Comment transformer le plomb en plomb
par Bruno de Larivière
jeudi 22 octobre 2009
Le ministère de l’Environnement se soucie du bien-être des petits Français. Sur Internet, un guide renseigne les collectivités territoriales sur les différents types de risques environnementaux : Recenser, prévenir et limiter les risques sanitaires environnementaux dans les bâtiments accueillant des enfants. Dans l’introduction, le lecteur se confronte à un concept difficile à cerner, celui de la santé environnementale, qui combine milieux et santé humaine. La santé environnementale ouvre un champ de réflexion à qui ignorait qu’il vaut mieux vivre au grand air que sous les fumées d’usine.
Si la pollution menace l’ensemble de la population d’une région donnée, le guide rappelle que les enfants présentent des fragilités propres. Parce qu’ils grandissent et parce qu’ils apprennent, il ne faut lésiner ni sur la prévention ni sur les protections. On choisira de préférence pour une crèche ou une école un site éloigné de toute source de pollution éventuelle, tandis que les bâtisseurs se conformeront aux normes de construction fixées par décret. Les maîtres d’ouvrage trouveront de surcroît dans le guide des précisions sur les qualités de matériels, les meilleurs dispositifs pour chauffer, nettoyer ou entretenir les bâtiments.
La menace du plomb revient de façon lancinante dans ce guide pratique, parce que le métal peut se trouver dans l’eau à cause de vieilles canalisations, ou sur les murs dans des peintures. Or un adulte rejette 90 % du plomb qu’il ingère involontairement, contre 60 % pour un enfant. Mais le plomb apparaît également sous la forme de particules transportées dans l’air, au même titre que le dioxyde de soufre, l’ozone, le monoxyde de carbone ou les composés organiques volatils (COV). On s’étonnera que dans la fiche n°10 consacrée à ce métal lourd, et à ses effets sur la santé humaine, l’accent soit mis sur les canalisations et les peintures, alors que ces sources de pollution potentielles tendent à disparaître progressivement. Dans l’atmosphère en revanche, la menace demeure théoriquement.
Au plan national, la réglementation sur les carburants a depuis 2000 produit une diminution des émissions de l’ordre de 97 % entre 1990 et 2006. Les incinérateurs et métallurgistes ont donc remplacé les automobilistes et les routiers comme producteurs d’air plombé. En 2004, le Plan National Santé Environnement a fixé de nouveaux objectifs, encore plus stricts. Nul ne se plaindra de cette amélioration manifeste de la santé environnementale sur le dossier du plomb. Soit. Pour lutter efficacement contre la pollution, il convient cependant de ne pas négliger la circulation de l’air à l’échelle d’un continent et même au-delà. Une convention internationale existe depuis plus de dix ans sur le thème de la pollution sur longue distance par le cadmium, le mercure et le plomb [protocole d’Aarhus, 1998 (Ifren)]. Sous cet angle, le tableau paraît moins reluisant.
Le 14 octobre, le site Tout sur la Chine [Rue 86] met en ligne un article intitulé Une jeunesse plombée. Les renseignements proviennent d’organes officiels. En résumé, la situation sanitaire du plus grand bassin sidérurgique chinois provoque l’effroi. Les taux de plomb relevés dans le sang dépassent les seuils de tolérance dans la majorité des cas. Les médecins de la ville principale (Jiyuan) ont procédé à l’examen de 2.743 échantillons sanguins provenant d’enfants âgés de moins de 14 ans. Les autorités ont réagi par des fermetures d’usines, l’annonce d’inspections environnementales, et le déplacement des enfants qui résident à proximité des fonderies. « ’Nous endossons nos responsabilités pour la pollution. La pollution s’est accumulée durant les vingt dernières années et les usines sont trop près des maisons’ a concédé Yang Anguo, président du conseil d’administration du Groupe Yuguang Gold and Lead, le plus grand producteur de plomb du pays. » Il faudra féliciter le dirigeant pour la réactivité extrême de son groupe. On apprend un peu plus loin que les fonderies de Jiyuan fonctionnent depuis un demi-siècle. Un précédent récent révélé dans la presse dans la province du Shanxi a provoqué une polémique et poussé les autorités locales a anticipé la réaction de la population, d’autant plus sourcilleuse que les tests sanguins concernent des enfants. [Voir Camionnettes mortifères] Le journal d’Etat China Daily n’est pas en reste. Il annonce le 27 septembre que « la Chine va adopter des mesures strictes pour empêcher l’empoisonnement aux métaux lourds. »
Alain Faujas, dans Le Monde du 20 octobre s’interroge sur l’utilité des politiques environnementales. Une taxe carbone aux frontières est-elle possible ? « Dominique de Villepin, quand il était premier ministre, tout comme Nicolas Sarkozy, devenu président de la République, ont défendu l’idée d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe. Cette idée séduisante, soutenue par la France, sera débattue, à partir du 7 décembre, au sommet de Copenhague (Danemark) consacré à la lutte contre le réchauffement climatique. » Deux hommes qui s’entendent si bien pourraient-ils s’illusionner ? Il est certes séduisant de céder à la tentation du protectionnisme. Les arguments forcent le respect. Le monde doit déclarer la guerre aux paradis des pollueurs.
« Publié en juin par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et par l’OMC, le rapport ’Commerce et changement climatique’ conclut à la faisabilité d’un tel mécanisme, qui ne pourrait pas s’appeler ’taxe’, mais ’ajustement aux frontières’. » Alain Faujas signale l’ampleur des difficultés mais tait la multitude prévisible des contentieux. Les comparaisons entre niveaux de taxations s’effectuent sur la base de produits comparables, sans prise en compte de leur processus de fabrication. Comment franchira t-on le fossé séparant le possible et le souhaitable ? « Il faut donc avoir recours à l’article 20, qui autorise à prendre des mesures incompatibles avec les règles de l’OMC, mais nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux, à la préservation des végétaux (paragraphe b), ou se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables (paragraphe g). » Si l’on retient en fin de compte le principe d’une barrière douanière aux frontières, il faudra créer une comptabilité spécifique : lourdeur administrative assurée. Comment transformer le plomb en plomb.
Il existe un précédent, lorsque l’OMC a autorisé les Etats-Unis à bloquer ses importations de crevettes asiatiques au motif que la pêche provoquait la mort de tortues marines (novembre 1998). La plupart des gouvernements visés (Chine, Inde) protesteront néanmoins de leur bonne foi, de l’existence de dispositifs anti-pollution dans leurs pays. L’accusation de néo-colonialisme surgira - qui en doute ? - à l’encontre des principaux pays développés du Nord. Les gouvernements européens ou nord-américains devront se montrer persuasifs. Leurs mesures gouvernementales ont stimulé hier le développement d’industries polluantes dans nombre de pays du Sud. Alors que l’on s’aperçoit du caractère relatif du gain environnemental (pollution de l’air transfrontalière), le sommet de Copenhague devrait entériner une seconde étape. Or la suppression globale de la pollution pose comme postulat une convergence d’intérêts à l’échelle de la planète et une discussion possible quelles que soient les formes de représentation politique. On voit dans le cas du plomb le poids de l’autorité chinoise.
PS./ Geographedumonde sur l’environnement et les questions climatiques : Le cru bourgeois gentilhomme, Klaus a tempêté, Du risque climatique lointain au risque terroriste immédiat au Bangladesh, Le monde à l’échelle d’une autoroute, Anomalies normales en Italie, El nino, synecdoque ou métonymie ?, Décroissants obscurs, Les nouveaux pharisiens du réchauffement climatique
Incrustation : Pierre philosophale...