De la gauche du travail et de la gauche des allocations
par Laurent Herblay
samedi 24 septembre 2022
La déclaration de Fabien Roussel a déclenché une vive polémique, amplifiée par la bulle médiatique qui a demandé aux uns et aux autres de réagir à ses déclarations. Il faut dire que sa formulation est provocante et on peut penser qu’il donne de l’eau au moulin de l’exécutif, qui veut encore s’attaquer aux allocations chômage. Mais sur le fond, le candidat du PCF n’a-t-il pas raison ?
Traiter les causes plutôt que les conséquences
« La gauche doit défendre le travail et ne pas être la gauche des allocations et des minima sociaux » : voilà la déclaration de Fabien Roussel qui a mis le feu aux poudres. Toute la gauche lui a tiré dessus : « il ne faut pas opposer ceux qui sont dans l’emploi et ceux qui ne le sont pas » pour Olivier Faure, « les allocs, magnifique conquête sociale, n’ont rien d’indignes », pour Alexis Corbières. Même François Ruffin, pourtant généralement bien mieux inspiré, a cru bon réagir en affirmant qu’« opposer la ‘France qui bosse’ à ‘la France des allocs’, ce n’est pas le combat de la gauche, ce ne sont pas mes mots ». Même si cette déclaration a ses limites, ce qui est frappant en prenant du recul, c’est à quel point les critiques exprimées ne portent que sur une caricature de ces propos, qui ne correspond absolument pas à ce qui a été dit.
Le propos de Roussel est clair : ce ne sont pas les travailleurs et ceux qui touchent les allocations qu’il oppose, mais « la gauche du travail » et « la gauche des allocations ». Bien sûr, quand on ne creuse pas, ces termes peuvent sembler un peu nébuleux. Mais il est tout de même frappant de constater à quel point ses partenaires de la NUPES déforment ses propos pour le critiquer. Tout ceci montre la triste superficialité et quête de buzz de notre époque. Jamais Roussel n’a opposé travailleurs et chômeurs, jamais il n’a dit que les allocs sont indignes. Ces attaques révèlent aussi le caractère profondément sectaire d’une partie de la NUPES qui refuse la moindre remise en question, alors même que ses résultats aux législatives ne sont pas si exceptionnels, et une intolérance assez révoltante au simple débat d’idées.
Invité sur Sud Radio lundi, Fabien Roussel a pu préciser plus encore ses propos, auxquels l’immense majorité de la NUPES devrait souscrire : il préfère que les Français aient un travail, bien payé et dans lequel ils s’épanouissent, plutôt que d’être au chômage. Et naturellement, il n’est pas contre les allocations, mais il veut juste que la gauche incarne plutôt un retour au plein emploi que d’être seulement le camp qui défend les allocations, sans pour autant les remettre en cause. Une position qui, exprimée de la sorte, devrait en fait réunir l’ensemble de la gauche, à part une partie d’EELV sans doute. Mais sa déclaration est peut-être gênante pour la gauche. En effet, sous Mitterrand, Jospin et Hollande, la gauche française a perdu de vue le travail et la recherche du plein emploi pour se recroqueviller sur une relative défense des allocations. Le point d’orgue a été la candidature de Benoît Hamon, et son revenu universel.
En réalité, Fabien Roussel est la mauvaise conscience de cette gauche qui a renoncé au plein emploi, s’est résolue au chômage, et ne trouve plus que dans la défense des allocations sa raison d’être. Sur le fond, son message est extraordinairement juste. Même le programme de Mélenchon n’était pas très clair sur la question de l’emploi. Et il a sans doute raison de dire que sans une capacité à définir un programme qui permettrait de revenir au plein emploi, elle ne gagnera pas. Bien sûr, le patron du PCF est pour l’instant un peu court sur les moyens qui permettraient de revenir au plein emploi. Et sans une sortie de l’UE et de l’euro, il est difficile de voir comment cela pourrait bien être possible, mais il a au moins le mérite de poser une bonne question. La gauche actuelle est résignée à l’égard des conséquences de la globalisation et se contente un peu trop de tenter de maintenir un système qui soigne ses maux.
Mais pour aller plus loin et être crédible dans cette voie, il faudra que Fabien Roussel aille plus loin dans ses propositions. La persistance du chômage de masse dans notre pays doit beaucoup au marché unique européen mis en place il y a 30 ans, au libre-échange anarchique que pratique l’UE et à une monnaie non adaptée à notre économie. Sans véritable remise en cause de ce cadre qui correspond finalement à l’UE, son constat est amené à rester lettre morte, comme le discours d’Alexis Tsipras dans sa campagne électorale victorieuse… Il faut équilibrer notre commerce extérieur, notamment avec nos partenaires européens et la Chine pour retrouver le chemin du plein emploi et mettre fin à la désertion fiscale des multinationales pour financer des services publics saignés depuis trop longtemps.
En somme, le propos de Fabien Roussel est extrêmement juste : ce qu’on appelle la gauche en France s’est résignée à défendre les allocations plutôt que de proposer un chemin cohérent pour revenir au plein emploi. Et c’est probablement ce qui a signé ses dernières défaites. Mais il gagnerait à l’exprimer plus clairement, et plus encore, à proposer un programme cohérent pour y revenir, et ce ne peut être qu’hors de l’UE…