CoVid-19 une communication d’embrouille

par LATOUILLE
mardi 18 août 2020

 

Le gouvernement et les médecins disent que les gens sont indisciplinés, qu'ils ne respectent pas les gestes barrières. Mais les gens ont-ils été correctement informés des dangers de la COVID19, la communication a-t-elle été efficace ? Deux pans de la communication relative à la COVID19 sont à analyser : celle du président Macron et celles des médecins orchestrée par les médias. Je laisse de côté le travail des médias qui à lui seul mérite une longue analyse...

Dès la première intervention télévisée d’Emmanuel Macron le 12 mars il m’apparut qu’il fallait écrire à propos de la communication autour de la COVID19. Les propos du président de la République me semblaient insipides, bêtifiants et fortement teintés d’une volonté d’infantiliser les citoyens et très peu organisés en vue d’une action offensive contre la pandémie. En quelque sorte je ne voyais dans ce discours qu’une pâle resucée de propos anciens et de quelques principes d’une philosophie qui ne serait que de salon. Il faut aussi observer comment la communication des autres acteurs dans la pandémie : médecins, journalistes, a contribué à renforcer l’inefficacité du discours présidentiel.

 

La volonté du discours apparaissait comme voulant mettre en avant l’émotion plus que la raison. Comment ne pas faire pleurer dans les chaumières avec une telle phrase : « J’ai vu il y a quelques jours, au SAMU de Paris, une mobilisation magnifique, émouvante, exemplaire, où des étudiants, à quelques mois de leur concours, étaient là pour répondre aux appels, aider, et où des médecins à peine retraités étaient revenus pour prêter main-forte. » ? On n’en n’appelle pas à la raison de citoyens adultes mais à leur émotion : la mobilisation des personnels soignants est « émouvante », a-t-on besoin de M. Macron pour avoir une émotion désintéressée vis-à-vis du travail de ces personnes qui toutefois si elles ont été durement mises à contribution n’ont jamais accompli que le travail qui est le leur. La mobilisation, bien que normale et naturelle, habituelle et déontologique, est donc qualifiée par M. Macron de magnifique et exemplaire. Magnifique est encensoir, il s’agit de mettre en évidence, de placer au-dessus des autres certaines personnes, une qualification et une désignation que l’on renforce avec le mot exemplaire. Bien vite d’autres catégories de personnes que l’on dénommera comme étant les premiers de corvée apparaîtront comme les grands oubliés du paternalisme macronien, atténuant notoirement la portée du discours. Le soutien de Bruno Jeudy qui commentait ainsi le discours présidentiel du 16 mars : « [le président] s’est positionné en père de famille [...] en première ligne de cette guerre sanitaire ».

 

La référence au « père de famille » n’a guère de sens, un pays et même une nation ne sont en rien assimilable à une famille ; cette référence possède aussi une forte connotation patriarcale de nos jours complètement dépassée et inappropriée. Bruno Jeudy, peut-être, pensait au rêve macronien où le président serait la « père de la Nation ». Je renverrais volontiers ce chroniqueur à la magnifique conférence de Memel-Fotê Harris[1] qui rappelait les propos de Raphaël Lakpi : « Le temps des Pères de la Nation est révolu » ou encore « Une Nation ne peut pas avoir un père. Elle est le résultat de la volonté un peuple façonné par le temps. » et montrait l’incompatibilité absolue entre l’idée qu’une nation aurait un père et le principe de démocratie. Si dans une famille, pour faire simple, on ne choisit pas le père, dans un pays on choisit le président. En outre pourquoi « père » et pas « mère » ? Sottise donc que cette tentative d’infantilisation des citoyens. François Hollande avait eu un réflexe communicationnel identique : « Bien plus que lors de ses précédents vœux, c’est en Père de la nation” que Hollande a tenté de se poser. Le souffle court trahissant à deux reprises son émotion[2]. », chacun sait comment cela lui fut profitable. Il n’est pas certain qu’une communication d’un gouvernant organisée autour de l’émotion soit profitable et efficace, au regard du cas Hollande j’oserai dire que ce type de communication est contre-productif et inefficace. Il y a beaucoup à dire sur l’usage de l’émotion dans le discours politique, ce n’est pas le propos ici et je renverrai volontiers à l’article de Barbara H. Rosenwein[3] qui notamment évoque la notion de « communautés émotionnelles » intimement liées au milieu social tel l’école, la famille dans lequel on étudiera « les liens émotionnels et leurs modes d’expression ». Dans le cas du discours politique, plus qu’ailleurs, il est indispensable de définir et de caractériser les émotions comme le fait Gabrielle Charbonneau[4] car dans le cas qui nous occupe la communauté émotionnelle ne va pas de soi, elle est à créer. Comme le rappelle Christian Le Bart[5] : « Dans tous ces cas, la parole présidentielle est l’occasion de dire l’émotion en sa forme la plus institutionnelle (ce qui, répétons-le, suppose une parfaite maîtrise de l’émotion) ; elle s’inscrit dans un contexte cérémoniel qui impose l’émotion à tous (minute de silence dans les écoles...) ; elle est enfin l’occasion d’affirmer un leadership par les émotions dont l’éclat tranchera fortement avec le sentiment d’impuissance face aux malheurs déplorés (les attentats, la mort...). » Le discours politique doit, pour être efficace, faire appel aux émotions collectives. Or dans une société où on est plus dans le phantasme que dans l’idéologie l’appel à la Nation n’a pas beaucoup d’impact, comme dans cette société où l’individuel et la quête du plaisir organise la vie plus que le sens du partage et du collectif (je n’utilise pas le mot communauté tellement dégradé par le discours politicien) est-ce que l’appel à reconnaître le travail d’une partie, somme toute infime, de la population tout en délaissant une autre partie peut-il créer de l’émotion, une émotion collective et une communauté d’émotions ? En outre, est-ce que les citoyens attendent d’un président de la République qu’il vienne leur dire où et pour qui ils doivent s’émouvoir, envers qui ils doivent être reconnaissants ? Le faire c’est prendre les gens pour des enfants qui, faute de connaître la vie, ont besoin qu’on leur explique, qu’on les guide quand ce n’est qu’on leur tienne la main.

 

M. Macron continuait dans cette veine en expliquant ce que les gens savent faire et font chaque fois qu’un accident se produit : n’a-t-il jamais vu les élans de solidarité lors d’incendies, d’inondations ? Ainsi asséna-t-il aux benêts que sont les habitants de ce pays : « Mes chers compatriotes, toutes ces mesures sont nécessaires pour notre sécurité à tous et je vous demande de faire bloc autour d’elles. On ne vient pas, en effet, à bout d’une crise d’une telle ampleur sans faire bloc. On ne vient pas à bout d’une crise d’une telle ampleur sans une grande discipline individuelle et collective, sans une unité. », « Je compte sur vous aussi pour prendre soin des plus vulnérables de nos compatriotes, ne pas rendre visite à nos aînés. C’est, j’en ai bien conscience, un crève-cœur. C’est pourtant nécessaire temporairement. Écrivez, téléphonez, prenez des nouvelles, protégez en limitant les visites. » L’expérience a d’ailleurs montré que des solidarités se sont mises en place rapidement et surtout avant son discours : des actions individuelles ou de groupes, avec des associations caritatives ou à caractère social… Les citoyens n’attendent pas d’un président de la République qu’il les prenne par la main pour leur expliquer qu’il faut aider ceux qui souffrent et comment le faire.

 

Mais, M. Macron, jupitérien, voudrait donner à voir de lui l’image d’une figure tutélaire : « Je compte sur vous toutes et tous pour faire Nation au fond. Pour réveiller ce qu’il y a de meilleur en nous, pour révéler cette âme généreuse qui, par le passé, a permis à la France d’affronter les plus dures épreuves. », « Mais le temps, aujourd’hui, est à la protection de nos concitoyens et à la cohésion de la Nation. Le temps est à cette union sacrée qui consiste à suivre tous ensemble un même chemin, à ne céder à aucune panique, aucune peur, aucune facilité, mais à retrouver cette force d’âme qui est la nôtre et qui a permis à notre peuple de surmonter tant de crises à travers l’histoire. » « La France unie, c’est notre meilleur atout dans la période troublée que nous traversons. Nous tiendrons tous ensemble. »

 

On ne devient pas une figure tutélaire parce qu’on le décide, ce sont les circonstances qui proposent et les personnes qui décident. Il faut relier ce processus de création de la figure tutélaire au concept de légitimité charismatique décrit par Max Weber ; il faut un contexte particulier où peut émerger une relation sociale particulière, voire singulière, dans laquelle la position du dirigeant, la domination qu’il exerce ainsi que la forme d’obéissance obtenue possèdent un caractère spécifique. Cette relation s’inscrit dans le cadre de relations sociales structurées entre un chef et ses adeptes qui conduisent à créer une communauté émotionnelle avec en corollaire un attachement personnel fort au chef. Dans le cadre de l’analyse wébérienne nous pouvons envisager qu’à défaut d’un contexte existant on puisse créer, par la communication, une situation émotionnelle de nature à permettre l’émergence d’une figure tutélaire ; c’est ce que tenta de faire M. Macron lors de son intervention télévisée du 16 mars avec la rhétorique de la guerre : « Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire, certes : nous ne luttons ni contre une armée, ni contre une autre Nation. Mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse. Et cela requiert notre mobilisation générale. Nous sommes en guerre. Toute l’action du Gouvernement et du Parlement doit être désormais tournée vers le combat contre l’épidémie. De jour comme de nuit, rien ne doit nous en divertir. » Mais la guerre ça ne parle plus à personne, ça ne fait pas image ! Les gens ne connaissent plus la guerre que par quelques images télévisées ; quelles émotions, souffrance et peur partagent-ils à son propos. Alors, l’appel à la guerre ne peut pas, chez nous, être fédérateur d’une communauté émotionnelle. Apparemment, au vu des sondages d’opinion, ça n’a pas fonctionné. Les citoyens n’ont pas adhéré, or l’adhésion est un des caractères essentiels de la légitimité charismatique qui repose beaucoup sur une relation émotionnelle entre le « chef » et les « adeptes ». Ça n’a pas fonctionné comme ça ne fonctionne pas depuis le mois de mai 2017 en raison de sa posture, de ses montages syntaxiques et du contenu de ses discours, je viens d’en montrer un aperçu. Une longue analyse serait nécessaire pour étayer cette thèse, mais le propos n’est pas là aujourd’hui. Ce qui est important aujourd’hui c’est que M. Macron avait, avec la pandémie, une incroyable occasion d’affirmer une image tutélaire et d’enclencher cette légitimité et cette domination charismatiques auxquelles il rêve tant. Il a raté l’occasion, outre ce que je viens d’écrire, essentiellement pour deux raisons : il a trop délégué la parole et cette parole était trop floue, souvent contradictoire voire incohérente.

 

Quand on veut être le chef on agit en chef, pas en animateur de groupe, c’est d’autant plus vrai si on est en guerre. Si on peut louer la démarche « démocratique » du président qui sait donner un espace d’expression à ses ministres chacun a pu constater que cette expression n’était pas une parole unique, qu’il y avait des divergences que le « les choses évoluent alors on adapte » ne peut pas masquer. Dans ses deux premières interventions télévisées le président de la République avait donné des indications claires concernant le confinement et les gestes barrières, là où il eut fallu des injonctions : « Je compte sur vous pour respecter les consignes qui sont et seront données par les autorités, et en particulier ces fameux gestes barrières contre le virus. Elles sont, aujourd’hui encore, trop peu appliquées. Cela veut dire se laver les mains suffisamment longtemps avec du savon ou avec des gels hydroalcooliques. Cela veut dire saluer sans embrasser ou serrer la main pour ne pas se transmettre le virus. Cela veut dire se tenir à distance d’un mètre. Ces gestes peuvent vous paraître anodins. Ils sauvent des vies, des vies. C’est pourquoi, mes chers compatriotes, je vous appelle solennellement à les adopter. » Ce n’est pas lui mais les « autorités » qui décident des mesures à mettre en œuvre, il n’impose pas les « gestes barrières » il invite les citoyens à les « adopter ». Dans ce discours il est le conseiller, celui qui exprime ce qu’il faudrait faire mais il ne s’affirme pas comme « chef » ; comme si les actions pratiques le rebutaient, il déléguait l’annonce des consignes à ses ministres : « Le ministre de la Santé aura l’occasion aussi de préciser, dans les prochaines heures, les règles pour que nous vous aidions à bien vous protéger contre le virus.  » Le Premier ministre, Edouard Philippe, était beaucoup plus directif dans ses discours. Interrogé par TF1 le 2 avril sur le respect des mesures de confinement, il en a appelé au civisme des Français. « La pire des choses, ce serait que cette discipline (du confinement) se fragilise au fur et à mesure du temps, a-t-il déclaré. Rester chez soi, c’est aider les soignants. Certes, ce sont les vacances à partir de samedi dans certaines régions de France. Mais le virus n’est pas en vacances. », « Il ne doit pas y avoir de départ en vacances  », mettant en garde les candidats au voyage il ajoutait « ll y aura des contrôles. Le confinement, ce n’est pas se déplacer en France pour essayer de passer un moment moins difficile que chez soi. » Ses interventions extrêmement claires, sans masque, énonçaient toujours des décisions et des consignes limpides et précises qui ne se cachaient derrière aucun conseil scientifique. Edouard Philippe s’est montré « en chef », les Français ne s’y sont pas trompés et lui ont accordé une cote de popularité bien plus haute que celle qu’ils accordaient au président de la République.

 

À l’inverse de Edouard Philippe, le ministre de la santé, Olivier Veran, se montrait moins clair, moins directif, souvent imprécis voire menteur comme sur l’affaire des masques, des tests et de l’appareillage médical. Quant au ministre de l’éducation nationale, il semblait hors sol, nous gratifiant d’annonces souvent démenties ; comme le révélait France Info jeudi 12 mars, Jean‑Michel Blanquer avait écarté fermement toute mesure de fermeture des écoles : « Nous n’avons jamais envisagé la fermeture totale de toutes les écoles de France. » À ce désordre communicationnel vinrent s’ajouter les élucubrations de la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye qui expliquait l’inutilité du port du masque puisque les gens ne savent pas les utiliser, ou qui fustigeait les enseignants qui selon elle ne travaillaient pas tout en prenant la précaution oratoire de ne pas leur proposer n’importe quoi : «  Nous n’entendons pas demander à un enseignant qui aujourd’hui ne travaille pas compte tenu de la fermeture des écoles de traverser toute la France pour aller récolter des fraises.  », alors que les enseignants travaillaient, même plus que d’ordinaire, pour organiser tous leurs enseignements à distance depuis chez eux et certains assuraient l’accueil des enfants des personnels soignants. La porte‑parole du gouvernement a rétropédalé, bien entendu trop tard, en écrivant sur Twitter : « Mon exemple n’était pas le bon », mais il ne s’agissait que de la cueillette des fraises, elle ne démentait pas l’ostracisation des enseignants.

 

Délégant la parole, Emmanuel Macron perdait toute chance d’apparaître comme le chef de la Nation, en outre la délégation instaure une parole floue, apparaissant souvent contradictoire voire incohérente. Ce phénomène a été très amplement alimenté et augmenté par trois choses : la délégation d’une partie de la décision d’action « au terrain » (préfets et maires), la communication directe des avis du Conseil scientifique et les prises de paroles de ses membres, la communication débridée et émotionnelle organisée par les médias.

 

Je ne m’étendrai pas sur la délégation de la décision de l’action aux préfets et aux élus locaux car chacun voit bien en quoi ça amoindrit la « force du chef » qui dit que d’autres savent mieux que lui ce qu’il faut faire. Il ne s’agit pas de distribuer des permis de construire ou d’ouvrir des centres de loisirs, il s’agit de lutter contre une pandémie qui a tué plus de 30 000 personnes, qui à fait éclater le système se santé, qui a bouleversé le système économique, de surcroît le président de la République en appelait à la rhétorique de la guerre !

 

Et il y avait le Conseil Scientifique qui est là pour conseiller les gouvernants et leur permettre de prendre des décisions en connaissance de la chose scientifique au regard des autres composantes de la situation. Par essence des avis ne sont pas des décisions ; ainsi, n’est-il pas saugrenu que des décisions prises par le gouvernement s’éloignent du strict avis du conseil scientifique. La communication des avis du conseil scientifique par ses membres devant les médias a parfois, parce qu’ils s’éloignaient de la décision gouvernementale, pu créer de l’incompréhension, des doutes, de la suspicion dans le public. Qui des scientifiques et du gouvernement a raison ? À cela s’ajoutaient les avis d’une foultitude d’experts : Haut Conseil de santé publique, Académie de médecine, CNRS, Santé France, chacune de ces instances pouvant avoir des avis qui divergeaient d’avec ceux des autres. Comment les citoyens pouvaient-ils s’y retrouver et adopter une attitude cohérente et « offensive » face au virus, notamment quant au port du masque. Certains le préconisaient partout, d’autres uniquement dans les espaces clos, certains le voulaient pour tous, d’autres ne le souhaitaient pas pour les écoliers… et la querelle d’école continue aujourd’hui.

 

Ces positions d’écoles furent, et sont encore, largement diffusées sur les médias qui non contents de porter la parole des instances scientifiques ont augmenté chez les citoyens l’effet de flou et d’incohérence voire de mensonge en multipliant les interviews de médecins de tous horizons aux discours souvent discordants. Certains dont les stars de la télévision comme Michel Cymès[6] qui expliquera plus tard, en forme d’excuse, que « chaque heure ça change ». Les excuses n’effacent jamais ni les erreurs ni les vilénies. D’autres repentis sont venus expliquer comme le directeur général de la santé « qu’avant de savoir on ne sait pas », bel aphorisme qui n’efface pas qu’au début de l’épidémie, parlaient de « grippette », et qu’on ne recommandait pas voire s’opposaient à la fermeture des établissements scolaires et bien sûr au confinement ; n’y eut-il pas la star des urgentistes, Patrick Pelloux accompagné d’un gériatre, qui vint expliquer sur BFM TV que fermer les écoles et interrompre les transports en communs c’était empêcher les soignants de venir travailler : les enseignants et les personnels communaux sont venus ouvrir des écoles pour accueillir les enfants des soignants et comment n’aurait-on pas été capables d’assurer un service spécial de transport pour les soignants quand on a su transporter d’un bout à l’autre du pays des malades sous appareil respiratoire. Dans ce mélimélo de discussion de savants sachants une partie de la population ne comprenait pas mais en plus s’est sentie exclue : les Premiers de Corvée qui devaient aller travailler en laissant leurs gosses à la maison. Une dimension sociale superbement ignorée du conseil scientifique et des savants médecins qui plastronnaient dans la lucarne. Il y en eu d’autres plus prudents qui manifestaient leur ignorance face à un virus nouveau donc aux effets inconnus et appelaient à la prudence, ils étaient rares et peu invités par les médias. Pour le quidam, qui croire ?

 

Un beau jour, les services de réanimation submergés voire menaçant de s’écrouler sous le poids des hospitalisations, tout ce monde médical (les scientifiques : virologues, biologistes, zoologues ont été oubliés par les médias) devint unanime pour reconnaître que l’affaire était grave, pour autant les avis continuèrent à diverger quant à la conduite à tenir : masque, pas masque, rassemblement, pas rassemblement. La porte‑parole du gouvernement ajoutant à la confusion en expliquant que le masque ne serait pas utile puisque nous ne savons pas l’utiliser correctement, benêts que nous sommes.

 

La science n’est que la science où la vérité peut être multiple, surtout si on n’a pas fixé le point de discussion central, et elle n’est toujours que provisoire. Nous sommes avec la COVID19 dans une illustration archétypale de ce qu’est la science quand elle parle d’un objet qu’elle découvre et dont, par essence, elle ne sait rien. Là où les bons scientifiques font œuvre de modestie et d’humilité on a vu des monstres d’orgueil venir déverser devant les médias un flot d’incertitudes et de contradictions, l’histoire de la chloroquine et celle du tabac « protecteur » furent de splendides démonstrations de tromperies « scientifiques ». La médecine, qui est un art, une pratique plus qu’une science, c’est aussi l’incertitude, encore faut‑il savoir le reconnaître et ne pas confondre corrélation et causalité.

 

Comme le font les journalistes trop de médecins dans cette situation d’épidémie confondent, dans leurs discours publics au moins, la corrélation qui est le fait que deux choses sont en interrelation et la causalité qui veut que l’une a un effet sur l’autre. Ainsi, lorsqu’un médecin de santé publique vient régulièrement rappeler qu’il n’est pas utile d’interdire les rassemblements puisque la très grande majorité des clusters sont « familiaux » il dit une sottise de nature à introduire de la confusion dans les esprits et à encourager les rassemblements. Il y a bien une relation entre un rassemblement familial et l’émergence d’un cluster, mais pas d’effet de causalité. Le rassemblement familial n’est pas porteur du virus ni créateur du virus, celui-ci n’apparaissant pas par génération spontanée il faut bien qu’il soit importé dans le rassemblement familial par un de ses membres. Ce membre infectant a d’autant plus de chances d’avoir été infecté qu’il aura fréquenté des rassemblements où se retrouvaient de très nombreuses personnes ; on évitera de refaire ici la théorie du patent R0, de la multiplication exponentielle des cas, des taux d’infection, etc. Ce même médecin n’en finit pas avec la sottise lorsqu’il nous expose qu’il n’y a pas de cluster dans les transports en commun ; comment pourrait-il y en avoir dans ces lieux où les gens ne séjournent pas, où on ne peut pas les repérer ni les « pister », et où le masque est absolument obligatoire. Rappelons qu’un cluster c’est le groupement d’un petit nombre d’objets, il faut donc un lieu et que les personnes y séjournent ensemble durant un temps long. Mais ce qui est vrai pour les bus et les trains semble bien moins vrai pour les avions est faux pour les bateaux de croisière, il oublie d’en parler.

 

Outre le manque de rigueur dans le montage de l’information les médias ont créé des stars médicales dont la parole devenue divinisée ne peut plus être l’objet d’aucune critique. Désormais le quidam est sommé de rentrer en religion et d’adopter le dogme qui lui convient le mieux, n’a‑t‑on pas vu des politiciens, plutôt des politicards, prendre parti pour tel médecin et sa poudre de perlimpinpin, le président de la République lui‑même en fit la publicité avant de se rétracter. Quelle science est celle de M. Macron qui a besoin de se rendre dans un laboratoire d’alchimiste pour « se rendre compte » mettant ainsi en doute la parole du conseil scientifique ? Dès lors quel crédit le citoyen doit-il accorder au conseil scientifique ? Pour être complet il faudrait ajouter à la critique de la communication relative à la COVID19 l’ensemble des valses hésitations dansées par les décideurs : là on « masque », là on s’abstient, là on se rassemble, là on se disperse… autant d’hésitations, autant d’exceptions, autant de lenteur à décider, autant d’absence de décisions sous prétexte que le « terrain » connaît mieux le sujet, sont autant d’obstacles à une communication efficace et ne font que créer le doute, l’incertitude avant d’engendrer le rejet de toute décision.

 

En temps de crise une bonne communication ne peut être que le fait d’une seule source et n’exprimer qu’une ligne de décisions prises rapidement. Une fois une décision prise la communication s’organise en quatre temps au cours desquels on définit : ce qu’on veut dire, pourquoi faut-il le dire (sachant que certaines choses ne sont peut-être pas nécessairement à dire), à qui on veut le dire (on ne s’adresse pas de la même façon à tous, il faut différencier les discours et segmenter les auditoires), et comment faut-il le dire. Dans un cinquième temps il faut être attentif au feed-back qui ne consiste pas à inventer des réponses, à se mettre à la place de l’Autre, mais qui consiste à écouter l’Autre.

 

Et quand les médias sont incapables de produire une information rationnelle, quand ils ne sont intéressés que par le sensationnalisme et l’émotionnel, quand ils organisent l’ignorance par un raz de marée de statistiques et une surinformation scientifique qui n’informe plus, quand les médias abandonnent l’analyse et surtout sur l’analyse critique, peut‑être le devoir des gouvernants serait-il comme dans une communication de guerre de les museler à l’instar de ce qu’écrit Michel Mahieu[7] : « Plus qu’aucune « communication de crise », la communication de guerre est le prolongement direct du dessein politique de « faire la guerre » et de sa logique : la poussée aux extrêmes dans l’usage de la force qui en découle pour les parties. Celle-ci peut‑elle se faire sans la prise en compte des mass media ? Au cours de l’histoire, y compris au sein des régimes démocratiques, les réponses à cette question ont été variables. Ainsi, en 1914, la France instaurait l’« union sacrée » et la Chambre des députés votait légitimement la censure de la presse. »

 

Quand je corrobore mon analyse à la longue litanie des morts et des hospitalisations qu’égrenait chaque soir le directeur général de la santé, je me demande si cette mauvaise communication qui n’incombe pas qu’au prédisent de la République, n’a pas pour but unique d’installer la peur et l’indiscipline pour mieux favoriser des mesures d’exceptions notamment de contrôle des populations et des citoyens. Les historiens et les sociologues auront beaucoup à dire dans quelques années sur cet épisode à travers l’analyse de la communication gouvernementale et médiatique. Aujourd’hui, et nombreux sont les responsables, nous ne pouvons que constater que la communication à propos de la COVID19 n’a pas ramené la confiance dans le pays ; d’évidence elle a augmenté la défiance des citoyens envers les politiciens, les gouvernants et les journalistes, peut-être a-t-elle aussi installé une certaine défiance envers les médecins, pire cette communication a accentué les clivages de la société en accroissant le manque de reconnaissance envers certains : les Premiers de Corvée et les enseignants, et en accroissant et en exacerbant les inégalités.

 

 

[1] Memel-Fotê Harris. Des ancêtres fondateurs aux Pères de la nation. Introduction à une anthropologie de la démocratie. In : Cahiers d'études africaines, vol. 31, n°123, 1991. pp. 263-285.

[2] Lilian Alemagna, Hollande se présente en père de la nation, Libération, 31 décembre 2015

[3] Barbara Rosenwein, Émotions en politique, Perspectives de médiéviste, in : Hypothèses, 2002/1 5, pages 315 à 324.

[4] Gabrielle Charbonneau, L’émotion dans le discours politique Une problématique liée au genre télévisuel ?, mémoire de Maîtrise en communication publique, Université de Laval, Québec, 2013.

[5] Christian Le Bart, La représentation politique comme lien émotionnel, in : Nouvelles perspectives en sciences sociales, Volume 14, Numéro 1, Novembre 2018.

[6] Michel Cymès sur Europe 1 le 10 mars : « Je ne suis absolument pas inquiet. C’est un virus de plus, on le dit souvent, c’est une forme de grippe. Je ne suis pas inquiet pour moi parce que je suis en bonne santé et que je ne fais pas partie des cas les plus graves. »

[7] Mathien Michel, « L'emprise de la communication de guerre. Médias et journalistes face à l'ambition de la démocratie », Revue internationale et stratégique, 2004/4 (N°56), p. 89-98. DOI : 10.3917/ris.056.0089. URL : https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2004-4-page-89.htm


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