D’une élection imperdable à droite... à l’« impossible » victoire du pragmatique Macron !

par Laurent Simon
jeudi 11 mai 2017

Cet article prolonge l'excellente émission spéciale (Fr5, 9 mai), sans apporter d'élément vraiment nouveau : raccourci utile pour comprendre l'incroyable élection de Macron, dans le contexte français, il liste surtout des 'évidences' non citées hier.

Une colère sourde...

Un élément clé est bien sûr la colère remontant de toute part, après le quinquennat calamiteux de F. Hollande, élu en 2012 surtout par anti-sarkozysme, et qui n'a pas su se hisser au niveau d'un Président normal, ni se défaire de son incapacité à trancher et à donner un cap. Il ne semble d'ailleurs toujours pas avoir compris qu'on ne gouverne pas un pays comme il a géré un parti, à la recherche permanente d'une pseudo synthèse 'politique' (en réalité politicienne, et du pire acabit).

... un système politique incitant à la guerre de tranchées gauche /droite

Les institutions de la 5e république n'ont pas non plus aidé la France et ses présidents, depuis des décennies : comme l'ont très bien écrit de nombreux auteurs comme Ghislaine Ottenheimer ("Poison présidentiel", 2015), l'élection présidentielle reine, et le caractère binaire du système électoral incitent en permanence chaque candidat à d'abord "rassembler son camp", c'est-à-dire à courir derrière ceux qui ont les positions les plus extrêmes dans son supposé camp, déchirré en fait entre des positions très différentes.

Nombreux sont ceux qui critiquent les primaires, accusées de tous les maux : aucun des 2 'finalistes' n'était issu de ces processus. Mais elles ont permis à 86% des Français d'éviter ce qu'ils redoutaient, et qui se profilait à grands pas : un duel Sarkozy - Hollande, remake et revanche de 2012.

Les primaires ont en fait prolongé ces tendances '5e république' qui incitent chaque candidat à être le plus démagogue, pour avoir le plus de chances de parvenir au 2e tour... sans pouvoir tenir les promesses irréalistes pour celui qui est finalement élu. Rappelons nous les confidences de Chirac à ses amis, juste avant les élections de 1995, du genre "vous allez être surpris de ma capacité à faire de la démagogie !"

Après être élu sur le thème de la "fracture sociale", il est amené à décider quelques semaines plus tard un programme très différent, et fait face en décembre 1995 au plus grand mouvement social depuis Mai 1968.

Dans la cohabitation qui a suivi, Jospin, malgré son 'devoir d'inventaire' par rapport à Mitterrand et à la gauche à l'épreuve du pouvoir, n' a pas su ou pu sortir de cette guerre de tranchées entre deux camps. Par exemple, par volonté de faire la différence avec la loi de Robien, Martine Aubry choisira finalement d'imposer les 35 heures à tous les secteurs de l'économie française, erreur majeure de cette prétention des dirigeants politiques français à vouloir absolument régenter toute l'économie.

Les illusions tenaces de la gauche française...

Il faut dire que le "tournant de la rigueur" de 1983 n'a toujours pas été digéré et accepté par une grande partie de la gauche, et le PS n'a toujours pas fait son fameux "Bad Godesberg", reconnaissance de l'incontournable économie de marché si essentielle en Allemagne et ailleurs, en Europe et dans le monde.

... mais aussi d'une grande part des dirigeants et électeurs français

Sarkozy de son côté a également déçu les très forts espoirs portés sur lui en 2007. La crise de 2008 ne l'a pas aidé, bien sûr, mais il avait déjà montré son incapacité à aller au bout de certaines réformes. La réforme des retraites, par exemple, a créé des coûts annuels encore plus forts qu'auparavant, du fait des régimes spéciaux finalement consolidés.

Il a su lancer et réussir certaines réformes importantes. Et il a très bien contribué à éviter en 2011 que la crise de l'euro ne devienne gigantesque et catastrophique, d'ampleur bien supérieure par ses conséquences à celle de 2008, en Europe et dans le monde, par contagion.

Mais force est de constater que les Français n'ont pas été satisfaits, ni les 750 000 chômeurs de plus en 5 ans. Jacques Attali insistait avec raison hier soir, sur le nécessaire engagement sur la durée, pour des effets économiques réels, alors que les dirigeants politiques français ont les yeux rivés sur leur propre réélection, et ne veulent pas prendre les décisions qui s'imposent.

Sans compter la présidence Bling Bling et le 'Casse toi pauvre con' si préjuciables à l'idée que se font les Français d'un Président de la République.

Bref, la situation économique qui s'était améliorée après 2005 (Villepin, Borloo, Breton) s'était fortement dégradée, et les espoirs déçus en 2007 se sont transformés en colère grandissante qui expliquent l'essentiel de la montée du FN, continue, jusqu'à ce niveau malheureusement historique de 34%, et 10.5 millions de suffrages pour Marine Le Pen.

Et contrairement à ce qu'essaie de faire croire F. Hollande, la situation est loin d'être meilleure que quand il est arrivé au pouvoir. D'ailleurs il a hérité du fameux 'alignement des planètes' (prix du baril, baisse de l'euro, diminution drastique des taux), ' qui ne se produit que très exceptionnellement ', sans obtenir les effets très positifs constatés par exemple dans les pays du Nord de l'Europe. Et tout en continuant à augmenter considérablement la dette publique française (L'Opinion) : malgré la fantastique (et non durable) baisse des taux, la dette publique française s'établit à la fin 2016 à 96% du PIB français.

Un 'incroyable enchaînement d'événements

Mais revenons à l'incroyable enchaînement des événements depuis un an, si bien présenté dans ce documentaire. Dont une partie était prévisible : l'élection de Hollande en 2012 avait bien été vue comme la dernière chance pour les dirigeants français de remettre la France sur les rails... Fallait-il s'étonner en mars 2017 d'un score d'environ 28% pour le FN ?

Les progrès des instituts français de sondage depuis 2002 ont permis aux Français de disposer en permanence d'éléments d'information essentiels, et d'éviter la fantastique surprise du 22 avril 2002 : la présence de MLP au 2e tour avait été perçue comme la situation la plus probable depuis des mois, et ceci a transformé le 1er tour en un second tour avant l'heure. La volonté de 'voter utile' a expliqué l'essentiel des évolutions du vote des Français dans les sondages depuis plus d'un an.

Les électeurs et dirigeants de droite se résignaient à cette percée de MLP, puisque cela ne devait pas empêcher l'élection du gagnant de leurs primaires, comme en 2002.

Et pour éviter les travers cités plus hauts, et que Sarkozy, toujours impopulaire auprès de la majorité des Français, ne puisse être élu au terme de ces primaires, les Juppéistes et autres non sarkozystes ont exigé, avec succès, des 'primaires ouvertes' (de la Droite et du Centre), qui ont effectivement éliminé Nicolas Sarkozy, et ce dès le premier tour.

De son côté la gauche est extrêmement divisée depuis 2014 (décisions en faveur d'une "politique de l'offre", CICE, etc.). Les dirigeants du PS, François Hollande au premier chef, n'avaient pas su tirer les conclusions de l'échec de 2002. Ils s'étaient contentés d'attendre le retour du balancier, et ils avaient laissé croire au "peuple de gauche" qu'il suffirait de revenir aux traditionnels slogans, mais bien creux et particulièrement inefficaces.

Il faut dire que l'embellie économique en 2007 avait fait illusion, puisqu'elle n'était pas due principalement aux décisions de la gauche, mais surtout à la croissance revenue en Europe et dans le monde, et aux mesures d'Alain Juppé (1995-1997), saines mais alors impopulaires.

La gauche, ses dirigeants et électeurs, ne voulaient pas voir ces éléments essentiels, et préféraient se réfugier derrière les "recettes" habituelles, ultra-keynésiennes et encore plus inadaptées à une économie ouverte et moderne qu'en 1981-1983.

François Hollande, aveuglé en 2011 par les affirmations péremptoires de Karine Berger, pseudo-économiste, sur les cycles économiques et leur supposée embellie 'automatique' [1] [2], pensait qu'il suffisait d'attendre ce retournement de conjoncture ! Victime de ses convictions sur les possibilités pseudo-keynésiennes de redresser la France, refusant de voir l'ampleur la crise économique, et faisant beaucoup trop confiance à Michel Sapin, il s'était engagé très imprudemment sur la fameuse promesse "d'inverser la courbe du chômage" en seulement un an !

La promesse intenable de François Hollande de trop...

L'engagement de François Hollande de ne pas se représenter dans le cas contraire, les nombreux errements de sa 'politique' (déchéance de nationalité par exemple, calculs politiciens bien vains) et le constat qu'il ne le laissait pas aller au bout des réformes que E. Macron proposait et portait, ont décidé le Ministre de l'Economie de se lancer dans l'élection présidentielle.

Malgré tous les "c'est impossible" et la certitude ambiante que la droite l'emporterait ("élection imperdable").

Cet engagement bien présomptueux de François Hollande sur le chômage, aura donc convaincu Macron, bien avant l'heure, de l'impossibilité du Président de se représenter. Et la probabilité que Sarkozy, également très impopulaire, soit aussi présent, lui ont permis de lancer toute une démarche, sur un an, pour résoudre toutes les difficultés et 'impossibilités' prédites par tous.

Comme la plupart des éditorialistes et sondeurs, Macron tire aussi les conclusions de ce que les Français sont prêts aux réformes que les dirigeants politiques n'ont pas voulu faire jusqu'à présent, depuis des décennies. Et de ce que les lignes de fracture actuelles (Union Européenne ou pseudo-souverainneté, politique de l'offre ou de la demande, rôle de l'Etat, diminution des dépenses publiques, etc.) traversent en réalité les deux 'camps', et de ce que les clivages gauche / droite habituels ne sont plus pertinents, en l'état.

Le "chamboule tout" qui s'en suit

Sa décision de se lancer aura donc empêché François Hollande de se représenter et d'essuyer un échec retentissant et une cuisante humiliation. Elle aura aussi permis aux déçus de François Fillon, du fait de ses 'affaires', de se reporter sur son nom, et de faire apparaître sa démarche comme particulièrement crédible.

Les péripéties à gauche, conséquences à la fois des très grandes divisions, de l'impréparation de Manuel Valls et des autres candidats de la primaire, et la volonté des électeurs de gauche de retrouver un candidat "vraiment à gauche" font finalement désigner Benoît Hamon, frondeur de la première heure, comme porte drapeau d'un PS, déchirré entre social-démocratie responsable et 'socialisme' illusoire et fournisseur officiel de grands succès au FN.

L'accord ultérieur avec les Verts n'empêchera pas Jean Luc Mélenchon de tirer son épingle du jeu. Il a en effet beaucoup appris de ses erreurs en 2012 et mène une bonne campagne grâce notamment à ses qualités de tribun. Hamon se retouve vite dans un étau entre Macron et Mélenchon, et quelques semaines suffiront à le précipiter vers ses 6% catastrophiques du 1er tour, plus bas historique depuis 48 ans.

Ce qui augmente encore les chances d'un Macron, devenu favori derrière MLP, puis devant elle dans les sondages. Entre temps, le vote FN perd de son pouvoir d'attraction, notamment au profit de Jean Luc Mélenchon, qui récupère une partie du vote populaire, mais aussi de N. Dupont-Aignan, et de Asselineau, héraut du Frexit. La colère et le vote extrême peuvent désormais s'exprimer par une autre voix (voie ?) que MLP.

Et dans sa gestion au jour le jour, Macron aura été aussi très fin tacticien, après avoir été à la fois visionnaire et excellent stratège. Ce qui lui aura permis de recueillir finalement le plus de suffrages au premier tour, et de créer ainsi une dynamique très favorable, face à une Marine Le Pen qui s'écroule complètement pendant son débat calamiteux avec lui. Et qui pâtit aussi de ses revirements de dernière minute (retour à la retraite à 60 ans repoussé à la fin du quinquennat, position sur l'euro monnaie commune complètement incompréhensible, y compris par ses électeurs).

Comme quoi la démagogie pure et simple, les simplifications à outrance (comme en faveur du Brexit et de Trump) et l'aveuglement idéologique ont aussi des limites !

Et c'est donc la candiature la moins probable il y a un an, et la seule responsable économiquement (après le décrochage de la candidature de François Fillon), qui l'emporte finalement ! Pour reprendre l'analogie donnée par F.Fillon sur les 24h du Mans en 1969 : Jacky Ickx est le dernier à partir lors de la course, mais passe finalement le premier la ligne d'arrivée.

 


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