Des autruches, des baudruches et des cruches

par Blogdudemocrate
mercredi 13 décembre 2006

Je me suis amusé à m’efforcer d’oublier la prédisposition de l’échiquier politique, à gauche comme à droite, à ignorer le centre, et lui ai donné une autre configuration, en prenant pour facteur de disposition le comportement politique face aux responsabilités. Cela m’a donné des « autruches », des « baudruches », lesquelles ensemble tentent d’ignorer un troisième groupe : les « cruches ».

Les autruches
Les autruches, on les trouve et à gauche, et à droite.
Nous avons eu la longue période de la gauche gouvernementale depuis 1981 qui a ruiné le pays  : les nationalisations, l’explosion du nombre de fonctionnaires, l’endettement massif pour payer des prestations sociales dont le seul but fut de créer une clientèle électorale dépendante. Là, il faut bien reconnaître une vraie réussite mitterrandienne. A cela s’ajoute l’explosion du chômage, de la délinquance (souvenons-nous de la confession jospinienne), du « ni-ni », les 35 heures, la CMU, et on a l’archétype de l’autruche qui continue dans l’erreur en se disant que tout va bien et qu’il ne faut surtout rien réformer.
Et impossible de progresser avec la gauche, de devenir des sociaux-démocrates (voyez le sort fait à Strauss-Kahn, Rocard, Delors, Bockel, Migaud, Kouchner ou encore Védrine), de s’ouvrir au centre. Souvenons-nous de la réaction du premier secrétaire du PS dernièrement : “Si M. Bayrou trouve que le programme de la gauche est plus intéressant que le programme de la droite, alors bien sûr qu’il sera le bienvenu, pour voter à gauche.” François Hollande estime que la stratégie d’ouverture au centre voulue par François Mitterrand pour son second septennat « n’était pas la bonne stratégie », ou encore : “Ce n’est pas une offre d’alliance, c’est une offre de confusion. “ “Je négocie aujourd’hui toutes les alliances, mais pas avec l’UDF. Et si l’UDF la pose, ce sera non. L’appel à l’avenir ne nous intéresse pas, les électeurs ont besoin de clarté”, tranchait Bruno Le Roux, secrétaire national chargé des élections. Le mur de Berlin, ça avait quand même du bon, pour certains !
Je ne vous ferai pas de commentaire sur le programme calamiteux et totalement irresponsable du PS, on en a déjà parlé (pas de stratégie économique, fiscalité encore accentuée, extension des 35 heures, pas de réformes d’Etat, pas de lutte contre l’endettement, vision environnementale pitoyable, et sécurité envisagée par le retour de la police de proximité sans augmentation de personnels...). Bref, comme l’écrivait Semprun pour Montand : « Le PS a perdu toutes ses certitudes (heureusement) mais a gardé toutes ses illusions (malheureusement)  ». En cela, les sociaux-démocrates ou sociaux-libéraux ont de graves responsabilités dans l’archaïsme de la gauche française, en n’ayant pas eu le courage de franchir le Rubicon !

On a aussi la droite, chiraquienne. Le documentaire sur Chirac que chacun a pu voir dernièrement contribue je croie à illustrer mes propos. Je n’aborderai pas la question des « affaires », comme l’indiquait le documentaire : « J. Chirac n’est pas un homme d’argent , c’est vrai, c’est un homme de l’argent des autres... »
D’abord il a fallu faire battre VGE et sortir l’illustre Raymond Barre en faisant élire Mitterrand : c’est-à-dire arrêter le processus d’adaptation de la France engagé par Raymond Barre pour la faire plonger dans le « programme commun ». Et pendant que nos voisins européens se sortaient de la crise, nous, nous y plongions. Pour souvenir, en 1981 (après deux crises pétrolières consécutives), la dette n’existait pas, la France était le 1er pays exportateur d’Europe, le chômage était, si je ne m’abuse, à 1,5 million de victimes (et à l’époque, on ne trafiquait pas les chiffres).

Je ne reviendrai pas sur l’évitement de l’élection de Raymond Barre en 1988 permettant la réélection de Mitterrand, la nouvelle plongée dans l’endettement de Balladur en vue des présidentielles de 1995, la guerre fratricide entre balladuriens et chiraquiens (elles savent y faire, les autruches), les élections lamentables de Chirac avec Alain Juppé et ses droites bottes comme Premier ministre, la Dissolution (plus besoin d’adjectif, une majuscule suffit), les réformes vides ou d’évitement (encore), la tentative d’éradication de l’UDF (les autruches, ça aime la tranquillité), la guerre entre sarkoziens et antisarkoziens (quand je vous dis que les autruches savent y faire) provoquant des affaires du genre Clearstream (faut bien s’occuper), le CPE, et « j’en passe » qui ne sont pas forcément des meilleures. Si certains politiques ont des engagements, Jacques Chirac aura eu, lui, des emballements...

Résultat, la France est un pays hyper endetté provoquant une augmentation continuelle des charges, avec un chômage explosif, une délinquance diffuse et de plus en plus barbare, une immigration non intégrée, une jeunesse désintégrée, les classes moyennes et populaires appauvries (les Resto du cœur reconnaissent voir de plus en plus de gens nécessiteux ayant pourtant un emploi, comme on a de plus en plus de personnes obligées d’avoir deux boulots pour faire vivre leur famille), et les deux postes de dépenses dont les prix se sont envolés sont la nourriture et l’immobilier... La lâcheté de cette gauche et de cette droite que nous subissons depuis vingt-cinq ans a dès à présent des répercussions déplorables (1) .

Les baudruches
Les présidentielles arrivent, et la plupart des médias nous imposent deux figures : Ségolène Royale et Nicolas Sarkozy. Les deux pratiquent souvent une démagogie qui alimente les journaux. Je les appelle les baudruches car quand la réalité s’imposera, et elle s’impose toujours, l’effet baudruche se fera.
Commençons par la gauche. Ségolène Royale joue à fond l’effet sondage et image (une femme, seul argumentaire de nouveauté). Elle veut donner l’impression qu’elle prend ses libertés avec le Parti socialiste, ce qui en soi prouve l’inanité de son programme. Se voulant moins dogmatique que son parti, plus sévère sur la délinquance, plus ouverte sur les réalités économiques, elle séduit. Mais à l’épreuve des faits (je me suis un peu penché sur son bilan), il suffit de se souvenir de son action au gouvernement que tous ses collègues définissent comme... nulle. Ou encore, à la présidence de la région poitevine, qu’elle met en avant comme laboratoire de son expérience, que d’aucuns jugent particulièrement autoritaire et sectaire (par exemple, le Futuroscope, parce que création de la droite, ne figure plus sur la carte des lieux touristiques de la région) ; inflation des dépenses de personnels (+ 23 %), suppression arbitraire de subventions (surtout pour le développement économique...), coups médiatiques, gaspillage (elle a essayé de faire payer par la région sa virée électorale au Chili, et il faut voir aussi le parc de voitures !), et clientélisme (elle fait profiter sa circonscription de 31 % des subventions de sa région, alors que celle-ci ne représente que 5,3 % de sa population). N’oublions pas non plus que Ségolène Royale clamait à la presse il y a dix ans qu’un salaire mensuel supérieur à 50 000 francs (7 620 euros) était anormal et constituait «  une incitation à la violence », elle qui gagne aujourd’hui environ 80 000 francs (12 178 euros) !
Ségolène Royale veut assouplir les 35 heures (« Les 35 heures ont dégradé la situation des plus fragiles », lu sur son site), flexibiliser les CDI, réformer la carte scolaire (que 40 % des enseignants ne respectent pas), augmenter le temps de travail des enseignants (commission du projet socialiste, le 18 janvier 2006), rendre l’Etat économe (« L’Etat doit réduire ses gaspillages, son train de vie et ses doublons », Les Echos, le 19 mai 2006). Et concernant l’Europe, a-t-elle un avis, ou attend-elle des résultats de sondages ? Partage-t-elle l’avis de Michel Rocard (2) sur l’extension de l‘Europe au Proche-Orient et au Maghreb ? Je pense qu’il ne faut pas prendre à la légère sa proposition de jury populaire qui correspond dans l’histoire de la démocratie à un vrai cheminement (3). Mais elle a gâché l’idée en ne la bordant pas.
En même temps Ségolène Royale veut être la candidate d’un parti en contradiction absolue avec ces différents points : soit elle ment au PS, soit elle nous ment ! Je penche pour la seconde proposition, car à chaque coup de sifflet du parti, elle se met au garde-à-vous.


Passons maintenant à la droite avec Nicolas Sarkozy. D’abord par l’exercice du pouvoir : ministre du Budget sous Balladur, les déficits et l’endettement s’étaient particulièrement accélérés durant sa période d’exercice. En tant que ministre de l’Economie et des Finances, pas de souvenir particulier, hormis la démagogique mise au rencard de la loi Galland, soi-disant pour faire baisser les prix, permettant surtout aux grands de la distribution d’accentuer le chantage aux marges arrière. Enfin avec le costume de ministre de l’Intérieur, le bilan est plus complexe. Il a dès le départ rédigé une loi qui prenait en compte la situation calamiteuse de la gendarmerie, et il y avait longtemps que cela n’avait été fait. Réforme aussi consistant à augmenter le nombre de policiers et de gendarmes : c’est vrai. Mais il est vrai aussi que cette augmentation n’a suffi qu’à pallier les 35 heures et départs en retraite. La baisse de la délinquance est sujette à caution car elle est surtout « zonée » : Nicolas Sarkozy a en réalité pris en compte le fait que le monde des médias vit à Paris et c’est donc sur cette zone que les efforts ont porté... Bien pour les Parisiens, moins pour le reste de la France. Quant à son dernier ouvrage (4) on y trouve un véritable tissu de généralités sans proposition concrète : allez voir les pages concernant la réforme de l’Etat, la fiscalité, les classes moyennes, bref tous les vrais enjeux, et vous serez atterrés.
Nicolas Sarkozy me donne surtout l’impression aujourd’hui de représenter la coterie de Neuilly, avec ses soutiens spécifiques, géographiquement et socialement parlant...

Les cruches
Existerait-il une autre voie ?
Il y a quelque temps, j’ai eu la divine surprise de lire un appel commun lancé par Bockel du PS, Lambert de l’UMP et Blanc apparenté UDF. J’avais d’ailleurs pour ce dernier un a priori positif. Cet appel consistait à déclarer que la lâcheté gouvernementale n’était plus supportable et que ces trois politiques plus qu’intéressants ne soutiendraient qu’un candidat qui assumerait ses responsabilités face à la dette et la réforme de l’Etat. Cela me paraît être le bon chemin à suivre, sauf que la conclusion de leur prise de position se transforme en ridicule : Lambert déclare que malgré tout, il soutiendra Nicolas Sarkozy, pour Bockel ce sera de toute façon Ségolène Royal, et Christian Blanc... sûrement pas François Bayrou ! Donc espoir déçu devant cette unanimité divisée.
Il y avait aussi le bon boulot de Gilles de Robien. Mais sa vision de la politique qui ferait de son parti, l’UDF, une remorque de l’UMP, ou encore voyant dans Dominique de Villepin un leader de qualité m’a particulièrement refroidi. Bien sûr, je pense que Blanc et Robien ont toute leur place à l’UDF, sinon ce ne serait plus non plus l’UDF, mais ils sont, d’après moi, dans l’erreur.
De même, j’ai laissé tombé depuis longtemps l’espoir d’une voie sociale-démocrate ou sociale-libérale, car ceux qui auraient pu l’incarner n’ont aucun courage et préfèrent rester otages du PS.
La situation est pourtant grave, notamment pour la jeunesse. En effet, d’un côté est accentuée une extrême flexibilité pour la jeunesse et les étrangers par rapport à une protection totale pour les salariés du secteur public et les CDI des grandes entreprises privées.
Il serait temps que les gouvernants se rendent compte que ceux qui ont vingt, trente ou quarante ans aujourd’hui ne connaissent pas l’âge doré de 1968 :

- les diplômes ne sont plus une garantie d’accès à l’emploi ou de progrès social.

- Ceux qui avaient vingt, trente ou quarante ans en 1968 ont connu une forte période de croissance où le mérite (travail, études) était récompensé. Ce n’est plus le cas.

- Les salaires augmentaient en moyenne durant les Trente Glorieuses (jusqu’en 1975) de 3,5 % par an. Depuis la moyenne est passée à... 0,5 % par an.

- En 1968, quand un jeune cadre ou cadre sup rentrait sur le marché du travail et qu’un cadre ou cadre sup le quittait, l’écart de salaire était en moyenne de 20 %, aujourd’hui l’écart est de 40 % (5)

- Cette génération qui nous dirige s’est battue pour avoir plus que celle qui la précédait. Aujourd’hui, on se bat pour essayer d’avoir au moins autant que la génération d’avant...

- Les jeunes n’ont plus pour ambition de s’élever mais de « s’en sortir ».

- 70 % de la richesse appartient aux soixante ans et + / la pauvreté chez les moins de vingt-cinq ans s’accroît chaque année depuis dix ans.

- On nous laisse un système éducatif dans un état déplorable, une dette publique abyssale, des retraites à payer aux coûts mirobolants (prestations que nous ne connaîtrons pas nous-mêmes).

Trois autres points me paraissent vitaux :

- il est un fait qu’une certaine flexibilité des contrats permet une embauche plus aisée pour l’employeur. Je souhaite donc que la période d’essai passe à dix ou douze mois pour tout le monde, bref, que l’on se tourne vers un contrat unique.

- Il ne faut pas se tromper d’objectif : qu’est-ce qui est le plus important, protéger le contrat ou protéger les revenus ? Je pense que c’est le revenu qui doit être protégé, et l’exemple danois (la flexisécurité) me paraît percutant sur le sujet.

- Enfin, tant que la réforme de fond, c’est-à-dire le désendettement, ne sera pas adoptée, la situation continuera à se dégrader. Ce n’est pas le coût du travail ou les salaires qui ont dérapé, c’est l’augmentation continue des charges qui empêche d’accroître les capacités de production, c’est-à-dire de créer de l’emploi et d’investir dans la recherche et dans le développement. L’impôt sur le revenu ne suffit plus à rembourser l’intérêt de la dette. Il faut donc trouver les ressources ailleurs : soit on réduit des prestations de l’Etat, soit on augmente les charges, soit les deux en même temps. Et depuis un quart de siècle de dépenses à-tout-va, les différents gouvernements ont opté pour la dernière solution : un Etat moins efficace et des charges toujours en hausse. Je pense qu’il serait opportun de faire un audit de l’Etat (organisation et dépenses) et d’associer partis et syndicats dans une réforme de l’Etat, seule capable de réduire les dépenses, de les rationaliser tout en baissant les charges. Cela me semble un bon moyen pour permettre aux entreprises d’investir et d’employer réellement !

Pour ma part, je soutiendrai un candidat qui prendra en compte cette réalité sociale et assumera ses responsabilités devant les réformes à prendre. Or, il apparaît de plus en plus aux Français que seuls deux candidats semblent comprendre (au sens d’intégrer) leur situation : Jean-Marie Le Pen et François Bayrou.
François Bayrou semble aujourd’hui un démocrate qui se rebelle devant la réalité sociale et répond de façon responsable et cohérente (6). Sa proposition d’un gouvernement d’union avec des personnalités dites de gauche (que j’ai déjà nommées) ou de droite (Lambert, Borloo, Barnier, etc. ?) m’enthousiasme. Et en tant qu’européaniste convaincu, goûtant peu au racisme débile (au sens sénile pour Le Pen) et détestant le populisme (comme je l’ai écrit ailleurs, populaire n’est pas populiste), j’ai une préférence pour la politique de l’ambition, de l’avenir et des responsabilités. Le Pen, c’est la France du retrait, la France du regret, la France de la régression !
Je ne tomberai pas pour autant dans un militantisme béat ni dans un panégyrique bayrouiste, j’attends de voir ses propositions claires concernant la réforme de l’Etat, l’éducation, le développement durable (réponse à apporter à N. Hulot ?), la sécurité, etc. Mais nul ne peut nier que François Bayrou a pris le chemin de la réalité populaire, et tant qu’il le suivra, je lui répondrai : chiche, à la revanche des cruches !

(1) Nos enfants nous haïront, D. Jeambar et J. Remy
(2) Peut-on réformer la France et Dialogue sur la France, duo Rocard / Bolkestein
(3) La contre-démocratie, P. Rosenvallon
(4) Témoignage, N. Sarkozy
(5) Génération 69, L. Guimier et N. Charbonneau
(6) Au nom du tiers état, F. Bayrou


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