Conseil européen - sommet de dupes
par Stratediplo
vendredi 16 octobre 2015
Le sommet européen d’hier 15 octobre a été écourté car ses objectifs ont été atteints plus vite que prévu.
L’ordre du jour était la migration historique, mais aucun point n’y était ouvert à discussion puisqu’aucune entente n’était possible entre les grandes puissances submergistes et les pays frontaliers submergés.
De toute façon la proposition d’accord avec la Turquie, nécessaire pour rassurer les populations de toute l’Union européenne et les gouvernements de sa façade orientale, avait déjà été remise le 5 octobre au président turc Recep Tayyip Erdoğan par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, en présence du président du Parlement européen Martin Schultz et du président du Conseil européen Donald Tusk. Il s’agit du « mémo » 15-5777, communiqué aux chefs d’Etat et de gouvernement avant le sommet d’hier et ne présentant par écrit que des idées générales, les membres du Conseil étant priés de donner carte blanche au président Juncker pour affiner ensuite les « détails » avec la Turquie. La seule nouveauté du sommet d’hier, c’est que ce sera finalement Angela Merkel qui ira à Ankara dimanche 18 cueillir les lauriers de l’accord, raffermir ainsi la traditionnelle alliance turco-allemande, et confirmer son image de conductrice de l’Union européenne.
Les points essentiels de l’accord sont noyés dans une rhétorique conciliatoire mais il n’y a rien de nouveau par rapport au projet du mois dernier.
Contrairement à ce qui semblait promis fin septembre, l’Union européenne ne peut plus offrir à la Turquie une bande de territoire syrien « démilitarisé » (pas pour tout le monde) le long de la frontière, puisque dès que la Russie l’a appris elle s’en est mêlée.
Comme prévu, l’Union européenne paie la Turquie pour avoir accueilli malgré elle 2,2 millions de migrants, dont 1,9 millions de Syriens. Elle disait avoir prévu 1 milliard d’euros, mais compte tenu de sa défaillance sur le point précédent la Turquie demande 3 milliards. On a fait semblant de découvrir hier cette exigence datant d’il y a dix jours, mais elle sera satisfaite.
On ne parle pas de l’accueil immédiat de 500000 (un demi-million) réfugiés garantis syriens sélectionnés par la Turquie. Il serait surprenant que l’idée soit abandonnée.
La Turquie sera admise dans l’espace Schengen à partir du 1er janvier 2016. Pour rassurer les pays de l’Union européenne au contact, on avait prévu en contrepartie d’obliger la Turquie à reprendre tous les migrants refoulés à la frontière de l’Union, mais elle a demandé (et obtiendra) une petite nuance sémantique, à savoir que Frontex sera autorisée à les « renvoyer dans leurs pays d’origine ». Vu qu’on ne peut concrètement que les refouler à la frontière, que la Turquie n’est pas leur pays d’origine, et que seul le pays de transit peut les y renvoyer, la clause sera nulle et non avenue.
Les « négociations » pour l’admission de la Turquie dans l’Union européenne sont relancées, sans condition préalable de reconnaissance de tous les membres actuels, et entretemps la Turquie sera invitée aux sommets importants.
Au niveau des détails, pour soigner l’image humanitaire de tout le monde l’Union européenne ouvrira six camps d’accueil pour réfugiés dans le sud de la Turquie.
Détail encore, pour rassurer la Grèce et la Bulgarie il est prévu une fois de plus un renforcement de la coopération entre Frontex, les garde-côtes grecs et les garde-côtes turcs. La Turquie y gagnera peut-être les fonds pour une modernisation de sa flotte côtière, elle y gagnera surtout les éléments pour éviter les navires et hélicoptères grecs lorsque les siens escortent des illégaux, comme elle a déjà été prise en flagrant délit de le faire.
Additionnellement, l’Union européenne s’est brillamment abstenue de demander à la Turquie d’appliquer la Convention de 1951 sur les réfugiés, qu’elle a signée et ratifiée mais dont elle refuse de faire bénéficier les réfugiés. C’est le point le plus crucial et le plus impardonnable alors que toute cette gesticulation se réclame d’un souci humanitaire. La Turquie viole la Convention en n’accordant pas le statut de réfugié et donc pas de titre de séjour, en n’autorisant pas les réfugiés à travailler, en ne scolarisant pas les enfants (seuls ceux qui se trouvent dans les camps gérés et photographiés par des organisations étrangères sont scolarisés), et en obligeant de ce fait les familles à vendre leurs filles pour nourrir les garçons, et les mères de famille syriennes à se prostituer par dizaines de milliers. L’Union européenne s’en accommode.
Enfin bien sûr, comme dans toutes ses réunions avec la Turquie, l’Union européenne s’est spectaculairement abstenue d’exiger la fin de l’occupation et le retrait des forces turques du membre de l’Union occupé par la Turquie, Chypre.
Il est vraisemblable que tous ces points n’ont pas fait l’unanimité, aussi les participants au sommet ont été renvoyés dans leurs pays respectifs plus tôt que prévu. Les « détails » de l’accord avec la Turquie seront donc finalisés par la Commission européenne et présentés par l’Allemagne.
Stratediplo (www.stratediplo.blogspot.com)