Conte de campagne
par C’est Nabum
vendredi 19 février 2016
Les mille et une facétie du petit Vizir
Conte de campagne.
L'effet Pygmalion.
Il était un petit homme qui voulait rester grand vizir à tout prix. Pour lui, rien n'était jamais trop beau. Il avait perdu le sens de la mesure et de la valeur de l'argent. Grisé par les dorures de sa charge, ses fréquentations et son ambition sans limite, il était disposé à mettre la main dans la cassette pour faciliter sa réélection.
L'homme avait de sa charge une haute conception. Il en avait fait une représentation glorieuse, un ballet cossu, une parade onéreuse. Il ne reculait devant aucune dépense pour glorifier sa propre personne, pour se grandir par le montant des factures, pour paraître, lui qui ne savait pas être. Le tourbillon des fêtes, la magnificence des réceptions, la grandeur de ses déplacements devaient lui assurer son maintien en poste.
Le petit vizir nerveux se prit au piège de se penser seigneur en son royaume. Il outrepassait le droit, dérogeait aux règles, mentait honteusement, trichait avec jubilation. Il ne reculait devant aucune forfaiture même s'il ignorait le sens de ce mot trop savant ! Rien n'était assez beau pour célébrer le grand personnage qu'il voyait dans son miroir déformant, chaque matin lorsqu'il se rasait.
Mais qui donc avait bien pu lui offrir cet objet maléfique ? Tous ses ennuis étaient nés de cette glace sans morale et au tain blafard qui ne cessait de lui murmurer au fil de la lame : « Tu es le plus beau, tu es le plus grand, tu es le meilleur ! » Et il se persuada de la sincérité des ses prophéties douteuses ! L'effet Pygmalion avait, une fois encore, troublé un esprit fragile et bien trop sensible aux flatteries.
Notre vizir avait beaucoup aimé l'histoire d'Ali Baba. Il se dit qu'il fallait trouver une bande de voleurs pour remplir une caverne d'un trésor fabuleux afin de conserver son merveilleux trône. Il se fit chef de bande organisée en se gardant bien de participer en personne aux opérations véreuses, aux manipulations financières, aux jeux d'écriture pour amasser une fortune douteuse.
Alors ce fut la vie de château. Le vizir voulut battre la campagne à coups de jolis discours chatoyants, de grandes manifestations fastueuses, de réunions publiques dégoulinantes de faste, de gadgets, de couleurs et de musique. Son élection devait être un film à grand spectacle, une épopée extraordinaire, un conte de méfaits. Hélas, mille et une fois hélas, les électeurs, ces ingrats, le laissèrent le bec dans l'eau et la main dans la bourse.
Le petit vizir dépassa toutes les limites autorisées. Il se fit taper sur les doigts, on le somma de rembourser ; il fit appel à la générosité de ses supporters, toujours aveugles à ses folies. Le miroir pourtant continuait de murmurer à son oreille que son heure allait sonner à nouveau, qu'il était toujours le meilleur en dépit des casseroles qu'il traînait derrière lui. Cinq petites années de patience et il reviendrait en pleine gloire ...
Il constitua une nouvelle équipe. La précédente était aux prises avec les brigades financières de son ancien empire. Lui, toujours fidèle à sa stratégie de l'ignorance, les abandonna à leur triste sort, sans un regard, sans une pensée. On ne fait pas d'omelettes sans casser quelques œufs, pourvu que le chef puisse continuer de faire le coq. Il voulait repartir en campagne, amasser un nouveau trésor pour balayer la concurrence à coups de factures insincères.
Quand on a un Prince parmi ses amis, quand l'argent de grandes puissances étrangères vous est promis, pourquoi se gêner ? Le petit vizir préparait son retour. Il accumulait, fomentait, se préparait, quand un petit juge vint briser le miroir et son rêve. Mis en examen ! Mon Dieu quelle horreur !.. lui dont les diplômes avaient toujours semblé douteux, il allait devoir véritablement subir l'épreuve de l'examen ....
Le miroir avait volé en éclats. Cinq ans de malheur ! Telle est la nouvelle comptabilité depuis le passage au quinquennat. Le petit vizir devra attendre la prochaine fournée. Pour ce coup-là, il est encore de la revue. C'est du moins ce qu'espèrent ceux qui croient en la justice et en la morale. Mais gardons-nous de vendre la peau de l'ours : l'homme n'est pas mort et a plus d'un vilain tour dans son sac.
Nous avons bien de la chance de disposer ainsi d'une classe de politiques aussi distrayante. Nous pouvons nous contenter de faire de leurs travers de jolis contes, à défaut de ne pouvoir jamais chanter leurs louanges et leurs mérites. Le plus extraordinaire c'est qu'il se trouve encore assez de naïfs pour leur accorder confiance et voix. Les électeurs croient sans doute un peu trop aux contes de fées. Il serait grand temps que cesse le temps des magiciens.
Malhonnêtement sien.