Dehors, les bronzés !

par Tonio
jeudi 29 décembre 2011

Claude Guéant est un personnage fascinant. Vêtu de costumes stricts et de compétence austère, il est une incarnation du haut fonctionnaire mortellement respectable comme peu de cinéastes oseraient en figurer par crainte de sombrer dans la caricature. Voici donc un personnage à mille lieux du sbire sarkozyste habituel : il préfère aux Ray Ban des lunettes discrètes et utilitaires, ne se répand pas en propos d’après digeo, ne part pas en vacance avec des personnalités délicieusement sulfureuses.

Par contre il fait son taf.

Il s’est vu confier une mission simple : rattraper les voix du Front National en tapant sur les bronzés. Et il s’y emploie avec zèle et constance. D’aucuns parlent de maniaquerie, point du tout : c’est connaître son métier et s’y tenir.

Claude Guéant étant chargé des activités de police, il veut rétablir la double peine et durcir la réponse à la délinquance étrangère. Olivier Bouba Olga rappelle que le vrai problème est la délinquance des nationaux ? Denis Colombi se lance une démonstration par l’absurde sur l’utilisation optimale des ressources policières ? Mais enfin, ce n’est pas le sujet ! Si le Gouvernement souhaitait remédier à l’insécurité, il se concentrerait sur les attaques sur les personnes et les cambriolages, au lieu de les laisser s’envoler. Ou plus encore, il n’aurait pas supprimé 5.000 policiers et gendarmesdepuis 2009.

Non, si on veut clore le débat de « à quoi sert la police » vu par le Gouvernement, il suffit de se tourner vers un bel indicateur de l’activisme policier : la garde à vue. Cette magnifique institution que le monde entier nous envie a connu un regain d’un quart entre 2004 et 2009, sans même compter les infractions routières. Sur cette augmentation, un sixième correspond à l’usage simple de stupéfiant, c’est à dire dans plus de 90% des cas de cannabis. Bizarrement, le fumeur en garde-a-vue type n’est pas le jeune fumeur blanc des classes moyennes de centre-ville qui représente la grande majorité des consommateurs, mais plutôt le jeune fumeur des cités pas blanc et pas des classes moyennes. De même, c’est bien le fumeur qui est visé et pas le trafic : le nombre de garde à vue pour usage seul bondit de 38,6% sur la période, contre 5,6% pour le trafic, les gros et petits bonnets peuvent dormir tranquilles. Un autre quart de cet accroissement correspond tout simplement à l’entrée et au séjour sur le territoire. Donc plus du tiers de l’effort policier supplémentaire est intégralement consacré aux bronzés, à travers des infractions dont la dangerosité pour les citoyens honnêtes est nulle. Mais lutter contre la délinquance dangereuse n’est pas le problème de Claude Guéant, il a une mission : dehors les bronzés !

C’est pareil dans les autres secteurs. Regardez les universités : on s’interroge gravement sur la capacité de l’enseignement supérieur français à attirer les étrangers au même titre que l’Angleterre ou les USA. Pour Claude Guéant, ce n’est pas compliqué : les étudiants étrangers sont majoritairement des bronzés, donc on les vire tous parce que c’est un peu difficile de les distinguer. On a formé des tas de gens pour rien ? On se prive de personnes motivées qui veulent s’intégrer ? On élimine des gens qui aideront à faire tourner l’économie française ? Mais l’attractivité de la France n’est pas le problème de Claude Guéant, il a une mission : dehors les bronzés !

Claude Guéant nous donne une leçon d’histoire in vivo. La reconstruction de la IVème République et l’épopée gaulliste nous ont laissé le souvenir de grands serviteurs de l’Etat issus du terreau de la Résistance qui avaient l’intérêt général chevillé au corps. Cette génération, qui fut un accident historique à la hauteur de l’effondrement de 40, a disparu. Nous assistons au retour des grands commis ordinaires, dont le rôle se limite à conduire docilement les politiques décidées plus haut, sans s’inquiéter un instant de leur adéquation au bien commun. En regardant Claude Guéant sacrifier sans inconfort la politique de sécurité du Gouvernement, sa politique éducative et au passage quelques principes républicains parce que cela peut grappiller quelques voix égarées au scrutin prochain, on comprend ce que purent être des gens qui ne firent que leur travail, dans le ronron indifférent de la machine d’Etat de Vichy.


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