages pourraient faire office d’élection. On ne rappellera pas ici combien de fois “l’inconcevable” s’est produit. Comment donc alors Mélenchon pourrait-il donc gagner l’élection ?
Hollande est-il une valeur sûre pour la gauche ?
D’abord, rappelons que face à Sarkozy, qui a les moyens de la république pour continuer de se faire passer pour l’homme ferme et charismatique dont la France a besoin pour se protéger d’un monde dangereux, Hollande a de grandes chances de perdre. Il reste à ce jour un mois et demi d’ici au 6 mai 2012, et plus le temps passe, plus apparaissent les défaillances du candidat social-libéral en termes de charisme, de fermeté dans ses positions et surtout de propositions alternatives pour sortir de la logique de la dette exponentielle nous soumettant aux marchés, à l’impuissance publique et au chômage.
Comme sur le plan de la politique économique, les différences entre les deux actuels favoris sont floues, cela risque facilement être encore, comme avec Ségolène Royal, la capacité à se montrer ferme et autonome dans ses positions, autrement dit le charisme qui fera la différence.
Ajoutons que Sarkozy avait annoncé qu’il y aurait des rebondissements dans la campagne de nature à retourner la situation en sa faveur. Cette prophétie, dont il n’est pas interdit de penser qu’elle était autoréalisatrice, s’est réalisée. Et tout ce qu’il fallait faire pour que d’autres épisodes de ce type se reproduise a été fait : le visage souriant et le nom du terroriste a été largement diffusé ainsi que son message de terreur. Si on avait voulu susciter de nouvelles vocations auprès de dérangés en mal de reconnaissance sociale et d’action quand autrement ils ne connaissent que l’indifférence et le désoeuvrement, on n’aurait pas fait autrement qu’en offrant une telle gloire à un tel personnage. Pour le message à la fois humaniste sur la forme et stigmatisant sur le fond qu’il ne reste plus qu’à opposer à ce feu sur lequel un peu d’huile vient d’être ajoutée, le pyromane pompier Sarkozy est bien meilleur comédien que Hollande, personne ne peut en douter.
Face à ce genre d’épisode et d’autres que les stratèges de l’UMP peuvent encore mettre en scène, la réponse de Mélenchon constitue une véritable alternative qui a en plus le mérite d’être plus cohérente : non pas se mettre en scène comme candidat tentant de récupérer le deuil d’un pays mais proposer d’abord d'assécher le marais de la désespérance qui produit la délinquance et le terrorisme ; cesser la stigmatisation des pauvres et des français d’origine étrangère, c’est-à-dire mettre en place les moyens d’une fraternité réelle entre les plus favorisés et les moins favorisés comme entre les français d’origines diverses, par la répartition plus équitable des richesses et d’une façon plus générale des honneurs dans le pays.
Ensuite être sans pitié pour les ennemis de la liberté : renforcer les moyens du bras armé de la république (cf. sous-titre La république autrement du programme du Front de gauche), comme cela n’est pas possible tant que ce sont les marchés qui décident de la hauteur des investissements publics, pour éviter les drames, sanctionner humainement et cependant efficacement ceux qui se sont produits (comme la police et la justice sous Sarkozy n’ont pas pu le faire par exemple pour ce jeune qui avait violenté une mère et son fils, faute de moyens). D’autre part, il s’agit surtout de couper le mal à sa racine, en s’en prenant aux réseaux de financement du crime organisé qui bénéficient des facilités qu’offre la conception libérale des échanges commerciaux. Mélenchon en fit à TF1 la démonstration à un bijoutier plusieurs fois victime de vols accompagnés de violence, très remonté et manifestement de droite, mais qui finit devant la clarté des arguments par se ranger à l’analyse de l’homme politique de gauche.
Comment Mélenchon peut-il remporter le premier tour ?
Pour l’heure, Mélenchon ne peut prendre de voix sur François Hollande étant donné le rempart que constitue encore en sa faveur des intentions de vote importantes pour le Front National. Il faut donc qu’il continue, avec le Front de gauche, le travail de démonstration du caractère faussement social du programme de Marine Le Pen, ainsi qu’à incarner de façon cohérente et efficace le non de 2005 à l’Europe néolibérale.
Les arguments ne manquent pas : maintien par Le Pen de la politique anti-sociale de Sarkozy (pas de hausse du smic, maintien de la retraite à 67 ans, non construction de logements sociaux etc. tout cela faute de vouloir taxer correctement le capital) ; pseudo-sortie de l’Europe en sortant de l’Euro alors qu’il s’agit de se réapproprier démocratiquement ces outils économiques, maintien de la France dans l’OTAN et sa politique de soumission du monde à l’ordre économique des Etats Unis ; pas de remise en cause de la cinquième république qui produit pourtant une confiscation systématique de la souveraineté populaire après chaque élection et cette classe politique dite “de gouvernement” qui est coupée du peuple (rien par exemple contre le cumul des mandats ou pour la parité hommes/femmes) ; rien de sérieux sur le plan de l’écologie, maintien de la politique nucléaire ou de prolifération des OGM de Sarkozy etc. etc.
Avec sa progression dans les sondages, Mélenchon peut continuer de dénoncer de plus en plus efficacement l’entreprise d’exploitation de la désespérance sociale que constitue le FN. S’il parvient à continuer de mobiliser les abstentionnistes, à montrer aux classes les moins favorisées que le véritable danger pour le système qui les humilie chaque jour, c’est lui et non Le Pen, pour arriver d’ici à deux semaines à réaliser dans les sondages un écart de près de 10 points, de façon donc à être autour de 18 % tandis que Le Pen serait en dessous de 10%, la digue qui protège Hollande se rompra et la cohérence du projet qui, lui, permet de financer les services publics et puissances publiques dont nous avons besoin (santé, éducation, police, justice etc.) ainsi que le charisme suffiront à faire la différence en faveur de Mélenchon et au détriment de Hollande.
Comment Mélenchon peut-il remporter le second tour ?
Le premier élément à prendre en compte est l’adhésion réelle au programme d’un candidat et au candidat lui-même. Quel candidat actuel serait capable de rassembler autour de lui et de son projet environ 100.000 personnes au coeur de Paris ? Certainement pas Hollande.
Une majorité de ceux qui s’apprêtent actuellement à voter Hollande au premier et au second tour, comme de ceux qui espèrent pouvoir faire de même avec Bayrou, ne le font pas par conviction politique en faveur de leur candidat mais seulement de l’idée qu’il est “mieux placé” que les autres pour battre Sarkozy et sa politique inspirée de Bush et de Le Pen, maintenant un ordre économique néolibéral terrible pour les moins favorisés et obséquieux pour les puissants. Ils votent non pour celui qui incarne le mieux ce qu’ils arrivent à penser de tout cela mais pour le moins mauvais.
Mélenchon, ils ne le connaissent tout simplement pas bien encore. Ils ont une vague image de l’homme vociférant contre les journalistes mais ils ne leur inspire pas confiance uniquement parce qu’ils n’ont qu’une connaissance superficielle et tronquée du personnage. Et il faut reconnaître qu’au premier abord, la plupart de ceux qui aujourd’hui le soutiennent avec enthousiasme n’ont pas été conquis par ce méridionnal, il faut un peu de temps. Et surtout ils ne connaissent pas son programme ne retenant au mieux que le smic à 1700 euros qui sans explication leur paraît irréaliste. Il est très loin d’un Georges Marchais dans les années 80, en termes de maîtrise de la langue française et du raisonnement ; il est aussi très loin d’un François Mitterrand même, n’ayant jamais changé sur le fond de ses engagements universalistes et sociaux. Il est taillé bien plus sur le modèle de Jean Jaurès, à la fois intellectuel et homme de coeur, que de Léon Blum.
Une élection se gagne d’abord à la force de conviction de ses soutiens, en faveur de ce qui est clairement identifié comme juste et utile pour tous ; face à cela quand les conditions sont réunies, et elles le sont, les petits calculs à trois bandes et autres techniques de triangulation ne font pas le poids. L’élection “inperdable” de 2007 pour Ségolène Royal en est la démonstration. La gauche authentique n’avait pas pu depuis 30 ans se rassembler et ainsi constituer une force de conviction collective à cause de ses divisions. Aujourd’hui, ceux qui sont encore pour la division perdent peu à peu tous leurs soutiens. Une dynamique est en marche et elle va de l’avant. Aussi, Mélenchon est le seul à avoir de son côté une foule de citoyens convaincus et souvent bien armés intellectuellement capables de prolonger son argumentation dans les cafés, les cantines, les salles de repos, les familles.
C’est pourquoi il est objectivement bien mieux placé que Hollande pour battre Sarkozy. Hollande d’abord ne présentera aucun intérêt pour la plupart des électeurs du FN, par soutien inconditionnel à l’Europe libérale, une grosse partie votera pour Sarkozy et l’autre ira pécher. Les électeurs de Bayrou suivront la pente actuelle d’une préférence pour la cohérence et la fermeté sarkozyenne face à la confusion et à la mollesse de plus en plus patente de Hollande. Une partie importante des votants pour Mélenchon ne seront pas motivés du tout pour aller donner leur voix au Papandréou français et l’extrême gauche ne fera aucune différence entre Sarkozy et Hollande. Quant au abstentionnistes, ce n’est pas la peine d’en parler étant donné le degré de nouveauté et d’espoir que peut représenter le choix entre Hollande et Sarkozy et la "nouveauté" de la configuration politique qui en découlera. Si c’est Hollande donc, les chances d’éviter Sarkozy sont bien moins importantes que les sondages ne le laissent croire aujourd’hui.
Au contraire, si c’est Mélenchon, une bonne partie du vote FN pourra se reconnaître dans la fermeté prônée par le Front de Gauche à l’égard de l’Europe et dans le simple fait que sortir du système “UMPS” est possible. Une grande partie de ceux qui votent pour Hollande ou Bayrou essentiellement contre Sarkozy pourront naturellement se retrouver dans un candidat qui prône à la fois l’humanisme et la puissance publique contre la stigmatisation des pauvres et les cadeaux mirobolants aux plus riches. Les écologistes ne pourront qu’être conquis par un programme de planification écologique qu’ils découvriront pour la plupart à l’entre deux tours. Enfin les électeurs de l’extrême gauche et surtout les abstentionnistes auront une raison d’espérer un changement social et politique qui n’a pas existé depuis près de 30 ans.
Bien évidemment, rien n’est gagné d’avance. Les forces médiatiques du capital se déchaîneront contre l’optique d’un tournant véritable à gauche pour le pays. Mais cette fois, il n’y aura pas la rencontre de ces forces et de la population comme ce fût le cas après le 21 avril 2001. On aura plutôt un cas de figure du genre de celui qui s’est produit en 2005, pour le Traité constitutionnel.
Il faudra aussi que le Front de gauche sache rester joyeux et communicatif, conscient de la valeur de son programme, plutôt que d’apparaître dans une position arrogante et intolérante comme certains pourront en être tentés.
Et si malgré tout Mélenchon perdait ?
Nul ne peut prévoir à l’avance l’issue exacte d’un scrutin électoral, quelle que soit la configuration en place. L’optique d’un retour de Sarkozy au pouvoir a de quoi inquiéter, mais si c’est Hollande qui perd contre lui, on aura encore une opposition mollassonne, qui ne s’oppose que pour la forme et qui soutient le fond économique, c’est-à-dire qu’on aura pas encore avancé de beaucoup dans l’optique d’un retour à une vraie démocratie où serait envisageable une véritable alternative à la politique néolibérale au pouvoir depuis près de 30 ans. Si Mélenchon perd contre Sarkozy, il deviendra le chef d’une opposition véritable, de nature à sortir de la pensée unique dont nous abreuvent les médias en permanence.
On peut même être assuré qu’une reconfiguration beaucoup plus cohérente des forces politiques se mettra en place : une grosse partie des restes d’un parti qui n’a plus de socialiste que le nom rejoindra le Front de Gauche, l’autre s’alliera avec le modem et les centristes, ce qui conduira par ricochet une partie de la droite libérale sociale de l’UMP à rejoindre ce nouveau mouvement, laissant la droite dure de l’actuel UMP s’allier avec le FN. On aura alors des choix plus clairs et moins biaisés : un FN nationaliste ; une droite libérale où les Valls et autres Hollande pourront enfin se rassembler sous leur vrai visage avec Bayrou et Copé ; un Front de gauche véritablement socialiste et écologiste et une extrême gauche partisane de la révolution dans la rue en attendant que le capitalisme mondial s’écroule de lui-même. Dans cette optique, avec une gauche digne de ce nom, le pouvoir pourra être conquis durablement au lieu d'être systématiquement confrontés au jeu de yoyo permanent entre une "gauche" qui déçoit et une droite qui accable.