Des primaires pas secondaires
par olivier cabanel
vendredi 15 janvier 2016
Dans chaque camp, autant chez les « républicains » que chez les « socialistes », l’affaire serait entendue, les candidats seront Sarközi et Hollande, mais ça ne fait pas l’affaire de tout le monde… qui au nom d’une démocratie qu’ils veulent vivante, ou tout simplement d’une classe politique qu’ils veulent renouveler, réclament une primaire…
Celle prévue pour la droite aura bien lieu, même si on sent bien la volonté du président des « républicains » de la repousser le plus tard possible, et à gauche, une initiative vient d’être lancée, provocant l’énervement et des tensions dans le camp hollandais.
À droite donc, c’est en principe les 20 et 27 novembre 2016, soit à moins de 6 petits mois de la présidentielle, que cette primaire sera organisée.
Pour y participer, il faudra payer 2 euros, s’engager dans une « charte de l’alternance », assurer partager les valeurs de droite et du centre, et s’engager « pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France ». lien
Or, on sait déjà que Juppé est largement favori, même s’il ne s’agit que de sondages, et que face à lui, que ce soit Hollande, ou Le Pen, qui lui soit opposé, les probabilités sont fortes qu’il l’emporte. lien
Avec 38% d’intention de vote au 1er tour pour Juppé, contre 29% pour Sarközi, il n’y a pour l’instant pas photo. lien
Quant à Fillon et Le Maire, ils sont crédités de 12% d’intention de vote.
Nous aurions donc à la tête de l’état un homme qui a été condamné par la justice, après avoir été 1er ministre sous Chirac, puis ministre du budget.
Plus tard lors du gouvernement Fillon, il est passé de l’écologie à la défense, puis finalement aux affaires étrangères. lien
Sauf que la charte proposée par les « républicains » n’empêcherait pas des militants de l’autre bord de participer à la primaire républicaine, choisissant Sarközi afin de permettre à leur camp de gagner…car finalement, s’engager « pour l’alternance » ne prouve en rien la sincérité de l’électeur, électeur si souvent trahi par celui qu’il a élu, qu’il ne devrait pas avoir trop de problème avec sa conscience pour trahir à son tour celui-ci.
Ne serait-il pas machiavélique de la part des responsables socialistes de pousser leur militants à participer à la primaire « républicaine », en lançant très discrètement cette consigne ?
Le politologue Bruno Roger-Petit s’est exprimé sur le sujet dans les colonnes du « Monde », et son analyse mérite le détour.
Il rappelle ce qu’avait dit Juppé en février 2015 dans les colonnes du « Figaro » : « s’il y a 500 000 votants, Nicolas Sarközi aura toutes ses chances, s’il y en a 3 millions, j’aurais toutes mes chances »…lien
Or d’après un sondage Odoxa, 13% des français se déclarent prêts à participer à cette primaire, soit près de 4 millions d’électeurs.
Ce qui devrait en principe favoriser Juppé…
Pourtant il faut aussi se souvenir les échecs des anciens premiers ministres…Chaban-Delmas, Rocard, Barre, Delors…qui avaient les faveurs des électeurs au moins dans les sondages, et qui n’ont jamais décroché le poste présidentiel, soit parce qu’ils ont renoncé, soit parce qu’ils ont été battus.
La question étant : Juppé aura-t-il l’énergie d’aller jusqu’au bout ?
Le politologue continue : « l’électeur de gauche peut il accepter le risque d’être pris en otage par un second tour Sarközi/Le Pen ? »...et il ose la question : « Hollande mérite-t-il d’être réélu ? ». lien
Question légitime si on se base sur le dernier baromètre Ipsos qui note la dégringolade dans l’opinion de Sarközi autant que de Hollande, à 29% d’opinions favorables chacun. lien
Mais quid de la primaire à gauche ?
Le patron des socialistes à déjà fait savoir qu’il y avait peu de chance qu’elle ait lieu et Hollande fait manifestement la sourde oreille. lien
Lui se positionne clairement comme candidat légitime, malgré sa cote de popularité, souvent au plus mal, avec un léger rebond par ces temps de terrorisme, en chute libre depuis.
Mais il semble avoir la mémoire courte.
N’avait-il pas dit en 2010, dans les colonnes du « Parisien », tout le bien qu’il pensait de la primaire socialiste… ?
Le journaliste lui avait demandé : « si vous êtes président, y aura-t-il des primaires pour 2017 ? » et Hollande avait répondu : « Oui, c’est un principe désormais inscrit dans le temps et l’espace politique ». lien
Il est probable qu’il n’a pas oublié qu’un sondage CSA de juin 2010 portant sur la primaire socialiste ne le créditait que de 5 %, loin derrière DSK (28%), Martine Aubry (24%), voire même Ségolène Royal qui était à 12%. lien
Toujours est-il que l’initiative prise le 11 janvier 2016 par des personnalités indéniables du monde de gauche fait le buzz. lien
En moins de 48 h plus de 20 000 personnes avaient signé l’appel, preuve selon Thomas Piketty, que ça correspond à un profond besoin de renouvellement et de démocratie chez les électeurs. lien
Une dizaine de citoyens de gauche s’étaient réunis au mois de décembre et avaient finalement lancé l’initiative, sous la forme d’un appel que l’on peut soutenir ici.
Ils ont pour nom Thomas Piketti, Hervé Le Bras, Romain Goupil, Mariette Darrigrand, Daniel Cohn-Bendit, Julia Cagé, Michel Wieviorka, Marie Desplechin, Guillaume Duval, et Dominique Méda, et ils ont été rejoints par des centaines d’autres. lien
La pétition lancée pour soutenir cette initiative va vraisemblablement atteindre les 100 000 signatures, voire même les dépasser, alors que le congrès du PS n’avait rassemblé en 2015 que 60 000 votants. lien
Mais pour l’instant, Hollande n’en a cure, et un hollandais aurait repris la vieille formule chiraquienne : « ça lui en touche une sans faire bouger l’autre »…
« Ils font ça pour se payer Hollande » lance un autre, très remonté contre ce qu’il appelle « le club des aigris ».
Un autre ajoute « et puis, il est trop tard, à 15 mois de la présidentielle »…
Quant à Jean Christophe Cambadélis, il tente de calmer le jeu, tout en enterrant le projet : « cette primaire, elle n’est pas impossible, mais elle est peu probable ». lien
Aurait-il oublié qu’en juin 2009, plus de ¾ des électeurs étaient favorables aux primaires ? lien
Mais d’autres sons de cloche se font entendre à gauche, comme celui de Thierry Mandon, pourtant membre du gouvernement en temps que secrétaire d’état à la réforme de l’état, qui a jugé « indispensable » l’organisation d’une telle compétition interne…et il a été soutenu par le porte parole du PS, Olivier Faure affirmant : « il n’y a pas de raison particulière de considérer que la primaire ne vaut que pour les années où la gauche est dans l’opposition ». lien
Par contre, le locataire de l’Elysée verrait d’un bon œil un primaire qui départagerait « l’autre gauche »…comprenez « Cécile Duflot, Jean-Luc Mélenchon, Pierre Laurent, voire Christiane Taubira qui selon un hollandais serait « en embuscade ».
Il s’agirait surtout pour lui de ne pas prendre le risque d’une autre candidature à gauche, laquelle lui ferait perdre toute chance d’être présent au second tour… le syndrome Jospin.
Quant au Front National, une primaire ne s’envisage pas, vu que le pouvoir quasi monarchique reste dans la famille : que ce soit celui du père, de la fille, du gendre, ou de la petite fille…le pouvoir ne se partage pas, ou peu, étonnant pour un parti qui se veut républicain.
Au-delà de ces luttes pour le pouvoir, les 3 partis principaux du pays démontrent bien, par leur stratégie, qu’ils veulent seulement prendre le pouvoir, et sont prêts manifestement à tout pour y arriver, quitte à proposer des programmes qui ne seront pas tenus.
Le désintérêt actuel pour les urnes n’est donc pas un hasard, mais une conséquence logique, et il est probable que tant qu’un coup de balais salutaire ne sera pas passé par là, cette situation perdurera.
Il s’agirait donc de refaire vivre une réelle démocratie, dans laquelle par exemple, un élu condamné par la justice, ne pourrait plus se présenter à une élection…dans laquelle les avantages considérables proposés aux élus seraient considérablement revus à la baisse.
Comme l’explique fort logiquement ce blog, notre régime politique ne mérite pas de prendre le nom de démocratie, mais serait en réalité une oligarchie ploutocratique dans laquelle un petit nombre de personne possède le pouvoir, les riches y étant surreprésentés.
Les tenants pour une 6ème république en pensent de même et ont réuni plus de 100 000 signataires.
Ils affirment que la constitution a été confisquée par les monarques et leurs obligés parlementaires, et ils proposent une journée citoyenne le 30 janvier à Montreuil, afin de faire grandir l’exigence d’une assemblée constituante pour passer à la 6ème République. lien
Comme l’avaient écrit sur les murs les énervés de mai 68, « la dictature, c’est ferme ta gueule, la démocratie c’est cause toujours ».
Et comme dit mon vieil ami africain : « l’héritier du léopard hérite aussi de ses taches ».
L’image illustrant l’article vient de ump.blog.lemonde.fr
Merci aux internautes pour leur aide précieuse.
Olivier Cabanel
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