Des profs aux 35 heures, c’est royal !
par Tristan Valmour
mercredi 15 novembre 2006
Non contente de n’avoir pu différencier le nucléaire civil du nucléaire militaire, madame Royal s’est de nouveau illustrée par sa médiocrité dans l’ignorance des dossiers et confirme que derrière un cygne peut se cacher une oie. Toute ressemblance avec les méthodes lepénistes ou sarkozystes dans la communication politique n’est peut-être pas fortuite et il s’agirait alors d’une manœuvre destinée à faire parler de soi.
Nul lecteur ne pourra m’opposer une appréciation corporatiste des déclarations de madame Royal, puisque je n’enseigne pas pour le "mammouth", et même si je compte au sein de cette administration de précieux amis.
Madame Royal veut donc obliger les professeurs du secondaire à travailler 35 heures dans leur établissement scolaire, complétant leurs cours par un soutien scolaire gratuit, dans le but d’éviter que des parents aient recours à des solutions externes payantes, donc discriminatoires. Idée intéressante et noble, malheureusement peu applicable en l’état actuel, pour différentes raisons expliquées ci-après.
1. Quels sont les différents statuts d’un professeur du secondaire dans le public ?
Professeur dans les établissements secondaires public d’enseignement général, c’est quatre statuts pour un même métier :
- Les agrégés. Titulaires d’une maîtrise (minimum), ils sont reçus au concours de l’agrégation. Les agrégés externes passent ensuite une année en IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres). Ce sont des fonctionnaires de l’Etat.
- Les certifiés. Titulaires d’une licence (minimum), ils sont reçus au concours du CAPES. Les certifiés externes passent ensuite une année en IUFM. Ce sont aussi des fonctionnaires de l’Etat.
- Les vacataires et les contractuels. Titulaires d’une licence (au minimum), ils n’ont passé aucun concours. Ce ne sont pas des fonctionnaires de l’Etat. Les uns sont rémunérés pendant les vacances scolaires, pas les autres. Leur volume horaire hebdomadaire est variable. Ce sont des « professeurs kleenex ». Leur rémunération horaire tourne autour de 33 euros bruts.
2. Quel est le temps de travail d’un professeur du secondaire dans le public ?
Il faut distinguer le temps de travail en classe défini contractuellement, et le temps de travail hors classe, très variable.
2.1. Le temps de travail en classe
Le volume horaire hebdomadaire d’un professeur dans un établissement scolaire est de 15 heures pour un agrégé et 18 heures pour un certifié. Celui des vacataires et contractuels dépend de leur contrat. Chaque chef d’établissement dispose en outre de la faculté d’imposer aux certifiés comme aux agrégés une heure supplémentaire par semaine.
2.2. Le temps de travail hors classe
A ce temps de travail présentiel (c’est-à-dire en établissement scolaire) s’ajoutent :
- la préparation des cours : la règle indique qu’une heure de cours en classe équivaut à une heure de préparation à la maison. En réalité, la multiplication des outils pédagogiques ramène ce temps de préparation à une demi-heure par heure de cours environ. Cela ne s’applique pas aux professeurs qui préparent intégralement leurs cours sans outil, or leur nombre est important.
- la correction des copies : le volume horaire consacré à la correction des copies est très variable. Il dépend du nombre de classes, de l’effectif par classe, de la matière (un professeur de maths passe en moyenne moins de temps à corriger qu’un professeur de philosophie, sans vouloir leur faire offense), du niveau (les classes à examens demandent bien plus de travail), et bien sûr du nombre de devoirs. Cela représente environ six heures de correction par semaine. Encore une fois, ce chiffre est très contestable puisque très variable.
- les autres tâches pédagogiques ou administratives : les conseils de classe, les réunions parents-professeurs, les projets (interdisciplinaires ou non), les sorties, les rencontres avec les parents, les formations continues prises de plus en plus sur le temps de repos. Les professeurs principaux et les coordonnateurs de disciplines (un par matière par établissement) ont encore une charge de travail supplémentaire. Cela est difficilement quantifiable.
En réalité, le temps de travail d’un professeur fonctionnaire n’est pas unique. On peut retenir qu’en moyenne un professeur de collège travaille de 35 à 45 heures par semaine, quand son collègue fait 45 à 60 heures hebdomadaires, voire plus. Cela se complique encore lorsque le professeur est présent dans deux établissements ! Bien entendu, chaque lecteur pourra donner quelques exemples de professeurs coupables de paresse, mais c’est une donnée statistique normale lorsqu’on mesure les centaines de milliers d’enseignants.
3. Pourquoi les professeurs ont-ils autant de vacances ?
On m’objectera à raison que les professeurs ont beaucoup de vacances. Mais celles-ci se réduisent chaque année ; la rentrée scolaire se fait plus tôt, et la sortie, plus tard. Que fait un professeur de ses vacances ? Sa rémunération l’empêche de passer quatre mois par an à Ibiza, aussi emploie-t-il une part importante de ses vacances à étudier (ce qui le renforce dans sa discipline), à préparer ses cours, assister à des conférences, tenir un site Internet où des élèves pourront trouver des ressources pédagogiques gratuites, ou encore à participer à des activités associatives utiles à la collectivité.
Deux raisons principales viennent étayer l’abondance de vacances. D’abord ils enseignent à des enfants, qui doivent également se reposer. Ensuite, cela tient à leur rémunération (salaire, primes et ISO) qui est annualisée. La rémunération principale d’un professeur nouvellement agrégé se monte à environ 1400 euros net par mois, et un professeur certifié, 1300 euros nets par mois. Si les professeurs bénéficiaient, comme la plupart des salariés, de cinq semaines de congés payés, il faudrait considérablement augmenter leur rémunération. Plus clairement, la modeste rémunération des professeurs du secondaire (en raison de leurs qualifications, diplômes et assimilation aux fonctionnaires de catégorie A) est compensée par l’octroi de congés plus importants.
Quiconque travaille dans des unités de soins psychiatriques et autres maisons de repos pourra témoigner d’une sur-représentation du corps enseignant parmi les patients. Etre en présence de 25 à 40 adolescents pendant 15 à 18 heures par semaine est une source de fatigue et de stress qu’il faut expérimenter avant de pouvoir juger d’augmenter le temps de travail.
4. Pourquoi les professeurs sont-ils rares à donner des cours particuliers ?
Madame Royal a peut-être été abusée par les publicités d’entreprises et associations de soutien scolaire qui proposent contre rémunération un professeur. Il s’agit de publicités qui jouent sur l’absence de normalisation du qualificatif de professeur ou enseignant. Plus clairement, n’importe qui peut se qualifier de professeur. J’enjoins donc les parents qui font appel à ces organismes d’exiger par contrat qu’on leur attribue un professeur avec une expérience en établissement scolaire s’ils veulent avoir un enseignant qualifié. Sinon, ils se verront envoyer en grande majorité des étudiants. Tout le reste, ce n’est que du discours de commercial.
Chaque établissement scolaire dispose d’une enveloppe d’heures supplémentaires, les HSA, les HSE et les HTS. Il y en a peut-être d’autres, je ne les connais pas toutes. Seule une poignée de professeurs est disposée à prendre ces heures supplémentaires, pourtant mieux rémunérées que les cours particuliers. Pourquoi un fonctionnaire de l’Education nationale irait-il alors proposer ses services à une société de soutien scolaire qui lui offrira une rémunération horaire de 9 à 18 euros, qui n’inclut pas le temps de déplacement ?
Pour connaître un ancien professeur qui a monté une société de cours particuliers à Paris (et qui n’engage effectivement que des professeurs expérimentés), et pour avoir enquêté auprès d’un responsable (dit « pédagogique ») d’une franchise nationale de soutien scolaire, voici ce qu’il en ressort :
- il n’y a quasiment pas de professeurs certifiés ou agrégés (donc fonctionnaires) à travailler pour eux, par rapport à leur effectif. Les rares fonctionnaires sont en disponibilité ou en temps partiel
- il y a effectivement des vacataires ou des contractuels qui enseignent pour eux, surtout pour le premier type d’entreprise. Pour le second (la franchise), ils sont peu nombreux, par rapport aux étudiants. Cela se comprend lorsqu’on connaît le fonctionnement de ces franchises : faible rémunération, pas de contrat de travail, cotisations sociales basées sur un forfait « employé de maison », etc. Et puis, les étudiants sont plus malléables et correspondent donc mieux à la volonté de faire un maximum de profit de leur part.
Se pose alors la question des enseignants qui donnent des cours « au noir ». Ils existent, c’est vrai, mais ne représentent qu’une faible minorité, pour trois raisons au moins :
- un professeur qui donne des cours particuliers ne recrute pas ses « clients » parmi ses élèves, sauf s’il est sollicité par des parents
- un professeur ne dispose pas de la puissance financière des organismes de soutien scolaire pour faire connaître ses activités
- ils n’en ont pas le temps.
Les professeurs (ceux que je connais) qui donnent des cours particuliers ne dépassent guère les quatre heures par semaine.
Les cours particuliers dispensés en dehors des collèges et lycées par des professeurs fonctionnaires, à temps plein, c’est donc un phénomène largement minoritaire.
5. Pourquoi, pour des raisons matérielles, est-il impossible d’obliger les professeurs à passer 35 heures par semaine en établissement scolaire ?
Il s’agit là de la démonstration la plus objective du ridicule des propos de madame Royal. En effet, les principaux et les proviseurs manquent de salles en l’état actuel. Multiplier par deux le temps de présence des professeurs, d’accord, mais pour les mettre où ? Et surtout, quand donner ces cours de soutien ? Seront-ce des cours particuliers ou des cours de groupe ?
Permettez-moi, chers lecteurs, de m’écarter de l’exposé objectif des éléments conduisant à rejeter les récents propos de madame Royal pour laisser cours à quelques réflexions.
Soit madame Royal croit réellement ce qu’elle a énoncé, et j’aurai peur de lui donner mon suffrage car un chef d’Etat se doit de maîtriser un certain nombre de dossiers clefs.
Soit madame Royal ne croit pas ce qu’elle a énoncé, et n’a voulu qu’attirer l’attention sur elle, et j’aurai peur de lui donner mon suffrage tant la manipulation et le populisme sont indignes d’un chef d’Etat.
Soit madame Royal a été manipulée, et j’aurai peur de lui donner mon suffrage car un chef d’Etat se doit de prendre des précautions pour éviter cela.
J’observe enfin que si les programmes de messieurs Le Pen, Sarkozy et de madame Royal sont différents, leurs méthodes sont identiques. Des phrases choc et du people pour attirer l’attention, du populisme pour séduire, une figure autoritaire pour rassurer.
Le jour où nous aurons à nous exprimer dans les urnes, nous ne devrons pas oublier que nous voterons certes pour un programme, mais aussi pour une méthode.