Darcos olympique
par LM
mardi 16 septembre 2008
Obligé de se faire remarquer dans un gouvernement qui l’ignore, le ministre de l’Education nationale a brillamment proposé une médaille aux bacheliers les plus méritants de l’année à venir. Une mesurette époustouflante qui énerve les profs et agace les ratés. Plus sarkozyste, tu meurs.
Il est extraordinaire, ce Darcos, avec sa tête de Xavier Bertrand tourneur fraiseur et ses lunettes de professeur d’allemand, on avait presque fini par oublier que cet ancien jeune homme se coltine depuis quelques longs mois un des ministères les plus poisseux qui existe, celui de l’Education nationale. On a beau chercher, il n’y a pas mieux pour se viander que de s’occuper de la vie du corps enseignant, de ses effectifs et de ses échecs, de ses syndicats et de ses programmes. Un ministère de cet acabit, c’est la voie toute tracée direction l’échec, une démission en guise d’adieu et quelques manifestations pour épitaphe. L’Education nationale, même Bayrou n’en voudrait plus. Il faut, plus qu’ailleurs, faire attention à ce qu’on donne, ce qu’on enlève, ce qu’on dit ou ce qu’on suppose. Ne pas laisser penser qu’on cautionnerait un temps soit peu l’idée saugrenue qu’en France aujourd’hui l’école marche sur la tête, que le collège ne transmet plus grand-chose, que le lycée ne prépare à rien et que la faculté ne mène nulle part. Ne pas laisser penser cela, sinon gare. Ne pas laisser non plus croire que l’on s’assoit sur quelques milliers de postes comme si de rien n’était. L’instituteur ne remplacera jamais le curé, on l’a compris, mais qui remplacera l’instituteur ?
Loin de ces équations douloureuses et risquées, Xavier Darcos mène sa barque ministérielle sans trop agiter le troupeau, pour l’instant. La rentrée semble se passer sans heurts, même s’il manque encore les étudiants, le corps enseignant n’a pas lancé d’ultimatum pour le moment, les classes s’agitent benoîtement sans que rien ne sorte d’entre les murs. Jusqu’à ce week-end, où notre bon M. Darcos a donc choisi d’annoncer, en pleine visite papale, qu’il serait peut-être de bon ton de récompenser les meilleurs bacheliers en leur remettant des médailles. Des médailles de couleur différentes, un peu sur le modèle des JO, selon la mention reçue : très bien, bien ou passable. Quelle idée ! Le ministre souhaite ainsi rendre plus festive la fin d’année, et remplacer le sacro-saint diplôme en papier moche par, qui sait, une montée sur podium organisée dans tous les lycées de France et de Navarre. Quelle idée ! Sarkozy l’aurait voulue qu’il ne l’aurait pas mieux exposée ! Des médailles pour les bacheliers ! Fabuleux ! Fabuleusement drôle, d’abord, en imaginant toutes ces remises protocolaires, avec peut-être un hymne d’abord, ou en même temps, pour saluer le plus performant, et fabuleusement normal d’un autre côté dans un pays où l’on décore absolument tout ce qui bouge ou qui ne bouge plus, du comique ch’ti au cadavre d’Afghanistan.
N’importe quel sous-chanteur de variété minable aujourd’hui a son « chevalier à l’Ordre du mérite », sa « Légion d’honneur », son « insigne des Arts et des lettres », n’importe quel paltoquet, plus ou moins connu, plus ou moins brillant, du fait même de sa notoriété pourtant sans importance, pourtant pas du tout cruciale, est à même aujourd’hui de se voir inviter sous les ors de la République pour recevoir la bise et un pin’s officiel des mains de nos gouvernants. Alors pourquoi pas les lycéens ? Pourquoi Stalone, Sardou et Julien Clerc, Zidane et Bruel, Binoche et Reno, Clavier et Boon, et pourquoi pas le dernier des bacheliers de Creuse, d’Auvergne ou des Alpes-Maritimes ? Le mérite, après tout, puisqu’il ne signifie plus rien, s’adresse à tous. Toutes mentions bues, tout ridicule avalé. Alors une médaille pour le bac, pourquoi pas ? De toute façon, ce précieux diplôme, nécessaire, mais pas suffisant, ne vaut plus grand-chose en termes de performance, on le sait bien, depuis que le niveau, de gauche en droite, de droite en gauche, n’a cessé de se voir rabaisser, au nom d’un égalitarisme forcené qui se borne à transformer tout baudet suant en pur-sang d’émir. Tout se vaut, donc rien n’a plus de valeur, et surtout pas le baccalauréat. C’est d’ailleurs bien là la seule audace de la mesurette darcossienne : placer le baccalauréat au même niveau que la chansonnette à deux balles ou que le comique troupier, c’est-à-dire pas très haut, le tuer cyniquement. A ceux qui conservaient encore quelque espoir, Darcos signifie froidement qu’ils ne feront, neuf mois durant, que galoper derrière une breloque, ni plus ni moins lourde qu’un geste symbolique.
Alors bien sûr, les vertueux s’émeuvent, en assurant que « ce n’est pas comme cela qu’on luttera contre l’échec scolaire », comme s’il y avait encore quelque chose à faire contre cet échec scolaire, si patent qu’il en devient pléonasme. L’échec scolaire, Darcos s’en moque comme de sa première cravate, ce qui compte pour lui c’est de se retrouver en juin, au pied d’un podium, à glisser autour du coup une médaille dorée à quelque jeune fille en fleur ou jeune homme en boutons, en leur tapant la bise et une poignée de main, devant des photographes aux anges et des parents émus. Comme le symbole d’une éducation triomphante, enfin en plein accord avec un monde superficiel et ludique, pervers et joyeux : tandis que chez nous on décore, aux Etats-Unis une jeune fille offre sa prétendue virginité (un million de dollars quand même !) pour financer ses futures études.
Le bac vaut bien une médaille, et les études supérieures une nuit au bordel : n’ayons pas peur.