Démocratie, mon cul ! Comment l’Etat bâillonne le peuple et fusille la Nature – Pétition

par Matthieu Stelvio
mercredi 5 février 2014

Exclusion des citoyens du débat, partialité de l’information, bâillonnement de la Science, dépendance des contre-pouvoirs, exécution d’une décision aux conséquences lourdes et irréversibles dans un délai incompatible avec un recours en justice… Ou comment le massacre du Bargy révèle de graves dysfonctionnements démocratiques ! Une pétition a déjà récolté plus de 19000 signatures.

 L’Etat et la démocratie sont deux choses bien distinctes. À l’instar d’un ancien Président de la République, beaucoup de décideurs ont l’arrogance de penser que les questions politiques sont « trop complexe[s] pour être soumis[es] au vote ». Il en résulte qu’en ignorant le peuple, l’Etat blesse au cœur les citoyens, si bien que progressivement, ces derniers finissent par ne plus croire en la légitimité de leur système politique. Dans un tel contexte, le paiement de l’impôt perd de son sens, et la société de sa cohésion.

 De par sa situation, chaque citoyen est susceptible d’être blessé par la violence d’un système qui génère de l’injustice. En cela, chaque témoignage importe ; et illustrer ma colère à travers une expérience concrète me semble plus parlant que d’aborder des thématiques générales ayant moins d’emprise sur la réalité. Les montagnes sont ma vie ; et l’Etat s’est attaqué à quelque chose qui m’était très cher : les bouquetins. Avec leurs grandes cornes, ils sont beaux et majestueux. Vivant sur les cimes, en paix avec les autres animaux, ils n’ont jamais eu la moindre goutte de sang sur les incisives. Je vois en eux une grande sagesse ; l’innocence de leur regard me touche. Ils sont rares, protégés et interdits de chasse. Bien que la loi interdise leur abattage, l’Etat a ordonné le massacre de centaines de bouquetins en Haute-Savoie, car parmi eux, certains sont atteints de brucellose. Les experts affirmaient pourtant que le risque de propagation de la maladie était extrêmement faible, et qu’il n’y avait pas d’urgence à agir, mais au nom du principe de précaution et d’arguments économiques fumeux, l’Etat a fait l’impasse sur la loi, a décrété l’urgence, et a décidé de tirer dans le tas, à l’aveugle, sans faire de distinction entre les bouquetins malades et les bouquetins sains ! (A) Les conditions de ce massacre sont symptomatiques de la mauvaise santé de notre société, et révèlent de graves dysfonctionnements démocratiques …

 Pour commencer, une démocratie ne peut pas fonctionner sans ses citoyens ; c’est pourquoi la loi impose le respect d’une procédure de participation du public avant la prise d’une décision ayant une incidence sur l’environnement. (B) Agissant en catimini, l’Etat n’a pas organisé de consultation publique avant d’ordonner l’abattage de centaines de bouquetins. Cette attitude est inacceptable, et nous apprend que le sort de la Nature est placé entre les mains d’une poignée de responsables administratifs (nommés et non pas élus) plutôt qu’entre celles du peuple !

 Une démocratie ne peut pas fonctionner sans transparence de l’information ; et, dans l’affaire du massacre du Bargy, en plus d’être ignorés, les citoyens n’ont même pas été informés ! Durant les jours qui précédèrent l’abattage massif, au moment où une contestation prenait forme, des journalistes ont été induits en erreur. Ainsi, le rapport scientifique publié par l’ANSES le 4 septembre n’a été officiellement diffusé qu’à la fin du mois de septembre. (C) Se heurtant à cette opacité, peu avant le massacre, France 3 titrait « Pas d’abattage massif » et expliquait que « les bouquetins du massif du Bargy vont pouvoir souffler ». (C) Quelques jours après, la zone était bouclée par un nombre impressionnant de gendarmes, et 197 bouquetins étaient abattus ! Le manque de transparence est flagrant, et a permis d’étouffer toute forme de contestation ! Ce n’est que cinq jours avant le massacre que la presse a fait allusion, pour la première fois, à un abattage massif éclair en indiquant que celui-ci devait se dérouler « durant la deuxième quinzaine du mois d'octobre » ; ou plus précisément selon les mots du Préfet (qui se bat, aux côtés du député Accoyer, pour détrôner Pinocchio) : « vers la fin du mois d’octobre, et un petit peu avant si nous pouvons ». (A)(C)(D)(E) Ne respectant pas les délais, prenant les opposants de vitesse, étouffant toute contestation, le 1er et le 2 octobre, 197 bouquetins (sur 290 à 520) ont été abattus ! En somme, cinq jours avant l’abattage, à peu près personne n’était au courant de ce qui tramait, y compris du côté des biologistes participant à l’étude ; ce qui a coupé court à toutes les contestations ! Cet abus d’autorité de l’Etat est une grave offense à la démocratie !

 Pour ordonner l’abattage massif, l’Etat s’est appuyé sur des observations issues de fédérations de chasseurs et de l’Office National de la Chasse (ONCFS) ; autrement dit, sur des observateurs dont l’impartialité est sérieusement mise en cause par la Cour des Comptes. (F)(H) Pour donner raison à ces observateurs douteux, l’Etat a tout fait pour qu’après les abattages, le pourcentage réel d’animaux contaminés ne soit pas connu et pas vérifiable. Ainsi, selon le vice-président de la commission faune du Conseil National de Protection de la Nature (CNPN), « ordre a été donné de la préfecture de ne pas effectuer de prélèvements à but scientifique sur les cadavres [des bouquetins abattus], obérant ainsi lourdement les études en cours, notamment à l’ANSES. » (G) Ces prélèvements étaient pourtant cruciaux, car ils auraient permis aux scientifiques de mieux comprendre la maladie et de mieux la combattre. (H) Contre l’avis du CNPN, de très nombreux bouquetins non contaminés ont été abattus ; l’Etat n’assume pas ce crime contre la Nature visant des animaux protégés, bâillonne les scientifiques, cache la vérité et fait tout pour éviter que quiconque puisse rouvrir ce dossier en menant une enquête scientifique indépendante ! De plus, le fait d’empêcher le recueil de données permet aux décideurs d’affirmer tout et n’importe quoi, d’exagérer les chiffres de la maladie, sans être contredit. Faisant ainsi taire la Science, le Préfet pourra plus facilement satisfaire à la demande qu’il a formulé en juin 2013, c’est-à-dire l’éradication de tous les bouquetins du massif du Bargy. En somme, l’Etat fait en sorte de tuer dans l’œuf toute vérité scientifique pour faire triompher une parole officielle et incontestée ! Admirablement bienveillants, nombre de journalistes ont retranscrit à la lettre la grande parole officielle ! Et aux ordures les milliers de contestataires ! (P) Comment les citoyens peuvent-ils se construire une opinion si on leur cache délibérément la vérité ?

 Lorsque l’Etat a massacré des centaines de bouquetins, personne n’a révélé que l’abattage ordonné n’était pas respectueux du code de l’environnement puisque le Conseil National de Protection de la Nature prônait une autre solution, et demandait à ce que tous les bouquetins non contaminés soient épargnés ! (R) L’omission par les médias d’une telle irrégularité envers la loi révèle l’ampleur de l’opacité autour de cette affaire, et plus globalement, la très mauvaise santé de notre démocratie (la France est 37ème au classement de la liberté de la presse !) (O) À cela s’ajoute une omission soigneuse et délibérée d’associations subventionnées par le département de la Haute-Savoie (I) qui, par un subtil jeu de rhétorique, ont laissé entendre, au moment où une contestation prenait forme, que le massacre ordonné par l’Etat était conforme à l’avis du Conseil National de Protection de la Nature ; ce qui est absolument faux (J)(K) et ces associations le savaient. (L) Par la même occasion, ces associations subventionnées sont allées jusqu’à marquer leur accord avec la décision du Préfet. (J) Il est aberrant que des associations protectrices de la Nature s’opposent à l’avis du Conseil National de Protection de la Nature ! (J)(K) Une fois le massacre exécuté, ces associations subventionnées sont revenues sur leur position en qualifiant le massacre de « totalement disproportionné » ! (M) Irrémédiablement tardive, la contestation de ces entités subventionnées devient rétrospective et inefficace, et ne gêne plus l’Etat ! (N) Ce fait semble illustrer que seule l’indépendance financière d’une association puisse garantir la liberté de son expression, et rappelle qu’une démocratie ne peut pas fonctionner sans contre-pouvoirs indépendants !

 Le 30 septembre, rien ne laissait prévoir la précipitation et l’ampleur des abattages ! Prenant de vitesse citoyens et tribunaux, le Préfet a signé son arrêté le 1er octobre ; le 2 au soir, 197 bouquetins étaient déjà morts ! Face à une telle précipitation, les 197 bouquetins ne pouvaient être sauvés par aucun tribunal ! L’Etat a abusé de son autorité, l’Etat a outrepassé l’avis du Conseil National de Protection de la Nature, l’Etat a bâillonné la Science, l’Etat a fait fi des citoyens ! Non, le pouvoir n’appartient à quelques hauts responsables qui s’autoproclament Etat ! Non, le pouvoir n’appartient pas à une petite poignée d’énarques nommés par on ne sait trop qui ! Le pouvoir appartient à chacun d’entre nous ; et nous devons défendre cette grande espérance collective qu’est la démocratie !

 En massacrant à la légère des centaines de bouquetins protégés, l’Etat est en train de flinguer la démocratie ! Les bouquetins doivent cesser d’être les boucs-émissaires d’un Etat qui se croit tout permis, qui ne respecte plus rien, qui assimile les mammifères les plus emblématiques de notre biodiversité à de la simple chair à canon ! Défendre les bouquetins survivants du Bargy, c’est non seulement défendre la Nature, mais c’est aussi défendre le respect de la démocratie et de la loi. Pour toutes ces raisons, je vous invite à signer cette pétition :

http://secure.avaaz.org/fr/petition/Petition_Stop_a_labattage_des_bouquetins_du_Bargy

 


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