De Gaulle, Mitterrand, Internet, et la démocratie participative...

par Voris : compte fermé
mercredi 20 septembre 2006

 De Gaulle eut raison avant tout le monde quand il évoqua, dès 1946, la démocratie participative qu’il voulait mettre en œuvre par la création d’un « Grand Sénat ». Mais ni en 1958, ni en 1969, il n’est parvenu à imposer sa vision. La seconde fois, c’est le peuple français, pas préparé à l’enjeu, qui lui a dit non. Mitterrand eut raison de vouloir décentraliser le pouvoir et de libérer les radios et télévisions. Il a réussi son projet. C’est parce que les Français étaient prêts, et le réclamaient. Aujourd’hui, il faut prolonger la vision de ces deux grands hommes d’Etat, et aborder l’ère de la démocratie participative.


Déjà à Londres, en 1943, le chef de la France libre avait déclaré : « Quand viendra la victoire, la patrie reconnaissante devra et saura faire à ses enfants ouvriers, paysans , d’abord un sort digne et sûr, ensuite la place qui leur revient dans la gestion des intérêts communs . » Fidèle à sa conception, il a engagé sa personne dans le référendum de 1969 avec le résultat que l’on connaît. L’idée de de Gaulle était d’instaurer un « Grand Sénat » ouvert à la société civile, à savoir aux représentants des collectivités locales et des professions et organisations syndicales. Si la réforme avait abouti, peut-être n’en serions-nous pas à déplorer aujourd’hui la faiblesse du dialogue social, ni la surmédiatisation politique qui infantilise les électeurs. A travers le statut qu’aurait donné aux représentants locaux et aux régions la réforme du Grand Charles, il y avait aussi l’idée de décentralisation.

Mais c’est François Mitterrand qui rendit effective la décentralisation. Une décentralisation qui allait mettre fin à une longue période de pouvoir central contrôlant tout, y compris radios et télévision. La décentralisation n’a pas été remise en cause ensuite par la droite, qui l’a aménagée et renforcée, notamment par la loi Raffarin du 13 août 2004, dite « Acte II de la décentralisation ». Pour mieux contrôler la décentralisation a été créé l’Observatoire de la décentralisation. Cet organisme répond à la volonté du Sénat de remplir pleinement la mission de représentant des collectivités territoriales que lui confie l’article 24 de la Constitution. (Voir site ici)

Mitterrand n’avait pas repris l’idée de démocratie participative. C’est là qu’il reste encore beaucoup à faire... Comment ? Les premiers moyens à mettre en œuvre pour y parvenir sont d’ordre institutionnel.

1 - La démocratie de proximité :

Les expériences de démocratie participative menées à Porto Alegre au Brésil ont abouti à la tenue du Forum social mondial en janvier 2001 dans cette même ville. Ouvert délibérément à la même date que Davos, ce forum a rapidement fait sa percée médiatique, au même titre que le World Economic Forum qui réunit depuis trente ans les grands patrons de la finance et de l’industrie.

En France, on a vu émerger des expériences réussies de démocratie participative. A Lille (un adjoint au maire est délégué à la démocratie participative), à Strasbourg (comité citoyen), à Dunkerque et en Ile-de-France (processus participatif permanent sur l’aménagement urbain). Etc. Il faut encourager et développer ces initiatives, mais attention aux écueils ! (voir partie 4)

2 - Le Conseil économique et social, « clé de voûte » de la démocratie participative ?



- Le Conseil économique et social est mal connu des Français et quasi ignoré des médias. Pourtant, il existe depuis 1925 et il a été renforcé par de Gaulle qui lui consacra un titre spécifique dans la Constitution de 1958. Il fonctionne sur un mode très démocratique. Le président du CES, Jacques Dermagne, se définit d’ailleurs comme gaulliste de gauche. Dans Révolution chez les patrons, (Bayard 1996), il évoque l’entreprise citoyenne : « Le tout au marché n’est pas plus possible que le tout à l’Etat pour organiser une société [...] Une entreprise ne peut être un îlot de prospérité dans un océan de difficultés, voire d’exclusions. » Il prône un nouveau pacte social et pose, à côté de la démocratie représentative, la nécessité d’une nouvelle pratique de la démocratie. Sa méthode est une approche qui peut être appliquée en démocratie participative : « Penser différemment est ici une valeur et il faut sans cesse chercher à s’enrichir de la pensée de l’autre, dans une quête permanente de la vérité. » Il se déclare plus favorable au consensus fort résultant de gens qui s’opposent au consensus mou.

Alors, faut-il réformer le Conseil économique et social pour en faire la clé de voûte de la démocratie participative, en l’ouvrant plus largement à la société civile, en élargissant les cas de consultations obligatoires par le gouvernement ainsi que sa saisine au Parlement et aux citoyens ? Ou bien alors créer une troisième chambre composée de citoyens formés à l’Ecole nationale des citoyens, comme je l’ai suggéré dans mon article « L’Ecole Nationale des Citoyens » ?


- Autres réformes suggérées, dont plusieurs sont aussi reconnues comme nécessaires par certains partis et candidats.

Réformer le pouvoir exécutif : revoir le statut pénal du chef de l’Etat et permettre la responsabilité réelle du Premier ministre devant le Parlement.
Réformer le Parlement en lui permettant de délibérer (restreindre le 49-3 et la possibilité d’amendements), en lui permettant de partager avec le gouvernement la maîtrise de son ordre du jour, en limitant davantage les cumul des fonctions des parlementaires, en représentant davantage les minorités par l’introduction (prudente) d’une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin.
Introduire des éléments empruntés au système de démocratie directe : droit de pétition législative, droit pour les citoyens de saisir le Conseil constitutionnel, voire le Conseil économique et social, référendum étendu.

3 - Internet et « la révolte du pronétariat » ?

Joël de Rosnay dit dans son ouvrage : « La révolution du pronétariat : les médias des masses commencent à apparaître dans cet écosystème informationnel comme un cinquième pouvoir. À la différence des quatre autres, qui sont tous descendants, celui-ci laisse la place à de nouveaux enjeux et menace les détenteurs de pouvoirs classiques. C’est une nouvelle «  force civique citoyenne », comme l’appelle Ignacio Ramonet ( du Monde diplomatique). »

Il est fort probable que l’expression de la démocratie viendra de là. Peut-être même surprendra-t-elle le pouvoir « classique » dans son ronronnement électif et médiatique. Mais on ne saurait encore parler de « cinquième pouvoir ». Un pouvoir véritable nécessite d’être organisé. Or Internet tient davantage du chaos, ce que reconnaît d’ailleurs l’auteur : « La théorie du chaos déterministe s’applique également à Internet ». Il ne s’agit donc pour l’instant que d’un contre-pouvoir.

4 - Les principes et les écueils de la démocratie participative :

Les principes, pour qu’une démocratie participative puisse voir le jour, sont avant tout les principes de l’Etat de droit, dont celui de la séparation des pouvoirs. Séparation des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), mais aussi, comme le dit François Bayrou : séparation de ces pouvoirs d’avec les pouvoirs financiers et médiatiques. Mais croire que la séparation des pouvoirs suffit est une erreur. La théorie des poids et contrepoids de Montesquieu doit aussi s’appliquer, afin qu’aucun pouvoir ne prenne le dessus de façon durable sur les autres. Le seul pouvoir qui pourrait contrer véritablement celui des médias omniprésents est celui des citoyens.

Il faut poursuivre la vision mitterrandienne de libération des médias en affranchissant cette fois ces derniers du pouvoir, excessif, économique et financier !

Les écueils dans la mise en œuvre d’une démocratie participative sont nombreux : le premier est de vouloir lancer ce type de démocratie directe sans formation sérieuse des citoyens impliqués. La démocratie dite participative n’est alors qu’une escroquerie démagogique, comme le montre Ségolène Royal, énarque d’origine et peu douée pour cet exercice, très attachée en réalité à la démocratie représentative, système décrit par Bourdieu comme « une aristocratie républicaine qui, en fait, se coopte et se reproduit ».

Il faut poursuivre la pensée gaullienne de démocratie participative !

Autres écueils : le cantonnement des citoyens dans une fonction consultative (les élus gardant la décision), l’exercice du pouvoir réel par les experts, la sur-représentation des classes moyennes au détriment des classe pauvres.

Une véritable implication active du citoyen dans l’exercice du pouvoir exigerait sa formation. On passerait ainsi de la parole confisquée et vaine à la parole responsable et utile. Mais si l’on parle aujourd’hui de « droite décomplexée », d’une gauche qui fait sa révolution, le citoyen, lui, n’apparaît toujours pas décomplexé ! La gauche et la droite ne sont rien (voir le fort taux d’abstention des électeurs, la montée des sympathies centristes, et les sondages qui dénoncent le clivage traditionnel) mais elles ont tout (pouvoir d’Etat, entreprise publiques, pouvoirs locaux) ! Les citoyens, eux, sont tout, et ils n’ont rien, en pouvoir réel de parole et de décision.
Alors demain, « Le pronétariat : une révolte ? Non, sire ! Une révolution... »


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