De Bergson ŕ Nicolas Sarkozy : la place du religieux dans le cité

par Sylvain Reboul
vendredi 25 avril 2008

La position de NS, comme l’a excellemment souligné l’auteur de l’article publié dans AV, intitulé « Derrière le rideau du néo-sarkovatisme » (lien à la fin de l’article), est un compactage purement rhétorique d’une pseudo-rationalité économiste automatique dans laquelle la société se dissoudrait dans un individualisme de l’intérêt privé sans aucune perspective d’ensemble qui serait liée à une définition quelconque de la justice en termes de rapports de forces sociaux et de réduction des inégalités réelles et sa compensation fantasmatique par la truchement de valeurs traditionalistes afin de faire diversion vis-à-vis de la frustration que génèrent ces inégalités. Comment comprendre un syncrétisme aussi baroque, que d’aucuns appelleraient post-moderne ?

Nous retrouvons là, semble-t-il, le fameux supplément d’âme que Bergson revendiquait pour que survive la possibilité d’une sociabilité par-delà le prétendu matérialisme de l’idéologie économiste qui consiste à prétendre mensongèrement qu’il serait possible de transformer les rapports économiques en simples calculs d’efficience à la marge sans que les rapports sociaux et idéologiques en soient la condition, alors même que cette idéologie pseudo libérale s’affirme comme une idéologie mystifiante et mystificatrice en ce que, précisément, elle dénie, à savoir :
  1. que tout rapport économique est un rapport social qui met en jeu des désirs et des valeurs et des relations de pouvoirs déterminés entre ceux qui commandent, ceux qui se soumettent ; et 

  2. que la confiance est la condition de tout échange économique et que celle-ci est toujours politique et psychologique, c’est-à-dire commandée par des valeurs et des désirs en conflit.

Mais Nicolas Sarkozy n’est pas Bergsonnien, car il n’est en rien mystique. Bergson en effet faisait d’individus exceptionnels, mais sans pouvoir de commandement, marqués par une expérience révélatrice strictement individuelle, des exemples entraînant les autres, sans aucune contrainte ou menace, vers de plus hautes valeurs que les valeurs matérielles, des valeurs spirituelles généreuses et d’amour désintéressé, ouvrant la société vers un dépassement des égoïsmes individuels.

Il refusait le pouvoir clérical dominant les esprits qui, selon lui, ne pouvait provoquer que la démoralisation intérieure sous le couvert hypocrite d’une morale extérieure rigide. Tout au contraire, Nicolas Sarkozy voit dans les églises des machines de pouvoir indispensables sur les âmes pour assurer une police sociale qui vise à imposer le respect des traditions définissant la société close ou conservatrice, à l’opposé de la société ouverte à l’initiative de chacun et donc authentiquement libérale que Bergson appelait de ses vœux. Il s’agit probablement d’un rêve utopique si l’on prétend en faire une politique : aucune société ouverte et pluraliste ne peut être mystique, sauf à se transformer en secte totalitaire.

Or, Nicolas Sarkozy, lui, ne rêve pas : le partage des pouvoirs, mais non leur autonomie et encore moins leur séparation, est par lui clairement défini :

à l’argent et à ceux qui en ont pour investir de commander l’économie dans le cadre d’une économie de la croissance du profit prise comme fin en soi ;

à l’Etat, dans lequel la police et l’administration ont barre sur la justice le pouvoir de réprimer les corps et à restaurer le pouvoir du capital, menacé par les contradictions sociales qu’il génère comme les nuées portent l’orage ;

aux Eglises (y compris aux imams) de prendre le contrôle sur les esprits, dans le sens de la restauration des traditions anti-libérales et des morales liberticides.

Le seul problème est que pour lui la France reste encore très attachée aux principes de la laïcité. Or, c’est là, pour son projet, un obstacle essentiel : les deux premiers pouvoirs ne peuvent apparaître comme légitimes que s’ils se donnent l’alibi religieux traditionaliste qui ne peut s’imposer que sous la férule des Eglises et des prêtres de toutes confessions. Rien de tel que les Eglises et les prêtres pour assurer en dernier recours la police sociale, mais encore faut-il des croyants et des fidèles qui ne peuvent être tels à l’âge adulte que si on soumet l’éducation des enfants, à savoir l’école, de moins en moins publique et de moins en moins ouverte à l’esprit critique, à la douce tutelle religieuse.

Ce projet est chez nous résistible, j’en veux pour preuve que les propos de Nicolas Sarkozy apparaissent de plus en plus pour ce qu’ils sont : de très triviales tentatives de manipulations sur fond de culte des morts ; ses propos sur la mémoire et l’Histoire sont débarrassés de toutes signification politique ; ils sont aussi éculés, face à la montée des inégalités et d’un capitalisme irresponsable, y compris sur le plan économique (vis-à-vis duquel il n’a du reste qu’un pouvoir dérisoire de diversion ponctuelle) que celui des papes Jean-Paul II et Benoît XVI, lorsqu’ils prétendent que seule l’Eglise catholique à vocation de droit divin (infaillibilité pontificale) à incarner la splendeur de la vérité moralisatrice et civilisatrice dans le monde.

Cette manipulation est aussi platement cynique que l’injonction économique à prétention morale de feu Guizot : « Enrichissez-vous par le travail et l’épargne ! » ici-bas, auquel il suffit alors à Nicolas Sarkozy d’ajouter : « et la religion vous promet le paradis au ciel »...

Lire

Article sur AV : "Derrière le rideau du néo-sarkovatisme"

"Bergson entre la logique de la guerre et la mystique de la paix"

Et Bergson : "Les deux sources de la morale et de la religion."


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