Déchéance de nationalité et traité de Lisbonne sont incompatibles

par Jowurz
lundi 1er novembre 2010

Si le Sénat adopte à son tour le projet de loi relatif à l’immigration, àl’intégrationet à la nationalité, Il se pourrait que l’ami Besson ait du souci à se faire et qu’une fois de plus la loi française ne soit pas conforme aux engagements pris par la France en ratifiant le traité de Lisbonne.
 
Il est étrange de constater, dans ce pays où la constitution fait de l’égalité le fondement du droit, que, pour le code pénal, la vie de certains vaille des peines plus importantes que la vie d’autres. C’est ce que montrent, parmi d’autres, les articles 221-4 et 222-8 du code pénal, pour qui la peau d’un flic, d’un magistrat ou d’un pompier est plus précieuse que celle du citoyen lambda. Comble ! Le meurtre d’un gendarme en permission ou d’un flic « civilisé » vaut moins cher, quand il a déposé son Képi au vestiaire, que celui d’un collègue en tenue.
 
Mais ce n’est pas l’unique inégalité que possède notre droit. Ainsi, si le projet Besson est adopté dans sa forme actuelle par le Sénat, son article 3bis entraînera la modification de l’article 25 du code civil dont le premier alinéa dispose :
" L’individu qui a acquis la qualité de Français, peut par décret pris après avis conforme du Conseil d’Etat, être déchu de la nationalité française sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride.
en y intégrant une 5° condition,
S’il a été condamné pour un acte qualifié de crime prévu et réprimé par le 4° des articles 221-4 et 222-8 du code pénal. »
 
L’application de l’ensemble de l’article 25 est assujettie aux délais mentionnés à l’article 25.1 qui le complète. La déchéance peut donc intervenir dans un délai 10 ans à compter de l’acquisition de la nationalité et de la perpétration des faits susceptibles de la motiver.

Vous le remarquez : la déchéance de nationalité n’est applicable qu’aux personnes possédant une seconde nationalité, elle a pour conséquence évidente l’expulsion du condamné sitôt qu’il a purgé sa peine. L’article 3bis de la loi Besson à l’étude au Sénat est donc un moyen de mettre en œuvre une procédure d’expulsion à l’encontre de l’intéressé. Procédure qui selon les accords internationaux ne peut concerner les apatrides n’ayant par définition aucun état d’origine où retourner.

Une réforme conduisant à une inégalité de traitement administratif est-elle constitutionnelle ?
 
Pour répondre à cette question le mieux est d’interroger les archives du Conseil Constitutionnel et le code de la nationalité qui s’est, depuis 1994, fondu dans le code civil. La déchéance de nationalité prévue à l’article 25 du code civil) apparaît le 8 janvier 1973 à l’occasion de la loi 73-42 qui modifie le code de la nationalité. Ainsi, l’article 98 dudit code dispose au premier alinéa : « L’individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’État, être déchu de la nationalité française » et l’article 99 précise : « La déchéance n’est encourue que si les faits reprochés à l’intéressé et visés à l’article 98 se sont produits dans le délai de dix ans à compter de la date de l’acquisition de la nationalité française. ». Les archives du Conseil Constitutionnel ne montrent aucune trace d’une décision concernant cette loi 73-42. C’est dire que cette juridiction n’a fait l’objet d’aucune saisine à son sujet. 
 
En revanche, au sujet de l’inégalité administrative évoquée, à l’occasion de la modification ci-après du code de la nationalité en 1993 nous trouvons trace d’une décision :
 
Article 11 - L’article 44 du code de la nationalité est ainsi rédigé :
 
" Art. 44 - Tout étranger né en France de parents étrangers peut, à partir de l’âge de seize ans et jusqu’à l’âge de vingt et un ans, acquérir la nationalité française à condition qu’il en manifeste la volonté, qu’il réside en France à la date de sa manifestation de volonté et qu’il justifie d’une résidence habituelle en France pendant les cinq années qui la précèdent.
" La condition de résidence habituelle en France pendant cinq ans n’est pas exigée pour l’étranger francophone au sens des dispositions de l’article 64-1.
" Un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions dans lesquelles les organismes et services publics, et notamment les établissements d’enseignement, les caisses de sécurité sociale et les collectivités territoriales, informent le public, et en particulier les personnes concernées par le présent article, des dispositions en vigueur en matière de droit de la nationalité ".
 
Article 12 - I - L’article 45 du code de la nationalité est ainsi rédigé :
" Art. 45 - Toutefois, l’étranger perd le droit qui lui est reconnu à l’article précédent s’il a fait l’objet pour des faits commis entre l’âge de dix-huit ans et celui de vingt et un ans :
" - d’une condamnation à une peine quelconque d’emprisonnement pour crimes ou délits contre la sûreté de l’Etat ou liés au terrorisme :
" - d’une condamnation à une peine égale ou supérieure à six mois d’emprisonnement non assortie d’une mesure de sursis pour proxénétisme ou trafic de stupéfiants ou coups mortels ou homicide volontaire ou assassinat :
" - d’une condamnation à une peine égale ou supérieure à six mois d’emprisonnement non assortie d’une mesure de sursis pour homicide volontaire, coups et blessures volontaires, menaces, viol ou attentat à la pudeur commis a l’encontre d’un mineur de quinze ans.
 
  L’article 21-11 du code civil issu de la loi du 20 novembre 2007 parachève ce qui était l’article 44 du code de nationalité :
« L’enfant mineur né en France de parents étrangers peut à partir de l’âge de seize ans réclamer la nationalité française par déclaration, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants si, au moment de sa déclaration, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans.
Dans les mêmes conditions, la nationalité française peut être réclamée, au nom de l’enfant mineur né en France de parents étrangers, à partir de l’âge de treize ans, la condition de résidence habituelle en France devant alors être remplie à partir de l’âge de huit ans. Le consentement du mineur est requis, sauf s’il est empêché d’exprimer sa volonté par une altération de ses facultés mentales ou corporelles constatée selon les modalités prévues au troisième alinéa de l’article 17-3.
 
La Cour Constitutionnelle fut saisie par 60 députés à l’époque de ce projet de loi.
 
 
Ils faisaient valoir la méconnaissance de principes et règles de valeur constitutionnelle des articles 9, alinéa 3, 11, 12, 44, 47 et 48 de ladite loi, selon eux, entachés d’inconstitutionnalité. Par sa décision 93-221 DC du 20 juillet 1993 la jurisprudence de cette juridiction nous apprend :
 « . En ce qui concerne le principe d’égalité :
Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que l’article 12, en prévoyant la perte du droit à la nationalité française par l’effet de la naissance sur le sol français à raison du prononcé de certaines peines ou mesures de police administrative, a méconnu le principe d’égalité dès lors que ces peines ou mesures n’emportent pas la perte de la nationalité française à l’encontre de ceux qui la détiennent ;
Considérant qu’au regard des conditions d’acquisition de la nationalité française que le législateur a entendu déterminer, les personnes qui prétendent à cette acquisition ne peuvent être regardées comme étant dans la même situation que celles qui sont françaises ; que dès lors ce grief ne saurait qu’être écarté. »
 
Ici la décision du Conseil Constitutionnel ignore la question réellement posée par les sénateurs qui concerne le cas des détenteurs par acquisition de la nationalité du fait de leur naissance. C’est pour lui un fait acquis : ces personnes détiennent la nationalité française elles ne sauraient être soumises à la perte d’un droit dont elles ont déjà fait usage puisqu’elles sont françaises. Ce qui explique la rédaction de l’article 45 actuel du code, cité plus haut.
 
Cette situation ambiguë tient au fait que les articles pour lesquels les députés eurent recours au Conseil Constitutionnel ne mettent pas en cause l’article 29 de la loi de modification lequel concerne l’article 98 du code de la nationalité qui aborde la déchéance de nationalité. La juridiction constitutionnelle ne saurait se saisir elle-même, elle ne peut juger que l’objet de la saisine et ne se substitue pas au législateur.
 
Entretemps, depuis le 1er Janvier 1994, les dispositions du code de la nationalité ont été abrogées, et celui-ci a été intégré dans le code civil dont il constitue le Titre Premier bis
 
L’article 3bis de la loi Besson adoptée par l’Assemblée Nationale, en attente d’adoption par le Sénat, est donc, à priori, conforme à la Constitution puisqu’il n’évoque pas, lui non plus, l’acquisition de la nationalité et qu’une telle loi, n’étant pas organique, ne connaît pas l’obligation d’une soumission à l’examen du Conseil Constitutionnel. 
 
Toutefois, l’article 15 de la déclaration universelle des droits l’homme de 1948 signée par la France dispose :
1- Tout individu a droit à une nationalité
2- Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité.
L’extension de l’article 25 du code civil, qui serait consécutive à l’adoption de l’article 3bis de la loi Besson, prive un individu de la nationalité qui lui a été reconnue. Les Français par filiation, condamnés pour les mêmes faits, ne bénéficient pas d’une telle sanction administrative, l’article 3bis est-il arbitraire au regard de la déclaration de 1948 signée par La France ?
 
La seconde question vient alors l’esprit. Les conséquences sur le code civil de cet article 3bis sont-elles conformes à la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne sur laquelle, veille Madame Reding, Vice Présidente de la Commission ?
 
Nous voici donc à la lecture de cette charte. Qu’y découvrons-nous au chapitre 3 ? Un article 21 dont l’alinéa 2 est d’une limpidité à tiroir : « 2. Dans le domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, et sans préjudice des dispositions particulières desdits traités, toute discrimination fondée sur la nationalité est interdite »
 
L’acquisition d’une nationalité sous probation de 10 ans instituée par les articles 25 et 25-1 du code civil n’existe pas selon le droit international. En considérant que l’individu, qui a été puni par la loi, n’est plus, du fait de la nationalité de ses parents (alinéa 1 de l’article 25 du code civil) ou de celle du pays dont il est originaire (futur 5° de l’article 25 du code civil)), un ressortissant français à part entière, il encourt le bannissement, une peine abolie, en France, depuis 1994. Il y a là une discrimination évidente due aux origines nationales. Une telle distinction est incompatible avec les valeurs de l’Union Européenne pour qui : «  Toutes les personnes sont égales en droit  ».
 
Aussi vite qu’il est possible nous interceptons dans le premier Journal Officiel venu, un traité de Lisbonne qui réunit sous une même appellation les deux traités cités et trouvons un article 18 (ex article 12 du TCE), clair comme de l’eau de roche : « Dans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité. . Pour compléter notre compulsion nous tombons sur la page 346 de la version C83/344 publiée le 30 mars 2010 au Journal Officiel de l’U.E une déclaration relative à la Primauté :
« La Conférence rappelle que, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, les traités et le droit adopté par l’Union sur la base des traités priment le droit des États membres, dans les conditions définies par ladite jurisprudence. »
 
Sans discuter de la pertinence ou non de la mesure administrative proposée. Nous voici, à n’en pas douter, confrontés au prochain éclat juridique que pourrait provoquer l’adoption de l’article 3bis de la loi Besson. En effet, tout bien considéré, l’article 25 du code civil évoquant les origines nationales antérieures à l’acquisition de la nationalité française de l’individu, pour lui appliquer une mesure administrative spéciale, ne semblent pas conformes aux droits fondamentaux et aux valeurs de l’Union Européenne.
 
Il serait souhaitable que le Sénat et l’Assemblée en prennent conscience avant que ce pauvre Lellouche et ce bon Eric, s’ils font partie du prochain Gouvernement, n’aient encore maille à partir avec Madame Reding. Elle va finir par se lasser. Si c’est le cas nous serons alors tout aussi ridicules qu’avec l’affaire des Roms et bons comme la romaine pour revoir notre loi. Quelle salade !
 
Nos parlementaires, responsables des lois, devraient de temps en temps réfléchir. Après tout le traité de Lisbonne, ils l’ont voulu ! Non ? Eh bien ! Qu’ils le respectent.
 

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