De quoi Macron est-il le « oui » ?

par Dante
mercredi 22 février 2017

Portrait impressionniste d’un winner du 21e siècle

Décontracté, rasé de près, la cravate parfaitement ajustée, maintien impeccable traduisant une excellente forme physique, gestes précis et assurés, Emmanuel nous chante les louanges du néo-libéralisme avec une élocution claire, équilibrée, incisive et sans faille, loin des hésitations ou répétitions gauches – c’est d’ailleurs dans cette seule acception que le qualificatif de « gauche » est justifié –, voire pathétiques, de M. Le Président ou, dans une moindre mesure, de son premier ministre.

Macron incarne la jeunesse et représente la relève générationnelle. Il est jeune et dynamique, et ses meetings à la manière d’un coach en motivation sont à l’avenant : ça pétille, c’est plein de vie et d’enthousiasme, de paillettes et de smileys ; ils ont du peps les followers de Macron, il vont de l’avant, ils sont top, trop fun, c’est du « don’t give up », c’est du Britney après l’heure, on en veut, et on se bouge, et on va mettre le feu, et c’est notre projet !!!! Les effets spéciaux de Beyonce ne sont pas encore là, mais ça ne saurait tarder… C’est magnifique ! On est jeunes, on va monter les échelons, on va enfoncer les portes et forcer l’avenir, parce que c’est notre détermination qui va seule conditionner nos chances de réussite. Bref, les sempiternelles salades du mythe méritocratique de la droite classique. Rafraichissement de la composition, rajeunissement de la forme d’un discours qui reste évidemment inchangé sur le fond…

Il n’a pas de programme, on ne cesse de le répéter. Mais pourquoi faire ? Macron se veut le candidat du franc-parler, de la modernisation et de la simplification, aussi nous a-t-il très justement fait gagner du temps : au lieu de s’encombrer d’un programme politique comme au temps jadis, rituel certes romantique mais obsolète, il suffit à présent de télécharger directement le PDF « lignes directrices » sur le site de la Commission. On y retrouve tout : budget, fiscalité, droit du travail,…

La droite est contre l’impôt et la régulation étatique de l’économie, elle veut relancer l’emploi en allégeant les petits entrepreneurs, PME, etc., tout en légiférant de manière à indirectement les pénaliser au profit des multinationales, et soudain se rappelle qu’il y a quand même un Etat quand il s’agit de renflouer les banques à coup de milliards. La gauche, elle, est en faveur de l’impôt et d’un Etat fort afin d’aider les petites gens : elle augmente les impôts dont les plus riches sont les seuls à pouvoir aisément s’affranchir. La droite est contre l’immigration, surtout clandestine ; conclusion : elle a augmenté en flèche sous Sarko-l’impitoyable-Kärcheriste. La gauche est en faveur de l’immigration, et tout naturellement la favorise (à condition elle ne s’établisse pas à côté de leur pavillon du 16e). La droite nous affirme que la finance est nécessaire et que les plans d’austérité sont juste une mauvaise passe à traverser, tout en ne précisant pas si cette passe aura une durée de 10 ou 100 ans. La gauche, elle, est contre la finance et les plans d’austérité, mais… « vous comprenez, on n’a pas le choix », pleure-t-elle à chaudes larmes, et continue de mettre l’éducation, la culture, la justice, etc. sous pression en rognant leur budget. Bref, cherchez l’erreur. Que veut dire droite et gauche aujourd’hui ? La droite est réputée « décomplexée », elle applique donc ouvertement les programmes de Bruxelles en promettant qu’ils feront baisser le chômage et les inégalités, lesquels, bien sûr, s’accentuent. La gauche, elle, veut lutter contre le chômage et les inégalités en appliquant les programmes de Bruxelles, mais, voilà qui est navrant, ça ne marche pas… Les uns siphonnent les épargnes des classes moyennes par devant, et les autres par derrière. Voilà donc le fameux geste de la campagne d’Hollande accompagnant le slogan « le changement c’est maintenant » décrypté : on passe de l’avant à l’arrière.

Etant donné donc la minime marge de manœuvre que laisse l’UE aux Etats membres pour décider de la conduite de leurs politiques intérieures, droite et gauche n’ont de fait plus aucun sens aujourd’hui. La gauche, cherchant à se différencier, s’est depuis réfugiée dans le sociétal, qui aujourd’hui constitue son seul et unique socle identitaire : anti-racisme, théorie du genre, néo-féminisme,…

Fort de ces constats, M. Macron, d’une part n’est pas en reste sur le plan sociétal, il en a déjà apporté quelques preuves, et d’autre part, se dit ni de gauche ni de droite. Et ce faisant, il est, parmi les candidats « du système », le plus cohérent et le plus sincère : le programme pseudo-libéral actuellement mis en œuvre par l’oligarchie mondialiste n’est effectivement ni de droite, ni de gauche. Il transcende déjà ce clivage : privatisation des profits, socialisation des pertes, impôts pour les classes inférieures, et paradis fiscaux pour l’oligarchie. L’un ne va pas sans l’autre.

Dans un monde où la gauche et la droite n’existent plus, la différence entre les divers candidats « de la continuité » ne tient en définitive qu’à la personnalité de l’un ou l’autre. En mettant côte à côte Fillon et Macron, les différences sont nettes. Physiquement déjà le contraste est surprenant : avec Fillon, les traits tirés, les cernes d’un moribond, la voix rauque et fatiguée, nous sommes face à un humain qui a été marqué par une vie qui ne lui a pas fait que des cadeaux ; avec un Macron jeune, énergique, ferme, doué d’une parfaite maîtrise de soi en revanche, nous sommes face au gendre trop idéal pour être vrai.

Mais surtout, Fillon a été éclaboussé par les scandales que l’on connaît. Il est important de reconnaître qu’il n’a en l’occurrence pas enfreint la loi, mais en a « seulement » profité (à cet égard le FN n’a d’ailleurs pas tout à fait tort de faire remarquer que ses collusions avec le monde de l’assurance constituent un scandale bien plus grave). Dans le système de privilèges que décrit Philippe Pascot, qui est approuvé, cautionné, avalisé par le peuple, ne serait-ce que par ce trop long silence, accuser un politicien de détourner l’argent public à des fins privées reviendrait à infliger une amende pour excès de vitesse à un pilote de Formule 1, pour reprendre la réplique d’Apocalypse Now. Que son repentir soit sincère ou feint, les déclarations de M. Fillon, qui se déclare catholique, confirment toutefois un cadre moral implicite : les représentants du peuple sont censés agir conformément aux intérêts du plus grand nombre.

Sarkozy, dont la photo est en bonne place pour figurer dans quelques dizaine d’années dans le Larousse Illustré à l’entrée « opportuniste », était l’archétype de l’affairiste qui se vendait tout simplement au plus offrant (à Kadhafi quand il s’agissait de financer sa campagne, pour s'en débarrasser ensuite quand il ne servait plus), avec donc finalement aucune idéologie à l’appui. Si défendre les intérêts du bas peuple s’était avéré plus rentable pour lui, il serait devenu le Che Guevara français. A mesure que son influence dans les coulisses de l’arène politique s’amenuisera et que se succéderont les enquêtes à son encontre, il finira par avoir accumulé tellement de casseroles de tous formats et pour tous les prix, qu’il pourra facilement se recycler comme fournisseur des cantines de l’armée chinoise.

Avec Macron, ne cherchez pas les casseroles : d’abord parce que, en tant qu’agent attitré de l’oligarchie supranationale, la confiance absolue dont il a été investi par la finance l’a dispensé du passage obligé du politicien par la case magouille – ascenseur sous ses déclinaisons les plus diverses et exotiques, histoire de pouvoir garder ce dernier sous contrôle en lui agitant ses casseroles au cas où il ne se tiendrait pas sage. Sa carrière à la prestigieuse et exclusive Rothschild, Patek Philippe du monde bancaire, dont il n’a vraisemblablement pas rompu le cordon ombilical, n’est pas en soi un conflit d’intérêts, puisque la notion même de conflit d’intérêts repose sur la prémisse que la politique publique ne doit pas être influencée par le monde de l’argent. Mais si on considère que l’un engendre l’autre, que ces deux sphères sont totalement inter-pénétrables et finissent par se fondre, la notion même de conflit d’intérêts disparaît d’elle-même. Ca devient juste une question de cohérence, de la même façon qu’à la Commission, il n’y a pas de corruption au sens traditionnel ; les mêmes mécanismes sont à l’œuvre, mais institutionnalisés sous le terme de « lobbying ». Ensuite, parce qu’il n’a pas eu besoin d’ascenseur : il s’est fait directement déposer sur le toit avec l’hélico de la finance. Par ailleurs, pour financer son programme, il ne fera pas appel à un Kadhafi, il peut compter sur des canaux de financement intarissables chez ses anciens amis, et de toute manière, avec l’appui inconditionnel des médias mainstream, il doit investir nettement moins d’effort pour gagner en visibilité et en crédibilité.

Enfin et surtout, parce que Macron n’est pas un affairiste. Macron est sincère et honnête dans sa logique. Il assume par exemple le risque de se déclarer totalement en faveur de l’UE, à l’heure où celle-ci est critiquée par une écrasante majorité du peuple français. La plupart de ses adversaires, dont les programmes sont à quelques points près identiques au sien, éludent plutôt la question, préfèrent rester vagues et, si la question est abordée, en esquissent timidement le soutien, insistant surtout sur son besoin de la réformer en profondeur. Son fameux aphorisme très 21e siècle « ce dont la France a besoin, c’est de plus de jeunes qui veulent devenir milliardaires » est tout aussi éloquent. Quand on sait ce qu’il faut faire pour devenir milliardaire dans le système capitaliste actuel (soit ruiner ou détruire des vies, soit détruire l’environnement, soit une combinaison des deux), il s’agit bien là d’un appel ferme et univoque en faveur de la fameuse « destruction créatrice », qui définit par ailleurs l’essence de sa vision politique.

Franc, droit, cohérent et déterminé, Macron ne renvoie pas l’image d’un opportuniste. Macro est pur, c’est un idéaliste ! Et c’est d’ailleurs à mon sens un de ses traits les plus caractéristiques. Il est l’archange de Goldman Sachs envoyé pour parachever l’œuvre de Dieu sur la terre comme aux cieux, le preu chevalier de l’ubérisation, le Saint-Paul des privatisations et de l’économie de marché, l’implacable pourfendeur des populistes rétrogrades cherchant sournoisement à instaurer en France un 3e Reich 2.0 en jouant sur la crédulité du pauvre peuple inculte. En guide spirituel, il se propose de nous montrer la voie vers un nouvel âge où mondialisme et religion se rejoignent, et promet à nos âmes oeconomicae purifiées le salut éternel et leur dissolution extatique dans le nirvana financier. Là où on pourrait entrevoir avec un Fillon ou autre l’obtention de certains aménagements du programme de Bruxelles au prix d’âpres négociations, ou la prise du risque de commettre quelque violation de ses lignes directrices, avec Macron nous avons, a contrario, l’assurance que le catéchisme mondialiste sera observé dans sa version la plus orthodoxe, la plus littéraliste et la plus pure ; aucune considération humaine ne viendra parasiter sa mise en œuvre…

S’appuyant sur le sociétal pour contrebalancer cette orthodoxie austère, issu d’un post-modernisme amoral où les questions de justice sociale ne sont même plus ringardes, où elles appartiennent tout simplement à un autre âge, ce nouveau messie arbore une jeunesse atemporelle, il est glabre, lisse, sans aspérités, sans passé, sans religion, ni de gauche, ni de droite. Il tend à gommer tout particularisme. Il ne lui reste plus qu’à adopter une couleur de peau neutre et à devenir asexué pour parfaire sa nature méta-humaine. Déjà en soi mi-humain, mi-machine, il préfigure dans toute sa magnificence le transhumanisme et l’être indifférencié de demain. Nous devinons déjà où Caroline Fourest placera son bulletin de vote… Dépourvu de programme, il incarne brillamment l’effacement de l’humain face à la machine, l’abdication du politique au profit du technocratique et de la gouvernance ; la France, sous son gant de velours, sera apprêtée avec le plus grand soin pour se fondre enfin dans un plasma homogène planétaire. N’en déplaise à ceux qui affirment le contraire, au travers de sa personnalité reluisante, Emmanuel Macron est parfaitement prévisible et renouvelle bel et bien l’offre politique. En vérité, je vous le dis, ramenons les brebis égarées au sein du troupeau, laissons-nous porter par ce souffle nouveau et mettons-nous en marche, confiants et sereins, vers de radieux lendemains...


Lire l'article complet, et les commentaires