Démocrature française et petites magouilles entre amis
par Renaud Bouchard
vendredi 1er avril 2016
Non à la loi dite de « modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle ».
Non aux élections dites « primaires ».
« Et tous se demandent quelle est la meilleure couleur pour repeindre la clôture du jardinet qu’ils continuent d’entretenir sur les flancs du volcan déjà secoué de grondements. »
F. Lordon, Nous ne revendiquons rien, Le Monde Diplomatique, 29 mars 2016
Il y a quelque chose de grandiose avec ces équipes de politicards qui se succèdent, de droite, de gauche, tous plus mauvais les uns que les autres et qui reviennent régulièrement pour remplir leurs gamelles : il n'y en a pas une pour racheter l'autre. On fait de la politique comme du développement durable : c'est à dire que l'on continue de faire durablement ce que l'on a toujours fait – un petit fricot nauséabond, une petite cuisines électorale -, avec quand même ce passage délicat (un peu comme une sorte de dos-d'âne qui oblige le conducteur à ralentir) que représente l'élection présidentielle, « la Mère de toutes les élections », celle qui permettra de continuer à remplir (encore un peu) les gamelles précitées.
Les parts du gâteau étant déjà pré-distribuées suivant la règle bien comprise du « Tu me soutiens, je t'investis... », http://www.boursier.com/actualites/reuters/la-droite-verrouille-sa-primaire-consensus-sur-les-legislatives-188167.html?fil70 il ne reste plus qu'à écarter tous les obstacles afin, précisément, d'éviter de prendre une gamelle électorale.
Car voyez-vous, Chers Lecteurs, la politique (en France, tout au moins), est encore obligée de composer avec cette véritable plaie que représente le Peuple, un Peuple qui non seulement dispose d'un droit de vote mais encore entend l'exercer sans que l'on sache trop comment éviter qu'il puisse « mal » voter. Ces choses-là, désagréables, arrivent parfois. Il existe d'ailleurs des pays dans lesquels la question est définitivement réglée pour éviter, précisément, toute incertitude sur une interprétation hasardeuse de la notion ou de la catégorie politique dite de « démocratie populaire » : on n'y vote pas, sinon de manière très « encadrée »...
Démocrature
On voit donc apparaître des démocraties, mais aussi des « démocratures », néologisme intéressant qui semble caractériser la France dont les « dirigeants » réalisent avec inquiétude qu'ils ont en face d'eux des gens qui non seulement savent lire et écrire, mais qui plus est réfléchissent, finissent par comprendre la marche du monde, ont parfaitement saisi à force d'expérience, de tromperies, de promesses fallacieuses et d'espérances déçues la signification de notions aussi imagées que celles de « f. de gueule » ou « d'enfumage », ont des idées, mais en plus entendent les exprimer ! Et voilà que cinq années sont presque écoulées (« Comme le temps passe ! » aurait finement observé Brasillach) et qu'il est donc urgent (gamelle oblige) d'éviter que cette prochaine consultation électorale parte dans tous les sens (toujours cette notion polysémique de gamelle) et que les gens s'avisent de choisir (les ingrats !Avec tout ce que l'on fait pour eux !) une autre cavalerie différente de l'équipe de tocards et de chevaux de retour qui prétendent s'aligner pour 2017.
Le bipartisme est en danger ! L'alignement des planètes est de mauvais augure. L'équipe sortante est aussi mal en point que celle qui prétend lui succéder. La solution est donc toute trouvée avec l'élimination pure et simple de la concurrence et de toutes ces expressions possibles de la chose politique que représentent les « petits » partis, ceux qui ont déjà du mal à exister face aux gros partis qu'une conception bien comprise de la politique verrait bien interdire de concours : deux voitures de course sur l'autoroute ou le circuit, pas plus ! les autres guimbardes s'alignant comme elles le pourront, étant privées de logistique et priées d'emprunter les chemins vicinaux ou les départementales dont le profil limite la visibilité, la vitesse et donc l'heure d'arrivée.
Mais il se trouve que le temps est venu de priver ces honteuses écuries de politicards à la ramasse des moyens de rafler une fois de plus tous les prix.
La solution est très simple : s'il faut espérer que le Conseil Constitutionnel puisse rappeler et dire le Droit en anéantissant ce tripatouillage électoral qu'une représentation parlementaire indigne tente de mettre en place au nom de formations politiques obsolètes qui ne représentent plus que la collusion de camarillas vivant dans la hantise d'être balayées par un vote de rejet, il faut utiliser cette arme absolue que représente la Constitution, cette Loi fondamentale de la République.
Voulue par son concepteur et ses rédacteurs comme la garante d'une expression politique et citoyenne hors partis, la Constitution porte en elle le moyen radical d'anéantir les combines politiques auxquelles les citoyens-électeurs sont priés d'assister avant que de s'y soumettre ou d'y consentir, étant entendu que d'ici 2017 les candidats autres que les « candidats institutionnels » seront pour leur part simplement écartés ou mis hors-jeu et leurs électeurs soit passeront à la trappe, soit s'abstiendront. Quant aux autres...
On rappellera en effet que depuis la révision constitutionnelle adoptée par Référendum le 28 octobre 1962 qui l'a introduite dans la Constitution, l'élection du président de la République s'effectue désormais au suffrage universel direct.
S'agissant de l'expression directe de la souveraineté nationale - et uniquement de celle-ci -, il en résulte que tout autre moyen qui viendrait soit à « aménager » ou à « réduire » l'expression de cette souveraineté est dès à présent inacceptable, qu'il s'agisse de loi électorale ou encore d'élections dites « primaires », celles-ci ne pouvant servir d'anti-chambre à l'élection présidentielle en « sélectionnant » des « candidats-maison » avec des « procédures-maison ».
Cette proposition de loi d'accession à l'élection présidentielle verrouille un système de plus en plus illégitime, un verrou qu'il faut briser, car aujourd'hui en France les partis politiques ne comptent que 365 000 adhérents, soit 0,5% de la population française.
Et les autres ? A eux de choisir en étant conscients de l'immense pouvoir dont ils disposent. Dix millions d'électeurs me suffiront pour valablement les représenter directement et traduire efficacement leurs suffrages.
Références :
F. Lordon, Nous ne revendiquons rien, Le Monde Diplomatique, 29 mars 2016
http://blog.mondediplo.net/2016-03-29-Nous-ne-revendiquons-rien
Pouvoirs publics : règles applicables à l'élection présidentielle.Proposition de loi organique de MM. Bruno LE ROUX et Jean-Jacques URVOAS et plusieurs de leurs collègues de modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle, n° 3201, déposée le 5 novembre 2015 (mis en ligne le 10 novembre 2015 à 14 heures 20)
et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république
http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/modernisation_regles_election_presidentielle.asp
Texte :
La notion de peuple, peut se définir par l'ensemble des personnes sur lesquelles s'exerce le pouvoir sans l'exercer eux-même directement. Les démocraties dites libérales ont émergé avec l'idée que ce peuple aurait à choisir une représentation parmi une offre politique pluraliste. Jusqu'à la semaine précédente, la France garantissait aux candidats, ayant obtenu le droit de se présenter à l'élection présidentielle, un temps de parole égal. Ce dispositif permettait au peuple d'entendre les différents prétendants sans que soient pris en compte les finances, les appareils politiques ou la notoriété de ces derniers.
Bien que la 5e République puisse évidemment être critiquée, notamment en ce qui concerne l'accès restreint à une élection qui influence nécessairement celles à venir (dont les législatives), les règles établies permettaient l'émergence de candidats et de discours alternatifs, du moins le temps d'une campagne électorale. La philosophie de la nouvelle loi dont l'application sera visible dés la prochaine élection présidentielle porte atteinte à cette idée de pluralisme.
En effet, en supprimant un accès réellement équitable au temps de parole (quand bien même ce terme est utilisé pour justifier et décrire l'écriture de la nouvelle loi), les partis majoritaires en termes de représentation (PS et LR) verrouillent de ce fait la seule élection qui intéresse encore les Français. Ces derniers ; profitant déjà d'une loi électorale leur permettant d'être surreprésentés à l'assemblée nationale, entendent réduire l'offre politique en France à un bipartisme qui s'avère être de plus en plus de façade. En effet ces derniers se lancent aux uns et aux autres des appels du coude avec l'évocation de moins en moins discrets à une recombinaison politique ou une nouvelle alliance qui irait de "Macron à Juppé". Ajoutons à cela un deuxième dispositif ayant pour but d'accroître la domination de ces derniers par la réduction de la période où seront comptabilisées les dépenses et recettes de campagne (de 12 à 6 mois).
Cette nouvelle loi inscrit donc dans nos institutions certaines idées qui me semblent aller à rebours de l'idée démocratique :
- il y a l'idée d'une légitimité à prolonger le pouvoir de ceux qui l'ont acquis et d'en éloigner ceux qui ne l'ont jamais eu (une nouvelle forme d'aristocratie)
- il y a l'idée que des discours méritent d'être entendus et d'autres non (un élitisme conforté par des cursus pour devenir homme politique)
- il y a l'idée d'une fusion/confusion entre certains partis et la République (on n'est plus très loin de dire que LR ou le PS sont consubstantielle de la République française)