Députés LREM : les caves se rebiffent !
par Fergus
lundi 17 février 2020
Avis de gros temps sur La République En Marche : entre exclusions du parti et départs volontaires, l’écurie parlementaire présidentielle se réduit toujours un peu plus. Au point que Macron, s’il dispose encore de 300 députés à l’Assemblée Nationale, voit sa majorité absolue se réduire comme peau de chagrin : plus que 11 sièges de marge ! Or, dans le climat actuel de délitement du pouvoir, tout laisse à penser que l’hémorragie va se poursuivre dans les prochains mois…
Qui peut croire en effet qu’il n’y aura pas de nouvelles défections dans la Macronie parlementaire ? À cet égard, la lettre qu’ont adressée le mardi 11 février deux députés LREM membres de la Commission des Finances – Émilie Cariou, élue de la Meuse, et Laurent Saint-Martin, député du Val-de-Marne et rapporteur de ladite commission – au Premier ministre Édouard Philippe est emblématique du malaise qui règne dans les rangs des parlementaires de la majorité. Il ressort en effet de ce courrier, dont la teneur a été rendue publique par le quotidien Le Monde, que ces deux élus, particulièrement sensibilisés – es-fonctions – au coût du projet de réforme des retraites, ont soulevé une quinzaine d’interrogations particulièrement embarrassantes pour l’exécutif. En deux mots, c’est globalement « la faisabilité financière de la réforme des retraites » qui est mise en doute par le questionnement de ces élus LREM.
Deux députés dont on doit, en cette circonstance, d’autant plus saluer la rigueur intellectuelle dans le cadre de cette réforme si manifestement bâclée que M. Saint-Martin est membre du Bureau exécutif de LREM (en charge de la Prospective). Les questions que Mme Cariou et lui-même posent – par exemple sur les conséquences du prélèvement de cotisations sociales sur les primes des fonctionnaires, sur les compensations de salaire en direction des enseignants-chercheurs, ou sur les baisses de la CSG des avocats et autres indépendants – rejoignent celles de la plupart des économistes et des élus d’opposition, vent debout contre « un texte à trous » qui revient de facto à faire jouer aux députés une importante partie dont ils ne connaissent pas les règles ! Nombre de journalistes, en relais de cette démarche, chiffrent le coût des mesures à prendre dans une fourchette allant de 10 à 20 milliards d’euros. Ce n’est évidemment pas rien, et les représentants du peuple sont en droit de savoir si les mesures envisagées seront réellement mises en œuvre, et, si oui, où ces sommes seront prélevées.
À ce jour, aucune réponse n’a été apportée à ces questions par le locataire de Matignon. Et rien n’indique que l’exécutif ait la moindre intention de faire droit à la demande unanime des députés Les républicains, emmenés par Gilles Carrez et Éric Woerth, qui souhaitent mettre en sommeil le processus parlementaire le temps que des éléments tangibles de financement soient portés à la connaissance des élus de la représentation nationale. Encore ne parle-t-on pas là du mode de fixation de la valeur du point, appelé à reposer sur un indice qui n’existe pas à ce jour et dont on peut craindre, au vu des cafouillages, des imprécisions et des carences du texte de réforme des retraites, qu’il soit lui aussi frappé au coin de l’effrayant amateurisme qui caractérise, quasiment en toutes circonstances, l’action du gouvernement.
Dans de telles conditions, l’on comprend aisément les états d’âme des députés LREM. Et pour cause : la grande majorité d’entre eux est issue d’un casting opéré dans la société civile. Or, il se trouve que ces élus, sans rapport antérieur avec la vie politique nationale pour la majorité d’entre eux, et donc peu familiers des pratiques d’appareil, ont, pour la plupart, cru naïvement la promesse qui leur a été faite par les caciques de LREM de pouvoir conserver leur liberté de conscience. Un gros bobard qu’ils ont avalé en 2017, tel un appétissant gâteau, et qu’ils ont, depuis ce moment de béatitude, beaucoup de mal à digérer tant il leur pèse sur l’estomac.
Ça branle dans le manche
C’est ainsi que nombre de ces députés, fiers dans un premier temps de représenter, écharpe en travers de la poitrine, les citoyens de leur circonscription, sont devenus des godillots aux ordres. Des carpettes capables, toute fierté bue, de rejeter, à la demande d’un gouvernement plus cynique que jamais, une proposition de loi à caractère humaniste visant à porter de 5 à 12 jours le congé des parents d’un enfant décédé. Et cela avant de se renier en décidant quelques jours plus tard de voter un texte encore plus favorable – on parle de 15 jours – à la demande de Macron, désireux de se donner le beau rôle à peu de frais. Difficile de faire plus pitoyable, pour ne pas dire plus veule !
Forcément, tout cela laisse des traces sur l’épiderme et dans les têtes des élus LREM. D’autant plus qu’il convient d’y ajouter les tourments nés des virulentes critiques que suscite le projet de réforme des retraites, toujours majoritairement rejeté par la population française. Des critiques qui émanent de toutes parts, y compris d’économistes et d’éditorialistes dûment estampillés « libéraux ». Le coup le plus rude, parce qu’inattendu en haut lieu, a même été porté le vendredi 7 février par les membres du Conseil d’État dans un avis très sévère qui, en substance, revient à souligner l’impréparation et l’amateurisme des gouvernants sur ce projet majeur. Dans un tel contexte, les insultes subies sur les marchés et les réseaux sociaux, ainsi que les dégradations des permanences plombent un peu plus le moral de ces députés LREM qui se rêvaient en Condorcet ou Tocqueville et se trouvent cantonnés dans des rôles de valets serviles, souvent traîtres à leurs propres convictions.
Bref, « Ça commence à branler dans le manche [de] la majorité », a dit Régis Juanico, député apparenté PS. C’est le moins que l’on puisse dire. Et Macron l’a bien senti, qui a décidé d’organiser le mardi 11 février une séance de câlinothérapie afin de resserrer autour de l’exécutif les rangs des élus LREM à un moment ô combien difficile de son quinquennat. Un pari perdu si l’on en croit des propos tenus en off à l’issue de cette séance de brossage des députés de la majorité dans le sens du poil. La preuve en a d’ailleurs été donnée dès le jeudi 13 février à l’Assemblée Nationale où, malgré la demande de rejet du gouvernement, une proposition de loi visant à individualiser et à déplafonner l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH) a été adoptée en 1ère lecture grâce à l’apport de 4 voix de la majorité et la défection de plusieurs élus LREM ayant opportunément déserté le Palais-Bourbon au moment du vote pour permettre au texte de passer.
À l’évidence, Macron n’est plus assuré de la fidélité à toute épreuve de ses députés. Un nombre croissant d’entre eux, lassés d’avaler des couleuvres et d’être roulés dans la farine, entendent exercer leur rôle de représentant du peuple dans l’esprit de l’institution et le respect de leurs convictions. Autrement dit, ces députés ne veulent plus être les godillots de service, pour ne pas dire les « caves » manipulés, telles des marionnettes, par Macron et sa garde rapprochée. Rappelons qu’en argot, un « cave » est un individu naïf abusé par des truands pour servir un projet peu recommandable. Or, du fait de leur mode de recrutement –pour l’essentiel dans les différentes composantes de la société civile – et du fonctionnement clanique d’un exécutif enfermé au plan idéologique dans son bunker néolibéral, les caves se comptent de facto par dizaines dans les rangs de LREM à l’Assemblée Nationale. Mais il arrive, comme dans le célèbre film de Gilles Grangier*, que les caves se rebiffent. Certains élus de la majorité ont déjà franchi le pas de la fronde. D’autres suivront, à n’en pas douter !
* « Le cave se rebiffe » est un classique du cinéma français datant de 1961 ; les dialogues sont signés Michel Audiard, et les rôles principaux tenus par Jean Gabin, Maurice Biraud et Bernard Blier.