Convois de la liberté : « Macron, nous aussi on t’emmerde »

par Estelle Floriani
samedi 12 février 2022

Lu sur une pancarte d’un "convoi de la liberté" au départ de Nice, le 9 février dernier. Certains mots ne s’oublient pas. Les phrases venimeuses que le chef de l’Etat a adressées aux « antivax », en guise de vœux de nouvel An, restent en travers de la gorge de beaucoup de participants à ces manifestations de colère. Revenons sur ces invraisemblables propos, si difficiles à avaler. 

Ce jour-là, notre président s’est surpassé. Il nous avait déjà habitué à ses phrases assassines sur « les gens qui ne sont rien », qui ne savent pas faire fructifier le « pognon de dingue » qu’on leur distribue pourtant généreusement, les chômeurs qui refusent de traverser la rue pour trouver du travail et, plus généralement, les « gaulois réfractaire (s) au changement », parmi lesquels on peine, et c’est bien triste, à trouver des « jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires ». On avait bien senti derrière ces mots flotter un état d’esprit, disons, désagréable. Mais jamais nous n’avions eu droit à un concentré de philosophie politique si dense que celui qu’il nous a livré le 4 janvier dernier. En s’adressant aux lecteurs du Parisien (voir annexe), monsieur Macron a exprimé, sous une forme certes familière et syntaxiquement incertaine, le fond de sa pensée. Comme Jésus aux Noces de Cana, il nous avait gardé le meilleur pour la fin, notre Emmanuel. Il l’a bien bichonné ce texte, l’a relu et approuvé avant publication, puis assumé quelques heures plus tard lors d’une conférence de presse. Un excellent cru, à déguster lentement, mot après mot, jusqu’à la lie…

Le mot « emmerder » a fait dégoiser beaucoup de monde. Il n’a pourtant rien de choquant en lui-même. Il figure, que je sache, dans les dictionnaires les plus autorisés et fut employé par les meilleurs esprits, à commencer par le très fin lettré Georges Pompidou.

Le premier point intéressant n’est donc pas que notre président dise vouloir « emmerder » - il aurait pu tout aussi bien dire « embêter » - mais qu’il n’ait pas dit interdire.

Petit rappel de philosophie politique classique (d’inspiration aristotélicienne) pour les nuls (et quelques autres).

La mission d’un chef d’Etat est de promouvoir le bien commun des citoyens de cet Etat. Ce bien commun dépasse les biens particuliers, il n’en est pas la simple somme. Mais c’est à travers le bien commun que les citoyens réalisent leur bien propre, étant hommes, c’est-à-dire animaux politiques.

Donc, s’il est légitime que l’Etat exige parfois de certains citoyens qu’ils renoncent à des avantages personnels, au nom du bien commun qui est plus grand que leur bien propre, il n’est jamais juste qu’il cherche directement à leur nuire. Un chef d’Etat juste poursuit le bien commun qui comprend le bien de tous les citoyens.

Lorsqu’un Etat non tyrannique exige des hommes, la patrie étant en danger, qu’ils quittent la douceur de leur foyer pour aller patauger dans la boue glacée sous la mitraille, ce n’est nullement par volonté de leur nuire. Ce n’est pas par plaisir de les emmerder. C’est pour qu’ils défendent leur plus grand bien, leur patrie.

Pour le dire autrement :

  1. l’Etat juste peut réclamer de certains citoyens qu’ils renoncent à une partie de leur bien personnel, fut-ce parfois au prix de grands sacrifices. Mais il le fait toujours par une loi ou un commandement, qui désigne clairement l’obligation. Ainsi, le chef d’Etat assume sa décision souveraine et s’expose à la critique : on peut toujours lui reprocher d’avoir appliqué une loi injuste ou de l’avoir injustement appliquée. Il s’expose à l’infamie d’avoir agi en tyran.
  2. Ce faisant, un tel Etat ne vise jamais autre chose que le bien commun, lequel n’exclut aucun citoyen (sinon il ne serait pas commun). Donc, le sacrifice exigé pour la communauté ne retranche aucunement le bien de la personne de qui il est exigé : au contraire, par lui cette dernière est sensée atteindre une plus grande réalisation d’elle-même. Ce n’est pas pour nuire au délinquant qu’on le met en prison, ni même seulement pour protéger les autres, c’est au sens strict, pour son bien. Là-dessus, on ne saurait dire mieux que Simone Weil : « Le châtiment est un besoin vital de l’âme humaine. (…) De même que la seule manière de témoigner du respect à celui qui souffre de la faim est de lui donner à manger, de même le seul moyen de témoigner du respect à celui qui s’est mis hors de la loi est de le réintégrer dans la loi en le soumettant au châtiment qu’elle prescrit ». (Simone Weil, L’enracinement, Œuvres, Gallimard, 1999, p. 1039)

Ceci étant rappelé, que prétend faire Emmanuel Macron ? Ni obliger, ni exiger : « emmerder ». Il avoue explicitement vouloir nuire à des personnes qui, contrairement au déserteur ou au voleur, ne commettent rien d’illégal.

Selon Machiavel, le prince peut imposer sa volonté de deux manières : « l’une avec les lois, l’autre avec la force ; la première est propre à l’homme, la seconde est celle des bêtes ; mais comme la première, très souvent, ne suffit pas, il convient de recourir à la seconde. » (Machiavel, Le Prince, Garnier-Flammarion, 1980, p. 165).

Avec le passe vaccinal, monsieur Macron paraît user de la première manière : il emprunte la voie législative. Toutefois, cette loi, de son propre aveu, n’a pas pour fin d’éviter les contaminations dans les restaurants et les cinémas (elle ne les éviterait de toute façon pas dans les magasins et les églises). Son but est très exactement de rendre la vie impossible aux « antivax » pour les pousser à se faire vacciner. C’est un peu comme si les limitations à 30 km/h dans les villes, placées exprès dans les tunnels inaccessibles aux piétons, avaient pour but, non d’éviter que les voitures n’écrasent les enfants, mais uniquement de faire pester ces beaufs d’automobilistes. Cette loi est donc, certes, formellement une loi, mais dans le fond une arme de contrainte sociale.

Notons que, si le secrétaire florentin recommande au prince de ne recourir à la force que si la loi ne suffit pas, l'actuel locataire de l’Elysée ne tente même pas d’agir par la loi, il passe directement à la force. Il faut lui reconnaître ici une vertu : la franchise. Il néglige dédaigneusement le conseil machiavélien de « savoir bien user de la bête » et donc « parmi elles de prendre le renard et le lion » car « ceux qui s’en tiennent simplement au lion n’y entendent rien » (Ibid.) Autrement dit, savoir mentir, trahir et dissimuler. Notre monsieur Macron, lui, est tellement sûr de soi, qu’il n’hésite pas à avouer benoîtement qu’il agit par force, ni plus ni moins. 

Mais le renard pointe son nez, quand même. Si les non vaccinés se plaignent, ils n’auront à s’en prendre qu’à eux-mêmes. Dans sa grande bonté libérale, l’Etat leur laisse le choix : emmerdement ou vaccin. Et ils choisissent les emmerdements, ces petits cons.

Telle est la ruse d’Ulysse. Lorsque le cyclope lui demande son nom, le héros aux mille tours lui répond : « Mon nom est Personne, et c’est Personne que m’appellent ma mère, mon père et tous mes compagnons » (Homère, L’Odyssée, Chant IX). Aussi, lorsque Ulysse lui aura crevé son unique œil et que, fou de douleur, il appellera à l’aide ses compagnons, en leur criant : « Amis, Personne me tue, par ruse et non par force », il s’entendra répondre : « Si personne, seul comme tu es, ne te fait violence, tu dois être malade, et il n’est pas possible d’échapper au mal que le grand Zeus envoie ». Et restera abandonné à son misérable sort. Ce n’est certes pas pour cette malicieuse ruse-là que Dante place Ulysse dans l’avant dernier cercle de l’Enfer, mais il aurait pu y penser…

Telle est en tout cas, et cela dépasse de loin notre Président Macron, la grande astuce que permet la fiction de la souveraineté du peuple. C’est le peuple qui décide, « Personne » ne l’oblige à rien, il est le souverain. Conséquence : c’est toujours le peuple qui, à la fin, est responsable de tout. Le vrai pouvoir, lui, s’en sort toujours à bon compte : ce n’est jamais de sa faute. Peut être à la rigueur celle de ses prédécesseurs, non démocrates. Le pouvoir ressemble au Satan de Baudelaire : « la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas ». (Le Spleen de Paris, Garnier Flammarion, 1987, Paris, p. 140).

Le pouvoir, donc, évite soigneusement de se salir les mains. Moi, « forcer des gens à aller se faire vacciner ? Les emprisonner et puis les vacciner ? » vous n’y pensez pas ! L’imagination présidentielle vire au dantesque : on entend les cris du coupable au fond de sa cellule, menotté, piqué comme un animal féroce… Comme si, entre la prison et le forçage d’un côté et le libre choix de l’autre, il n’y avait pas de place pour l’obligation.

Mais, même dans une version moins infernale, la vertu immaculée du bourgeois de gauche souffrirait trop : « Leur mettre des amendes ? Si j’ai des gens très modestes qui ne sont pas vaccinés, je vais leur mettre 1 000 euros, 2 000 euros, d’amende ? », comme on le fait pour les innombrables « gens très modestes » qui oublient de boucler leur ceinture en voiture ou se font flasher par des radars, sans état d’âme, l’habitude sans doute. Par ailleurs, notre Président revendiquait quelques lignes plus haut sa volonté, à travers les tests payants décidés en octobre 2021, de faire payer « plus cher » ceux « qui ne veulent toujours pas se faire vacciner », sans avoir prévu que les « gens très modestes » en seraient exemptés.

Monsieur Macron nie tout autoritarisme, des fois qu’on le prendrait pour un dictateur. « Mais vous êtes obsédée par les obligations (rires) ! » Cette esquive devant l’usage de la loi et de l’interdit est typique du techno-pouvoir néolibéral.

Vous n’êtes pas obligé de posséder un téléphone portable, vous ne serez pas obligé non plus de vous abonner à la 5 G… mais la vie deviendra quasi impossible sans. Le dispositif technique remplace la souveraineté, ou comme disait Michel Foucault, la norme remplace la loi. Un tel pouvoir, dans la mesure où il n’interdit rien, ne dit rien et donc échappe à toute contradiction. « Il n’est pas simple de penser un pouvoir qui consiste dans des infrastructures, dans les moyens de les faire fonctionner, de les contrôler et de les bâtir (…) Du temps où le pouvoir se manifestait par des édits, lois et règlements, il laissait prise à la critique. Mais on ne critique pas un mur, on le détruit ou on le tague. » (Comité invisible, A nos amis, p. 86, La Fabrique Editions, Paris, 2014).

Vous êtes libres de ne pas vous faire vacciner, mais « vous ne pourrez plus aller au restau, vous ne pourrez plus prendre un canon, vous ne pourrez plus aller boire un café, vous ne pourrez plus aller au théâtre, vous ne pourrez plus aller au ciné… » On notera le registre relâché du vocabulaire, typique de la communication de l’oxymorique pouvoir anti-autoritaire. Chez Google, par exemple, on est cool. On peut prendre autant de vacances que l’on veut. A condition, quand même, que les objectifs soient atteints… Résultat : les professionnels prennent moins de vacances que dans les entreprises classiques (du monde d’avant). Ils ne s’en plaignent pas d’ailleurs : tous sont tellement épanouis dans leur travail et fiers de développer le gigantisime du Net. Google, c’est pas que pour l’argent, c’est surtout du bonheur ! Allez les antivax, soyez cool, faites-vous piquer et venez boire un « canon » en terrasse avec nous ! La séduction remplace l’obligation, l’invitation à la jouissance remplace la loi et la culpabilisation moralisatrice remplace la possible sanction légale : si vous n’êtes pas heureux, c’est de votre faute, si vous êtes malade du covid, ce sera encore plus de votre très grande faute. Car vous avez refusé de suivre les conseils qui mènent au bonheur et à la santé.

Une telle approche relève d’une conception utilitariste de la politique. Explications. On peut distinguer deux outils dans l’art de gouverner.

Le premier consiste à édicter des lois, des règlements, des obligations diverses. Le second consiste à mettre en place différentes dispositions qui rendent les actes favorables au bien commun faciles et les actes néfastes au bien commun difficiles. Par exemple, pour l’évasion fiscale, non seulement l’interdire mais faire en sorte qu’il soit difficile techniquement de la faire.  

Tout Etat agit à ces deux niveaux là.

Une politique d’inspiration utilitariste insistera sur le second. Car l’anthropologie sous-jacente est que l’homme n’est pas tant un animal raisonnable qu’un être sensible. Et l’éthique qui en est le corollaire définit le bien à rechercher comme le maximum de plaisir et le minimum de souffrance. Donc des lois pourquoi pas, en ce qu’elles permettent de punir les actes antisociaux et donc de rendre désagréable leur conséquence ; mais jamais la Loi, qui sollicite la capacité rationnelle de l’homme à obéir à ce que son intelligence comprend comme étant juste.

Aussi le chef d’Etat utilitariste aura tendance, moins à faire appel au sens de la justice et au désir de bien commun qu’il ignore être plus ou moins enfoui dans le cœur de tout citoyen, qu’à jouer sur le levier des passions. Faciliter, rendre agréable, flatter, ou au contraire culpabiliser, entraver, bref, emmerder. Le citoyen n’est plus alors considéré comme un sujet d’action politique, capable de justice et de dévouement. Il est vu comme une petite mécanique égoïste et narcissique qu’il faut savoir manipuler habilement. Le marionnettiste le plus adroit, voilà le plus grand politique.

Paradoxe de cette philosophie : bien que niant tout lien entre politique et éthique (au sens courant du terme en tout cas), elle s’accompagne volontiers d’une sorte de fureur moralisatrice. La contradiction n’est qu’apparente : une des ficelles les plus efficaces pour mouvoir la machinerie sociale est la culpabilisation.

Ceci nous mène à cet autre passage instructif, moins remarqué mais non moins inquiétant : « Et ça, c’est l’immense faute morale des antivax : ils viennent saper ce qu’est la solidité d’une nation. Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen. »

Frottez-vous les yeux et relisez : Monsieur Macron affirme benoîtement que les « antivax » ne sont plus des citoyens. Il ne s’agit pas d’une improvisation mal maîtrisée. Emmanuel Macron a quelques lettres : il sait ce que les mots veulent dire.

Le syllogisme présidentiel est le suivant :

                                    « Race impure »

Commentaire.

« Un citoyen est toujours responsable ». Cela renvoie d’abord à l’opinion ailleurs défendue par Emmanuel Macron selon laquelle les citoyens ont certes des droits, mais aussi des devoirs. Opinion vraie, tellement obvie qu’elle confine au truisme. Mais la pensée présidentielle va plus loin : il n’est pas exprimé qu’un citoyen doit se conduire de façon responsable, mais qu’il se conduit effectivement de façon responsable. Donc un citoyen irresponsable n’est pas un mauvais citoyen, comme tu le penses sans doute, ami lecteur, mais il n’est pas un citoyen du tout. Autrement dit, être un mauvais citoyen est une contradiction dans les termes. Un citoyen est par essence vertueux.

Nous y voilà. Cette équation : citoyen = vertueux se trouve chez un illustre prédécesseur de monsieur Macron à la tête de l’Etat : Maximilien de Robespierre. Lecteur passionné de Rousseau, il proclama mille fois et jusqu’à sa mort qu’ « il n’y a rien d’aussi juste ni d’aussi bon que le peuple, toutes les fois qu’il n’est point irrité par l’excès de l’oppression » (Cité par Marcel Gauchet, Robespierre, Gallimard 2018, p. 72). Et que, par conséquent, « L’intérêt, le vœu du peuple est celui de la nature, de l’humanité ; c’est l’intérêt général » (Ibid. p. 71). Cette idée sublime se heurte toutefois à un petit problème : on s’aperçoit assez vite qu’il existe des français pas très vertueux, nullement dévoués à l’intérêt général et même somme toute assez égoïstes, voire pour certains franchement méchants. Comment faire entrer cette vérité désagréable dans la philosophie politique révolutionnaire ? C’est tout simple : en affirmant que ces méchants ne sont pas des citoyens, ne font pas partie du peuple, qu’ils en sont les ennemis. « Qui n’est pas avec moi est contre moi » (Mathieu, 12,30), affirme la République, plagiant Jésus sans vergogne. Pratiquement, on ne leur appliquera pas les rigueurs de la loi comme aux citoyens en infraction, on les poursuivra comme des ennemis à détruire : « tant que cette race impure existera, la République sera malheureuse et précaire. » (Ibid. p. 198).

Toute la question sera de savoir où tracer la limite entre les braves citoyens et « cette race impure ». Où finit la vertu, où commence le vice ? Où s’ouvre l’abîme infranchissable qui sépare les sincères républicains des brigands pervers ? Les « antivax » aujourd’hui, les gilets jaunes hier… Les « complotistes » ou d’autres demain peut-être ? Tout est possible, mieux vaut donc se tenir sur ses gardes de jour comme de nuit, à tout propos et en tous lieux…

« Et ça, c’est l’immense faute morale des antivax : ils viennent saper ce qu’est la solidité d’une nation ». Comme le constatait déjà amèrement l’Incorruptible, « il y a deux peuples en France : l’un est la masse des citoyens, pure, simple, altérée de justice et amie de la liberté (…) L’autre est ce ramas d’ambitieux et d’intrigants ; c’est ce peuple babillard, charlatan, artificieux (…) » (Ibid. 198). Il y a peuple et peuple, le vrai et le faux, le gentil et le méchant, peuple contre peuple, irrémédiablement incompatibles, comme l’eau et le feu.

Les personnes non vaccinées sont appelées par monsieur Macron « antivax ». Raccourci significatif. Le choix de ne pas de faire vacciner, décision personnelle et pour soi, devient dans le discours présidentiel nécessairement et essentiellement un choix contre (anti) les citoyens - les vrais - vaccinés. Geste qui prend les allures grandioses et effrayantes d’un tremblement de terre qui ébranle la « solidité d’une nation ». Bigre ! 

Mais avant la naissance de l’idéologie révolutionnaire, la stratégie était connue. Elle est à vrai dire vieille comme le monde : diviser pour régner. Ne pas opprimer directement, mais monter les uns contre les autres. Selon le proverbe que la Boétie applique au tyran, « pour fendre du bois, il fait des coins du même bois » (Etienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire, Garnier -Flammarion, 1983, p. 164). Mettre dans sa poche une partie de la population et la dresser contre le reste. Toujours choisir, évidemment, la meute la plus forte ou la plus nombreuse : « D’ailleurs, la quasi-totalité des gens, plus de 90 %, y ont adhéré (aux mesures sanitaires). C’est une toute petite minorité qui est réfractaire. » Le résultat, tu le connais, lecteur : dans ta famille, ton entreprise, chez ta coiffeuse du coin de la rue d’habitude si gentille, et même chez ton bon médecin de famille, la méfiance, la peur, l’hostilité, la colère se répandent. Les murs invisibles, dont les parois en plexis glass sont les symboles, se dressent jusqu’au ciel, pour maintenir la phobie universelle et l’obsession du « sans contact ». 

Mais ne nous emballons pas. Robespierre n’est pas encore à l’Elysée. La République est en guerre contre le virus et les déserteurs sont des ennemis de la patrie comme en 93, c’est vrai. Toutefois, les mœurs se sont adoucies depuis. On ne va pas les guillotiner. On va même jusqu’à les soigner si - par leur faute - ils souffrent du covid. Voyez à quelle hauteur s’élève la bonté de notre Président : il soutient le soignant qui « regarde quelqu’un qui est malade et il ne regarde pas d’où il vient, ce qu’il est. »

Toutefois, soyons raisonnables, cette mansuétude est-elle vraiment proportionnée à « l’immense faute morale » des « antivax » et l’énormité du danger qu’ils font courir à la nation ? L’ on a renoncé, pour les raisons ci-dessous expliquées, à leur faire subir une obligation légale. Mais alors, ne leur imposer que de regarder des séries sur Netflix au lieu d’aller au théâtre et de siroter leur bière chez eux, n’est-ce pas ridicule ? Ne faudrait-il pas tirer sérieusement les conséquences de la perte de leur citoyenneté : effacement de la carte d’électeur, impossibilité de manifester par détection de caméras à reconnaissance faciale sur drones et intervention immédiate de brigades mobiles spécialisées, suppression des prestations sociales, d’un clic, par exemple ? A méditer par le futur président de notre République une, indivisible - et vertueuse.

Laissons le sinistre Robespierre dans les livres d’histoire. Et, pour nous remonter le moral, regardons notre démocratie, nous en sommes si fiers. Ah ! quel régime formidable, que le monde entier nous envie ! Avec toutefois quelques faiblesses. Alexis de Tocqueville, démocrate par raison, en voyait une, et non des moindres : « (…) ce qui me répugne le plus en Amérique, ce n’est pas l’extrême liberté qui y règne, c’est le peu de garantie qu’on y trouve contre la tyrannie ». (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Gallimard, Idées, 1968, p. 147). Tiens, de quelle tyrannie parle-t-il ? De la tyrannie de la majorité, tout simplement. Et de citer l’exemple du droit de vote des Noirs dans l’Etat de Pennsylvanie. Ce droit leur est reconnu par la loi. « Mais alors, s’étonne Tocqueville, d’où vient qu’au collège électoral ce matin je n’en ai pas aperçu un seul dans l’assemblée ? » Réponse candide de son interlocuteur américain : « ils s’abstiennent volontairement d’y paraître (…) ils craignent qu’on ne les y maltraite. Chez nous, il arrive quelquefois que la loi manque de force, quand la majorité ne l’appuie point. »

Monsieur Macron, grand démocrate, joue la carte à fond. La mécanique des masses travaille pour lui : « la majorité est revêtue d’une force tout à la fois matérielle et morale, qui agit sur la volonté autant que sur les actions, et qui empêche en même-temps le fait et le désir de faire. » (Ibid. p. 150). Malheur à la minorité, « toute petite » et « réfractaire », force à la majorité, « la quasi-totalité des gens ». C’est bien pratique. Nul besoin de réfléchir à la notion de justice, mot que l’on chercherait en vain dans cet entretien. Une calculette suffit. 

                          Dictature, tyrannie ou totalitarisme ?

Faisons une pause. Nous avons beaucoup écrit, trop sans doute. Démocrate, tyran, utilitariste, robespierriste, machiavélien, néo-libéral, il est vraiment tout cela en même temps notre Président ? Lecteur, j’entends ta perplexité.

Il est temps de répondre clairement à la question que tu te poses depuis le début : « alors, en somme, ce monsieur Macron, c’est quoi : un dictateur, un tyran, un chef totalitaire ? dis les choses franchement ».

D’emblée, soyons net : aucun des trois, Dieu merci ! Emmanuel Macron ne ressemble ni à Bonaparte, ni à Néron, ni à Staline.

Mais – et c’est tout notre propos - son discours aux lecteurs du Parisien, ce 4 janvier dernier, révèle une tournure d’esprit, une manière de penser la politique qui fait écho aux concepts de dictature, de tyrannie, et de totalitarisme.

Définissons les termes.

La dictature. Ce n’est pas toujours la tyrannie. Sous la république romaine, le dictateur était un magistrat unique, investi de tous les pouvoirs qu’on nommait extraordinairement, en certaines circonstances critiques, et au maximum pour six mois. Dans le sens moderne, la dictature est le « Régime politique dans lequel le pouvoir est entre les mains d'un seul homme ou d'un groupe restreint qui en use de manière discrétionnaire » https://www.cnrtl.fr/definition/dictature

La dictature donc, « peut être la meilleure ou la pire des formes de gouvernement. » (Jacques Bainville, Les dictateurs, Perrin, 2019, p. 31). Meilleure, si, dans une période troublée, dangereuse, qui nécessite la suppression de certaines libertés publiques, elle cherche véritablement le bien commun. Pire, si elle se sert de ses pleins pouvoirs pour s’attaquer au bien commun au profit d’un homme ou d’une clique. On l’appellera alors tyrannie.

La tyrannie. C’est sans doute le plus facile à comprendre : « Pouvoir arbitraire et absolu d'un souverain, d'une personne ou d'un groupe de personnes détenant l'autorité suprême, caractérisé par un gouvernement d'oppression, d'injustice et de terreur. » https://www.cnrtl.fr/definition/tyrannie.

Ajoutons que, comme Platon l'explique dans "la République", l'injustice naît de l'âme du tyran - le plus à plaindre de tous - tyrannisé lui-même par ses passions et sa démesure.

Le totalitarisme. Inédite dans l’histoire avant le XXème siècle, cette forme de pouvoir dépasse ce que l’on savait déjà de l’éternelle cruauté humaine, et nous plonge dans le mystère insondable du Mal : elle sidère l’intelligence au point d’en troubler l’exercice.

Tentons toutefois d’y voir plus clair.

Parmi les traits qui distinguent le totalitarisme de la tyrannie classique, retenons :

Alors, que conclure de cela ?

D’abord que la politique macronienne est par quelques aspects dictatoriale : Menées par un pouvoir exécutif très centralisé qui a le pouvoir législatif à sa main, les mesures sanitaires (après l’état d’urgence qui a fait suite aux attentats terroristes) constituent des atteintes évidentes aux libertés publiques. Peuvent-elles se justifier par les circonstances exceptionnelles que nous vivons ? Est-il proportionné au danger de contagion d’obliger, par exemple, les promeneurs solitaires à se couvrir le visage en pleine campagne ? A chacun de répondre… 

Plus inquiétantes sont les inflexions tyranniques des propos de monsieur Macron. La malveillance proclamée pour une partie de la population ne laisse pas de doute à ce sujet. « J’ai très envie de les emmerder ». Monsieur le Président a « très envie ». La formule griffe l’oreille (« grande envie » eût été plus correct), mais passons. Elle écorche surtout le cœur : cette façon d’étaler son égo, ce « je », qui pourrait ne pas être haïssable à la seule condition de s’ordonner à plus grand que soi. Ce « je » qui, à défaut de désirer le bien de tous, a des envies… 

La question délicate et troublante concerne les éventuels penchants totalitaires de notre président. Ne tombons pas dans la trop facile reductio ad hitlerum. Cela dit, l’on ne peut s’empêcher de remarquer que le discours macronien suggère ou revendique :

Bientôt la vie tout court ?

 

 Estelle FLORIANI

 

 

Annexe : Le Parisien, le 4 janvier 2022.

Pascal Doublier. La présence du drapeau européen sous l’Arc de Triomphe a scandalisé Valérie Pécresse, Marine Le Pen et Éric Zemmour. Que pensez-vous de cette réaction ?

EMMANUEL MACRON. Cette réaction était disproportionnée et malvenue. Si nous avions retiré le drapeau français, j’aurais pu comprendre. Or le drapeau français est présent lors des cérémonies patriotiques, comme le 8 Mai, le 11 Novembre, le 14 Juillet. Mais si vous passez un jour comme aujourd’hui sous l’Arc de Triomphe, il n’y a pas de drapeau. Ce qui a été fait le 31 décembre au soir et le 1er janvier a été de marquer cette entrée dans la présidence française de l’Union, en inscrivant notre drapeau européen — car il est aussi le nôtre. Là où il n’y avait rien, nous avons mis le drapeau européen. Donc, c’était une mauvaise polémique. Ce drapeau européen, j’en suis fier. Il faut l’assumer car c’est un symbole de paix. En écoutant trop de discours politiques qui opposaient la France à l’Europe, je me disais : ont-ils oublié d’où ils venaient ? Ma grand-mère maternelle est née sous la Première Guerre mondiale en 1916, elle a vu son père revenir estropié et la moitié de sa famille décimée. Elle a été mère au premier jour de la Seconde Guerre mondiale, elle a vu son mari partir à la guerre, puis son premier fils partir à la guerre d’Algérie. Et, ensuite, elle a connu la paix. Nos générations n’ont jamais connu la guerre. J’aime l’Europe parce que c’est un projet de paix.

Isabelle Berrier. La santé n’est pas une compétence européenne. Comptez-vous avancer sur ce sujet pendant votre présidence ?

Oui. L’Europe de la santé a déjà beaucoup avancé, même si ce n’est pas sa compétence, mais celle des États, avec les vaccins. Je veux accélérer les choses afin de permettre d’avoir des programmes de recherche beaucoup plus forts. On a lancé un projet dénommé HERA — Agence européenne de financement de recherche dans la santé — pour que nous continuions à inventer et à produire. On a des stratégies nationales, comme les 7,5 milliards d’euros investis dans la santé dans le cadre du projet France 2030, mais tout cela ne vaut que si on a des coopérations européennes, comme le font les Américains avec une agence fédérale qui leur a permis d’arriver plus vite au vaccin. Si on veut que l’Europe ne dépende pas dans cinq ou dix ans des États-Unis ou de la Chine, on doit mettre beaucoup plus

Pascal Doublier. On a l’impression que la construction européenne piétine, que sur beaucoup de sujets des pays s’opposent pour protéger leurs intérêts nationaux. Comment la rendre plus efficace ?

Par tempérament, il m’arrive aussi de penser que ça va trop lentement… C’est une construction politique inédite. La grande difficulté, c’est comment réduire nos écarts de perception, de sensibilité, nos écarts historiques. C’est le défi des prochaines années. Comment y arriver ? Il faut d’abord considérer que l’Europe, c’est le respect de nos différences qui sont une chance. Ensuite, il faut accepter sur certains points, comme les migrations, de prendre du temps mais de bousculer les habitudes. On va essayer de le faire sur Schengen, l’Europe des migrations. Il faut moderniser cette Europe, où tout se décide à vingt-sept, à l’unanimité. Il faut la transformer. Alors faut-il le faire à vingt-sept, ou une Europe à plusieurs vitesses ? C’est l’objectif de la Conférence sur l’avenir de l’Europe qui se tiendra en mai. On est en train de faire bouger ça. Là, on a décidé de faire tous un impôt minimum de 15 % et de taxer les GAFA (géants du numérique). Victoire ! Il faut être ambitieux. L’Europe n’est sans doute pas au bout de ses propres frontières, les Balkans occidentaux ne seront jamais en paix si on les laisse à part. Mais on ne peut pas garder ces règles de fonctionnement.

Pascal Doublier. Seriez-vous favorable à l’entrée de la Turquie en Europe ?

Non. Le projet politique, civilisationnel que poursuit aujourd’hui le président Erdogan n’est pas conforme aux valeurs de l’Europe. Elle a un projet d’expansion d’islam politique, de non-reconnaissance de Chypre qui est un État membre de l’UE, et une politique agressive en Méditerranée orientale. Mais je souhaite qu’elle ait des liens avec notre Europe parce que c’est ce qui l’arrime à nos valeurs et ce qui évite qu’elle dérive encore plus.

Pascal Doublier. Il y a des crises aux portes de l’Europe, en Ukraine, êtes-vous prêt à perdre une part de souveraineté pour construire une armée européenne ?

Je ne pense pas que nous puissions demain construire une armée européenne, parce que nos modèles d’engagement diffèrent. En Allemagne, le chancelier ne peut pas engager l’armée, par exemple. Ce qui ne nous empêche pas d’intervenir ensemble sur des théâtres d’opérations. Par contre, nous avons besoin d’une défense européenne. Des programmes communs, sinon nous dépendons des autres. Une industrie de défense européenne, avec des grands programmes comme le Scaf (l’avion du futur), le char du futur, des missiles, c’est la clé de la souveraineté. On le fait, et on va continuer à le faire, face aux grands défis du futur, dans la marine, dans le cyber et dans le spatial. C’est un espace d’invention, de recherche, extraordinaire, je crois beaucoup à ce rêve, la présidence française de l’Europe sera une présidence spatiale. J’irai moi-même à Toulouse en février prochain pour présider un Conseil des ministres européen sur le spatial, et je ferai des annonces sur notre stratégie.

Solène Jalet. La Commission européenne vient de qualifier le nucléaire d’énergie verte. Or, pour beaucoup, cette énergie génère toujours des déchets toxiques et est considérée comme dangereuse !

Le nucléaire présente l’avantage extrême de produire de l’énergie de manière décarbonée et non intermittente. Les renouvelables ne produisent pas de CO2, mais ont une faiblesse, c’est qu’elles sont intermittentes. Et ce n’est pas vrai de dire que vous pouvez passer du jour au lendemain du charbon à de l’éolien ou à du solaire parce que le vent ne souffle pas toute la journée et le soleil ne brille pas toute la journée. Nous avons la chance historique d’avoir 70 % de notre électricité produite par le nucléaire. Le Giec dit qu’il n’y aura aucune transition qui se fera dans le monde si on arrête avec le nucléaire. Et donc quelle est la stratégie qu’on doit avoir en Europe ? Partout où on a du charbon, on doit le supprimer. Et on ne peut pas tout faire au gaz parce qu’on dépendra des Russes. Et donc, le cœur de la stratégie européenne doit passer par le nucléaire si on veut décarboner et être plus indépendants. C’est pourquoi nous allons, nous en France, construire des réacteurs de nouvelle génération plus sûrs et qui produisent moins de déchets.

Isabelle Berrier. Je travaille dans un établissement d’accueil pour personnes âgées qui gère une équipe de dix aides-soignants et cinq infirmières. À ce jour, je n’ai plus qu’une seule infirmière. On n’a plus personne pour s’occuper de nos malades et ce n’est pas la prime de 206 euros brut du Ségur de la santé qui va nous faire tenir…

Le Ségur, ce n’est pas une prime, mais une revalorisation pérenne des salaires dans le public, entre 180 et 400 euros par mois, ce qui n’a jamais été fait dans notre pays, c’est inédit. Après, le sujet de la rémunération dans les métiers du soin a créé un problème de manque de personnel. Aujourd’hui, on a des gens qui démissionnent. À la fatigue, s’est ajouté un problème de sens, d’organisation, de conditions de travail et de déclassement. Donc, on va avoir des décisions à prendre, car on arrive au bout d’un modèle.

Mais lesquelles ?

On doit mieux reconnaître les métiers du soin. C’est un chantier colossal. Il faut notamment revoir les temps de travail de certains soignants, reprendre les cycles pour qu’ils travaillent dans de bonnes conditions et en les payant dignement. On doit aussi assurer une formation tout au long de la vie. C’est comme cela que l’on gardera de l’attractivité.

Marie-Eve Lenegre. Ce mercredi a lieu un nouveau Conseil de défense sanitaire. Doit-on s’attendre à des nouvelles mesures ?

Les décisions ont été annoncées la semaine dernière, donc il faut les laisser vivre. On reste sur la direction qui est donnée en cette rentrée de prudence. Au fond, la ligne est simple : c’est vaccination, vaccination, vaccination, et passe vaccinal. C’est l’objectif du texte de loi qui va être voté autour du 15 janvier. L’idée, c’est de mettre beaucoup de contrainte sur les non-vaccinés et, collectivement, de respecter les gestes barrière. Au Conseil de défense, on va faire un suivi de la rentrée des classes, des mesures déjà prises, de l’état de notre système hospitalier.

Hakim Bey. Que pensez-vous de la vaccination pour les 5-11 ans ? Est-ce normal de vacciner les plus jeunes alors que certaines personnes plus âgées ne se font toujours pas vacciner ?

Pour les enfants, c’est d’abord le choix des parents. Mais vacciner les enfants, c’est, au fond, protéger les parents et les grands-parents. Le choix qu’on a fait progressivement pour les adultes, c’est quasiment un choix d’obligation vaccinale. Le 12 juillet dernier, j’ai annoncé le passe sanitaire, mi-octobre, le test payant. Et là, une nouvelle étape avec le passe vaccinal. Cela va maintenant coûter plus cher et être plus contraignant pour ceux qui ne veulent toujours pas se faire vacciner.

Solène Jalet. C’est vrai qu’avec toutes les nouvelles mesures qui sont mises en place, on a l’impression d’une obligation vaccinale déguisée. Alors est-ce qu’officiellement, vous allez rendre la vaccination obligatoire ?

Je nous pose collectivement la question. Faisons l’hypothèse : si demain je dis : « pour tous les adultes, il faut être vacciné ». Comment on le contrôle et quelle est la sanction ? C’est ça, le vrai sujet. Je vais forcer des gens à aller se faire vacciner ? Les emprisonner et puis les vacciner ? Vous allez me dire : « vous êtes quelqu’un de bizarre vous… » On ne fera pas ça. Leur mettre des amendes ? Si j’ai des gens très modestes qui ne sont pas vaccinés, je vais leur mettre 1 000 euros, 2 000 euros, d’amende ?

Isabelle Berrier. Mais tous ces gens-là qui ne sont pas vaccinés sont ceux qui occupent à 85 % les réanimations… Et, par contre, il y a des gens qui sont atteints de cancers dont on reporte les opérations, à qui on ne donne pas l’accès aux soins et qui sont vaccinés !

Ce que vous venez de dire, c’est le meilleur argument. En démocratie, le pire ennemi, c’est le mensonge et la bêtise. Nous mettons une pression sur les non-vaccinés en limitant pour eux, autant que possible, l’accès aux activités de la vie sociale. D’ailleurs, la quasi-totalité des gens, plus de 90 %, y ont adhéré. C’est une toute petite minorité qui est réfractaire. Celle-là, comment on la réduit ? On la réduit, pardon de le dire, comme ça, en l’emmerdant encore davantage. Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français. Je peste toute la journée contre l’administration quand elle les bloque. Eh bien, là, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc, on va continuer de le faire, jusqu’au bout. C’est ça, la stratégie. Je ne vais pas les mettre en prison, je ne vais pas les vacciner de force. Et donc, il faut leur dire : à partir du 15 janvier, vous ne pourrez plus aller au restau, vous ne pourrez plus prendre un canon, vous ne pourrez plus aller boire un café, vous ne pourrez plus aller au théâtre, vous ne pourrez plus aller au ciné…

Isabelle Berrier. Et vous n’allez plus en réanimation… ?

Vous ne pouvez pas placer des soignants face à cela. Parce qu’un soignant, il regarde quelqu’un qui est malade et il ne regarde pas d’où il vient, ce qu’il est.

Isabelle Berrier. Mais aujourd’hui, ils font le tri sur l’hôpital nord de Marseille !

Non. Le tri, ça a un sens. Cela veut dire que quelqu’un arrive aux urgences et qu’on dit : « non, on ne le prend pas ». C’est une ligne rouge pour moi. Des pays ont vécu le tri, au début de cette crise, où on a dit à des parents, à des enfants : on ne le prend pas, on arrête, on ne lui donne pas sa chance. Nous n’avons jamais été confrontés à ça. Aujourd’hui, il n’y a pas de tri. Sur le terrain, j’ai des capteurs constamment. Mais, parce qu’il y a des gens qui refusent toujours de se faire vacciner, ils arrivent aux urgences et ils font que d’autres, doivent être transférés. Mais nous ne sommes pas aujourd’hui dans une situation où nos services d’urgence ne peuvent pas accueillir tous les patients. Moi, ma responsabilité, c’est que le pays ne se désunisse pas dans ces débats-là. Le fait même que l’on pose la question du refus de soin pour des gens non vaccinés est un drôle de virus. Et ça, c’est l’immense faute morale des antivax : ils viennent saper ce qu’est la solidité d’une nation. Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen.

Juliette Baux de Castro. Je suis enseignante et je regrette de découvrir souvent les annonces de nouveaux protocoles dans les médias plutôt que d’abord par notre hiérarchie. Comment fluidifier la communication ?

Vous avez raison. Je vous donne le point. Il faut plus d’anticipation et plus de temps aux rectorats pour communiquer avec les écoles en amont. Le problème, c’est que l’on est dans une société de l’immédiat, tout va tellement vite avec l’information sur les réseaux sociaux ! C’est vrai que les ministres, à peine ont-ils dit une chose, ça se retrouve rapidement partout. Chacun a accès à l’information à 360 degrés.

Hakim Bey. À combien s’élève le quoi qu’il en coûte ? Va-t-il engendrer de nouveaux impôts ? Qui va payer ?

Le quoi qu’il en coûte, c’est 15 % du PIB. Le coût sur l’ensemble de l’économie, si on ne l’avait pas fait, serait monté à 45 % du PIB. Grâce à nos mesures, on en ressort avec un chômage qui a baissé et une croissance historique, donc c’était un bon choix. Alors maintenant qui va payer ? D’abord, oui, cette dette il va falloir la payer. Mais avec de l’activité. Moi, tant que je serai dans mes fonctions, il n’y aura pas d’augmentation d’impôts. Dans cette crise sanitaire, j’ai même continué de baisser les impôts. C’est par notre capacité à produire davantage et exporter, que nous pourrons progressivement dégager les surplus qui permettront de rembourser la dette.

Marie-Eve Lenegre. J’ai hérité de ma marraine et l’État français m’a volé 60 % de l’héritage, je trouve ça scandaleux. Quand est-ce que vous allez arrêter ça ?

Rappelons d’abord que l’impôt, c’est ce qui permet de financer tous les services publics. Ceci étant dit, je pense qu’il y a un sujet sur ce que j’appellerais la « transmission populaire », c’est-à-dire lorsqu’on n’est pas sur des montants exorbitants. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu’il faut augmenter les droits de succession à tout-va, au contraire. Nous sommes une nation de paysans dans notre psychologie collective ce qui est une force. Nous avons cela dans notre ADN et donc la transmission est importante pour nous. Donc, je pense qu’il y a des choses à améliorer. Il faut plutôt accompagner les gens pour les aider à transmettre les patrimoines modestes. Votre problème est toutefois très spécifique : vous seriez en filiation directe, vous auriez été beaucoup moins taxée.

Juliette Baux de Castro. Que faire pour améliorer le salaire des enseignants ? Madame Hidalgo promet de doubler sur cinq ans les salaires pour rattraper les salaires allemands…

Oui, je pense qu’on peut améliorer. Mais j’ai aussi un rapport de la Cour des comptes qui montre que le temps de l’enseignement en France n’est pas satisfaisant par rapport au nombre d’enseignants embauchés. Pourquoi ? Car on a un système trop rigide. Et comme pour les soignants, il faut redonner du sens sur le terrain. Il faut revaloriser les salaires, certes, mais surtout repenser la fonction. Le sujet, c’est le temps scolaire et la liberté qu’on peut donner à certaines écoles de bâtir leur propre projet pédagogique selon leur territoire.

Marie-Eve Lenegre. Dans les quartiers nord à Marseille, il n’y a pas que chez McDo qu’il y a des « drive », il y a aussi des drives de drogue. Quand vous traversez ces quartiers, c’est incroyable, ils font la loi, ils barrent des rues pour faire leur trafic… Quand allez-vous envoyer la police ou la gendarmerie ?

La difficulté, c’est que l’on a un système de la drogue qui s’est mondialisé, qui s’est professionnalisé et numérisé. Nous aussi on s’est modernisé, on y va, on les harcèle, on ne lâchera rien. La drogue, il n’y a pas de vendeurs s’il n’y a pas de consommateurs. Il faut de l’argent pour acheter de la drogue. C’est rarement dans les quartiers populaires qu’on la consomme, c’est là qu’on la vend. C’est dans les quartiers riches qu’on la consomme. On est une nation, de citoyens tous solidaires, et donc, plus chacun fait la traque aux pratiques, même festives, plus on peut réduire cela. Les gens qui consomment de la drogue dans les soirées sympathiques, ce sont des gens qui financent ces systèmes mafieux et l’insécurité des quartiers les plus populaires.

Juliette Baux de Castro. On est parfois très seuls, dans nos classes, face aux problèmes qu’on rencontre, notamment lorsqu’on enseigne les valeurs de la laïcité. Je n’ai pas besoin de vous rappeler l’assassinat de Samuel Paty… Comment mieux soutenir les enseignants ?

Il faut les soutenir absolument. Pendant des années, nous n’avons pas assez formé les enseignants à la laïcité. On a amélioré les choses, nous ne sommes pas au bout de ce travail. La laïcité doit en faire partie : apprendre en substance et en profondeur ce que c’est, apprendre comment l’enseigner et savoir comment réagir aux provocations ou à des pratiques qui ne sont pas acceptables. Quand il y a un problème, on doit en parler et le régler. Quand il y a un problème, quand la laïcité n’est pas dûment respectée, la hiérarchie doit être au côté de l’enseignant pour expliquer à la famille, à l’enfant, quels sont leurs devoirs. Nous avons, concitoyens, des devoirs avant d’avoir des droits. Il ne faut, en la matière, aucune faiblesse.

Tom Rial. Vous aviez promis d’interdire le glyphosate. Vous ne l’avez pas fait. On a l’impression que sur l’écologie, vous agissez plutôt par raison, alors que sur l’économie les sujets vous font vibrer !

Je plaide le contraire, l’écologie ne me fait pas moins vibrer ! On ne pourra plus produire de la même manière. Cette pandémie nous l’a montré : on ne peut pas être des citoyens en bonne santé si on ne l’intègre pas. On a doublé les surfaces en bio et amélioré la situation en matière de bien-être animal. J’assume d’avoir donné la priorité à la sortie des phytosanitaires les plus dangereux, les plus cancérigènes. On les a réduits de 94 % au cours du quinquennat. Sur le glyphosate, nous, les Français, avons été à la pointe au niveau européen, en refusant la prolongation de dix ans qui se préparait en 2018. On a dit « on va essayer de sortir en trois ans ». Sur le glyphosate, je n’ai pas réussi. Certains agriculteurs m’ont dit que si on les obligeait à sortir rapidement, ils allaient mettre la clé sous la porte, parce que leurs concurrents espagnols ou italiens, eux, pouvaient continuer à produire. C’est l’erreur que j’ai commise en début de quinquennat : il faut agir sur ces sujets au niveau européen. Cela ne marche pas si on le fait tout seul. Je ne peux pas mettre des agriculteurs dans des impasses et sans solution. On est à l’heure des solutions pratiques.

Hakim Bey. On assiste à une montée des extrêmes. Que comptez-vous faire pour contrer ce phénomène ?

On assiste à une montée des discours d’extrême droite. Il y a une fascination du conflit, du clash, du sensationnel. L’émotion négative prend trop d’importance. Sa sphère de jeu sont les plateaux télé et les réseaux sociaux. On en a vu les conséquences dans la société américaine. On ne peut pas déplorer l’attaque du Capitole et en même temps chérir les causes qui ont produit ces effets. Nous devons nous interroger sur nous-même. Il y a une discipline du débat citoyen. C’est une responsabilité des partis politiques, des médias et des réseaux sociaux, qui orientent nos choix. Il faut combattre la montée des excès, en mettant plus de raison dans le débat collectif et moins de passions négatives. Autant que la montée des extrêmes, c’est l’abstention qui nous guette…

Solène Jalet. Justement, quelles sont les actions concrètes pour inciter les jeunes à voter ?

Si vous ne votez pas, vous donnez plus de poids aux autres. On ne peut pas dire qu’on veut changer la société sans participer. La démocratie, c’est d’abord le vote. Je veux lutter contre une société de l’abstention et de la violence. Vous n’avez pas le droit d’être violent contre les maires, les députés et le président, aussi parce que vous pouvez les changer à chaque échéance. Le vote est une obligation citoyenne. C’est un droit de vote et c’est un devoir de l’exercer. À nous d’innover aussi dans les pratiques.

Solène Jalet. Pourquoi ne pas rendre le vote obligatoire ?

Mais vous êtes obsédée par les obligations (rires)  ! Il faut réussir ensemble à bâtir de la confiance. Ce n’est pas quelque chose qui se décrète.

Hakim Bey. Mais, au fait, vous présenterez-vous à la prochaine présidentielle ?

J’aime notre pays, j’ai beaucoup d’ambition pour lui. Je me bats depuis cinq ans pour que cela aille mieux. J’ai plutôt à cœur qu’il continue à aller mieux. Après, le temps viendra… Si je m’exprime aujourd’hui, quelle va être ma capacité à gérer le pic d’une crise sanitaire ? En tout cas, est-ce que je continue à avoir des ambitions, des rêves et des volontés pour notre pays ? Oui. Est-ce le temps des choix personnels alors que j’ai des décisions importantes à prendre à très court terme face à la pandémie ? Non. Est-ce que ce moment va venir, plutôt tôt que tard compte tenu du calendrier ? Oui. Cette décision se consolide en mon for intérieur. J’ai besoin d’être sûr d’être en capacité d’aller aussi loin que ce que je veux.

Marie-Eve Lenegre. Quand on vous voit, on n’imagine pas une seconde que vous ne serez pas candidat !

Il y a sept ans, je n’étais pas en politique. Il y a cinq ans, peu de gens misaient sur votre serviteur. Je ne veux pas garder un mandat pour avoir un mandat. Si je me représente, que je suis réélu et que je me contente de gérer dans un second mandat, dans cinq ou dix ans, les gens me feront des reproches légitimes. Gérer des crises, c’est bon, j’ai connu (sourire). Mais la question, c’est de restaurer la force de notre nation et de faire face aux défis qu’on a évoqués écologiques, éducatifs, sanitaires… C’est ce que je dois conforter dans les semaines qui viennent. Mais il n’y a pas de faux suspense. J’ai envie. Dès qu’il y aura les conditions sanitaires qui le permettent et que j’aurai clarifié ce sujet, en moi-même et par rapport à l’équation politique, je dirai ce qu’il en est avec la même liberté car je ne veux rien m’interdire. J’ai toujours été libre, c’est ce qui m’a permis de faire.

Solène Jalet. Cette campagne est marquée par la présence de nombreuses femmes, de Valérie Pécresse à Anne Hidalgo en passant par Marine Le Pen et peut-être Christiane Taubira. Est-ce le moment pour qu’une femme prenne la tête du pays ?

Pour la vie de la nation, c’est une très bonne chose qu’il y ait des femmes candidates. Par ailleurs, il faut continuer à travailler sur un agenda féministe et ce n’est pas uniquement aux femmes de le porter. J’assume d’avoir été plus féministe, il y a cinq ans, que beaucoup de candidates femmes. J’ai parfois été raillé par ceux qui le sont devenus. En octobre 2016, je disais que le premier problème était l’insécurité pour les femmes dans les transports. On a vu que c’était en effet un sujet. On doit continuer à se battre sur l’égalité salariale dans les conseils d’administration, dans les entreprises ou contre les violences faites aux femmes et les féminicides. Les premiers jours de l’année ont montré que ce combat était loin d’être terminé. C’est une honte pour notre pays de voir que plusieurs femmes sont déjà tombées sous les coups de leurs conjoints. Ce n’est pas seulement le sujet des femmes. Mais de tout le monde. »

https://www.leparisien.fr/politique/europe-vaccination-presidentielle-emmanuel-macron-se-livre-a-nos-lecteurs-04-01-2022-2KVQ3ESNSREABMTDWR25OMGWEA.php?xtor=AD-366

 


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