Comment ne pas faire d’Éric Zemmour le maître du choix des sujets à débattre

par Orélien Péréol
lundi 8 novembre 2021

L’apparition de Zemmour comme distributeur des sujets intéressant les Français à l’occasion de l’élection présidentielle est une surprise (peut-être pour lui-même, mais il n’a pas intérêt à s’attarder sur ce sentiment, s’il l’a).

Les réponses qu’on lui apporte sont, d’une manière générale, sans effet, sans force, comme des coups d’épée dans l’eau (salut à toi, Georges le Sétois).

D’abord, il ne faut pas aller sur le terrain de l'adversaire : cela cautionne la validité de ce terrain. Mélenchon est un âne. Les débatteurs qui s’opposent de façon qui paraît à tous irrémédiable et absolue, sont d’accord sur le fait que ce dont ils parlent est la difficulté politique majeure dont il faut parler.

Il ne faut pas aller sur le terrain de l’autre. Militairement, Napoléon s’est cassé les dents à Moscou avec le froid, avec la destruction de la ville par les moscovites eux-mêmes. Hitler s’est cassé les dents au même endroit, d’une façon comparable… Ceux du pays connaissent tellement de choses que les envahisseurs ne connaissent pas ! Le froid n’est pas, par nature, une arme. Il est un élément du terrain que les « autochtones » connaissent et les intrus non ; l’autochtone en l’occurrence s’appelle Zemmour et les intrus qui le créditent d’une valeur certaine, autorisant le face-à-face, n’en connaissent pas autant sur les sujets de Zemmour et n’ont pas pris comme lui le temps de bâtir un discours méthodiquement ordonné (même faux). Embarqués dans ce qu’on appelle parfois la « zone de confort » de Zemmour, ils perdent pied. Chacun a le sentiment de la victoire et le proclame partout, recueillant l’assentiment de son camp et la moquerie de l’autre camp… ce qui ressort de ce spectacle est que la respectabilité de Zemmour en tant qu’homme politique en France est attestée par l’intérêt qu’y a porté un candidat à la présidentielle. Par-là, il en a fait son égal.

 

Ensuite, nous sommes dans un conflit de récits. Pendant longtemps, nous avons été dans un seul récit : le récit du partage des richesses, des pauvres et des possédants, des travailleurs et des tenants du capital (des propriétaires). J’appelle ce récit le récit canonique. Avec la fin du communisme réel en 1989, sont apparus des revendications identitaires : ce que l'on trouvait autour de son berceau devait devenir la règle de tout le monde et comme ce n'est pas ce qui se passe (et cela ne peut absolument pas se passer si tout le monde le réclame), on a vu abondance de victimes triomphantes qui nomment leurs bourreaux avec certitude (le mal sort de lui, il vient vers moi, il n'y a rien d'autre dans la faiblesse de ma situation, il doit au moins l'avouer...). De la concurrence de ces victimes, certaines victimes sont passés devant. Est passé en tête le décolonialisme : la richesse de l'Europe est le produit du Tiers-Monde esclavagisé et colonisé, elle est le produit d’un vol, d’un pillage. Marx, le théoricien canonique, voyait la production du fer et du charbon et la société du fer et du charbon. Quand nous avons créé les moteurs à essence, les ouvriers européens sont un peu devenus les patrons des ouvriers des pays du Tiers-Monde, colonies, ex-colonies parfois... Il n'y avait rien dans Marx pour traiter ça, donc on ne l'a pas traité, on a ignoré cette différence fondamentale de la base matérielle des sociétés... on a continué à considérer les États comme le lieu « de la lutte des classes » ; la « lutte des classes » et le « sens de l’histoire » faisant offices d’absolu, qu’on ne peut ni discuter ni critiquer.

La lutte du récit canonique (Révolution, droits de l'Homme, redistribution sociale des richesses produites...) et du récit décolonial (vos richesses sont les nôtres, pauvres colonisés que vous avez dépouillé de tout) a ouvert la voie à un récit médian, oublié, disparu de longue date : de la France éternelle (Zemmour Maurras, en gros).

Il ne faut pas aller sur ce terrain avec l’intention de montrer que c'est faux. Il faut voir et traiter les raisons de l'apparition de ce terrain.

 

Enfin, le seul récit qui devrait nous motiver, c'est le récit écologique : nous rendons la planète invivable aux hommes, à nous-mêmes. Comme de bons virus, de bons parasites, nous tuons notre hôte. Ce récit est inaudible. Il est horriblement difficile à accepter, psychologiquement. De plus, comme s’il y avait besoin d’un sabotage supplémentaire, il s'est mêlé au nouveau récit décolonial pour des raisons morales irrationnelles.

 

Il est urgent de reprendre la main sur ce qu’on appelle l’agenda politique, de répondre brièvement à Éric Zemmour et d’enclencher à la suite de ces réponses courtoises et laconiques les sujets importants de notre domaine commun, de notre chose publique (par exemple les pénuries qui apparaissent ici ou là qui ne se résoudront pas par la loi de l’offre et de la demande qu’on trouve sous « le lampadaire économique », voir mon article de ce titre).


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