Dette publique, à qui profite le crime ?

par Les Bulles
jeudi 14 juin 2012

La campagne pour les élections présidentielles qui nous a tenus en haleine durant ces derniers mois a vu le débat se focaliser sur la conjoncture économique et oublier des questions tout aussi fondamentales que l’écologie ou la justice sociale. Le mot « dette publique » est devenu le plus prisé des éditorialistes avant que les mots « austérité » et « rigueur » ne lui volent la vedette.

Sur toutes les ondes, on nous rabâche que seule l’austérité pourra nous sortir du mauvais pas où nous sommes tombés par la faute de pouvoirs publics irresponsables qui ont laissé la dette gonfler, dépensant sans mesure alors qu’une gestion « de bon père de famille » aurait dû être de mise.

On vous le dit et on vous le répète, tout est la faute de l’Etat !

Ce n’est pas faux mais pas pour les raisons que nous servent les « experts » habitués des plateaux télé qu’on nous présente systématiquement comme professeurs d’économie dans tel université ou membre d’un organisme « indépendant » en oubliant systématiquement qu’ils conseillent aussi, et surtout, les grands groupes industriels ou financiers et animent les débats du MEDEF.

D’où vient la dette ?

Les médias et les politiques nous parlent de la dette mais ne nous disent jamais d’où elle vient, pourquoi cette dette est, tout d’un coup, devenue si énorme qu’elle doive être le centre du débat politique et exclure toute autre question. L’Etat se serait-il mis à dépenser sans mesure depuis quelques années ?

Certes, le niveau des dépenses publiques a rarement été aussi élevé que ces dernières années. Ce constat est surprenant alors que la France est gouvernée par les libéraux depuis une décennie. Comment expliquer cette contradiction ? Les pourfendeurs de l’Etat dépensier, de l’Etat providence ... auraient laissé dériver les finances ?

Si on analyse la dette d’un Etat, on peut identifier deux causes possibles à cette dette : un excès de dépenses et/ou un déficit de recettes. La dette publique française trouve son origine des deux côtés.

Le ralentissement économique subi ces dernières années a, d’une part réduit les recettes fiscales et, d’autre part, accru les dépenses liées à l’indemnisation du chômage de masse et au soutien de l’emploi. La crise économique est nécessairement néfaste pour les finances publiques et le gouvernement, quel qu’il soit, n’y peut rien.

La crise économique est donc l’une des causes du creusement des dettes publiques ces dernières années. Les Etats n’ont pas été particulièrement dépensiers. Ils ont subi les effets de la crise.

Une autre cause de l’amplification de la dette est … la dette elle-même. Les intérêts payés par l’Etat entre 1973 et 2009 se sont élevés à 1.340 milliards d’euros. Or, en 2009, la dette publique française s’élevait à 1.489 milliards d’euros. Autant dire que sans la charge des intérêts payés aux créanciers de la France, la dette de cette dernière serait quasi nulle et on n’en parlerait même pas.

La dette a donc pour principales causes la crise économique et la dette elle-même.

Quand on vous dit que l’Etat est le grand fautif, ce n’est pas faux. Il n’est pas fautif d’avoir dépensé sans compter au mépris de toutes règles élémentaires de rigueur budgétaire. Il est fautif d’avoir, sous la pression d’une idéologie néolibérale triomphante depuis la fin des années 70, laissé, d’une part, le privilège de création monétaire aux mains des marchés et, d’autre part, d’avoir renoncé à toute régulation sérieuse des marchés financiers.

Ne nous faisons aucune illusion, les marchés ne travaillent que pour eux-mêmes. Leur but est de faire fructifier le capital. Si on leur confie la création monétaire, ils s’en servent pour en tirer le meilleur rendement. Si on les laisse libres de se comporter comme ils le souhaitent, ils inventent chaque jour de nouveaux instruments leur permettant de spéculer et de gagner toujours plus.

La dette publique aux mains des marchés

Si les marchés sont devenus si puissants et si incontournables c’est que les Etats ont laissé faire ou même souvent fait en sorte qu’il en soit ainsi.

Prenons la création monétaire. Jusqu’en 1973, l’Etat empruntait auprès de la Banque de France à taux nul ou modique. La Banque de France créait la monnaie sous forme scripturale qu’elle mettait à la disposition de l’Etat. Ce dernier remboursait ensuite ces sommes au fil du temps à la Banque de France qui détruisait cette monnaie au fur et à mesure des remboursements. Ce système avait pour avantage évident de permettre à l’Etat d’emprunter sans charge d’intérêts. Mais, le 3 janvier 1973, intervient une loi réformant les statuts de la Banque de France et qui interdit désormais à celle-ci de prêter à l’Etat. Cette loi passée à l’époque inaperçue et sans débat dans l’opinion publique met donc l’Etat à la merci des marchés financiers lorsqu’il s’agit de recourir à l’emprunt. L’Etat, et donc chaque contribuable, paie depuis 1973, sous forme d’intérêts, des sommes extravagantes aux détenteurs du capital et aux banques qui se contentent, quant à elles, comme la Banque de France autrefois, de créer de la monnaie scripturale. Depuis Maastricht en 1992, tous les traités européens rappellent la règle qui s’impose désormais aux banques centrales nationales et à la Banque Centrale Européenne (BCE) (en dernier lieu : article 123 du Traité de Lisbonne). Les Etats ont renoncé au droit régalien de battre monnaie et donc de se financer par l’emprunt à moindre coût.

Aujourd’hui, les banques empruntent à 1 % auprès de la BCE et prêtent à 6 % à l’Espagne et l’Italie, 11 % au Portugal …. Les marchés financiers tirent de beaux profits de cette situation. Mais comment s’en étonner ? Les Etats leur ont fait un magnifique cadeau. Ils auraient tort de s’en priver.

Les Etats, ou plutôt leurs dirigeants, sont également fautifs quand ils laissent les marchés agir sans aucun garde-fou. Dans le monde d’aujourd’hui, la valeur des produits financiers spéculatifs est égale à 11 fois le PIB mondial ! Pour un euro échangé dans l’économie réelle, onze fois sa valeur aura été échangée sur les marchés financiers. Comment s’étonner, dans ces conditions, que l’explosion d’une bulle spéculative comme celle des subprimes américains provoque une crise économique durable au niveau mondial ?

Les leçons jamais tirées de la crise de 2008

Ces crises qu’ont connues, entre autre, le secteur immobilier aux USA et en Espagne et les secteurs bancaires en Irlande et en Islande, ont pour origine la théorie soutenue par les plus fervents libéraux selon laquelle les marchés sont tout à fait capables de se réguler eux-mêmes. En 2008, au plus fort de la crise et face à l’évidence, les politiques ont enfin timidement envisagé la possibilité que, peut-être, il faudrait que les pouvoirs publics interviennent pour réguler les marchés afin d’éviter que de telles crises puissent de reproduire. A l’époque, tous les gouvernements juraient la main sur le cœur qu’on ne laisserait plus faire. Quatre ans plus tard, les promesses sont restées, pour l’essentiel, lettres mortes. Le « problème » n’est plus la finance folle mais la dette publique … Les modes passent mais ce n’est pas anodin. S’attaquer à la finance c’est s’attaquer à une dérive du système capitaliste et, quelque part, c’est développer une critique du capitalise lui-même. Les tenants de libéralisme ne pouvaient prendre le risque de la réouverture d’un débat qu’ils pensaient clos depuis la chute du Mur de Berlin.

Subtilement le débat à peine ouvert sur la régulation des marchés financiers a dérivé vers un autre débat, celui de la dette publique. Je dis « subtilement » car il fallait agir délicatement pour passer de la cause du problème à l’une de ses conséquences sans que le lien ne soit jamais ouvertement mis en évidence. Ce travail d’orfèvre a été parfaitement mené par les « experts » déjà cités.

Le creusement de la dette publique causé, entre autre, par la crise financière à l’origine de la crise économique, se trouve désormais être le sujet central. Dans le même temps, la finance a repris sa tranquille vie où les bonus explosent, les attaquent spéculatives contre les dettes souveraines fleurissent et où chaque jour apparaissent de nouveaux instruments financiers permettant toujours plus de spéculation. Le lendemain du second tour de l’élection présidentielle, Eurex, l’un des plus importants marchés de produits financiers dérivés au monde, filiale de la Deutsche Börse, a réintroduit le contrat à terme sur les obligations du Trésor français (OAT) donnant ainsi une nouvelle arme aux spéculateurs de la dette publique française.

Le cynisme est sans limite. Les banques que les Etats ont contribué à sauver il y a quelques mois spéculent aujourd’hui contre la dette de ces Etats qu’elles ont participé à creuser en appelant au secours au plus fort de la crise financière ! Mais, on l’a déjà dit, les marchés ne recherchent que le profit le plus rapide et le plus important. D’un certain sens, on ne peut leur reprocher des comportements qu’on a prétendu vouloir combattre et contre lesquels on a absolument rien fait !

Le piège se referme sur les Etats et les citoyens

Aujourd’hui, le Problème avec un grand P, c’est donc la dette publique.

On ne parle plus que de la manière de la réduire.

Et l’on entend depuis des mois le cœur des économistes sérieux associé à la Chancelière allemande, au FMI et à la Commission Européenne chanter la triste mais incontournable chanson de l’austérité. Seule l’austérité pourra nous sauver de la terrible dette !

Que veut dire austérité dans la bouche de ses respectables personnes ? Pour le savoir, faisons un petit tour en Grèce. Voici le programme : abaissement du salaire minimum, réduction des retraites, suppression de milliers d’emplois publics, réduction du budget de la sécurité sociale, privatisation de quatre entreprises d'Etat (gaz, eau, jeux, pétrole) …

Voilà ce qui doit permettre de réduire la dette publique et de remettre le pays sur de bons rails.

A y regarder de plus près, un constat s’impose : le capital est le grand bénéficiaire de cette rigueur. Deux objectifs sont recherchés : réduire le coût du travail pour rendre les entreprises grecques plus compétitives sur le marché international et limiter la place de l’Etat aussi bien au niveau de la production que de la redistribution.

De l’autre côté, les grands perdants sont les citoyens, ceux qui n’ont que leur travail pour vivre ou l’indemnisation du chômage. Pour eux, les salaires baissent, les emplois deviennent précaires, le chômage explose, les conditions de vie se dégradent. Le nombre de suicides explose. Un Grec sur quatre vit en-dessous du seuil de pauvreté.

On ne peut même pas défendre ce programme en soutenant qu’il remet en selle l’économie grecque : une récession de 6% est annoncée en 2012. Les nouvelles mesures de rigueur vont tarir un peut plus les recettes fiscales et l’Etat grec sera incapable de rembourser une dette qui ne fera que grossir du fait du taux d’intérêt exorbitant que lui réclament les banques.

Grace à la crise de la dette publique, le système néolibéral touche au but. Cette « crise » lui offre l’occasion d’étendre un peu plus les frontières du marché et de repousser dans ses derniers retranchements le secteur public et l’intérêt général.

Et le plus incroyable c’est que cette victoire a pour origine, rappelons le, la crise financière de 2008 qui avait révélé les pires aspects du capitalisme financiarisé et avait semblé sonner le glas des dérives de la finance.

Il est grand temps que les citoyens européens ouvrent les yeux et réalisent que ce qui se passe aujourd’hui ne sert que les plus riches, ceux qui détiennent le capital : les banques, les gros actionnaires des multinationales, les fonds de pension, les Hedge Funds. Ils doivent réaliser que la prétendue crise de la dette publique n’est qu’un prétexte pour saper chaque jour un peu plus le service public, le droit du travail et la sécurité sociale. Le citoyen de base est le dindon de la farce : ses conditions de vie se dégradent et il doit, en plus, par ses impôts, payer les intérêts que l’Etat doit verser aux parasites de la dette publique. Comment accepter une telle situation alors que jamais la France n’a été aussi riche.

Le 30 mai 2012, comme pour rappeler au nouveau Président français le cadre strict dans lequel il doit penser sa politique économique, la Commission européenne lui a adressé ses recommandations. Pour atteindre ses objectifs de déficit à 3% pour 2013, la Commission demande à la France d’envisager une nouvelle réforme des retraites. Le marché du travail français est jugé « trop fragmenté ». La Commission propose une simplification et un allègement de la législation sur les départs volontaires. Bruxelles souligne l’importance d’une évolution « supportable » du salaire minimum pour préserver la création d’emploi et la compétitivité. Elle encourage même les autorités françaises à aller plus loin pour déplacer la pression fiscale du travail vers « d’autres formes d’imposition qui pèsent moins sur la croissance et la compétitivité externe. La TVA sociale, qui pèse sur les consommateurs et pas sur les entreprises, a les faveurs de la Commission. Enfin, cerise sur la gâteau, la Commission demande de mettre un terme aux régulations « inutiles » dans certains secteurs comme les services, le marché de l’électricité, le transport ferroviaire …

La Commission est, plus que jamais, le porte drapeau du néolibéralisme en Europe prônant un marché du travail « fluide » mettant les salariés à la disposition du capital qui peut s’en débarrasser quand bon lui semble, un smic le plus bas possible, une fiscalité pesant sur les consommateurs et toujours moins sur les bénéfices de l’entreprise et enfin un retrait constant du secteur public.

Il y a quelques jours, l’Etat espagnol a demandé l’aide de ses partenaires européens pour faire face à la déconfiture de ses banques. La dette publique espagnole va croitre de 100 milliards d’euros pour sauver des banques privées victimes de leurs turpitudes sur le marché immobilier. Encore une fois, le contribuable devra rembourser une dette qui a servi à sauver un capital privé selon le principe désormais habituel : on privatise les profits, on mutualise les dettes ! Et dans quelques semaines, la Commission et le FMI donneront de nouvelles leçons de bonne gestion à l’Etat espagnol qui sera prié, pour réduire sa dette de réduire encore les dépenses d’intérêt général, de faire pression sur les salaires pour gagner en compétitivité … On connaît désormais la chanson par cœur.

Savoir dire stop

Lors de son discours du Bourget, François Hollande avait annoncé vouloir lutter contre le monde de la finance. S’il veut tenir promesse et que sa politique ne soit pas que poudre aux yeux, il doit annoncer à ses partenaires européens que la France n’accepte plus cette dérive libérale qui ne profite qu’aux plus riches et plonge le reste de la société dans la précarité et la peur de l’avenir. Il doit parler clairement et dire que la France entend reprendre son droit régalien de battre monnaie et s’épargner ainsi le paiement d’intérêts inutiles aux marchés. Il doit dire haut et fort que c’en est fini de la toute puissance et de la liberté sans borne des marchés financiers, fini des instruments financiers spéculatifs, fini des paradis fiscaux.

Que l’on ne dise pas que l’on ne peut rien face aux marchés. Ce c’est qu’une question de volonté politique.

François Hollande doit proclamer le retour du politique et de l’intérêt général. Nous savons qu’il devra se faire violence tant les thèses néolibérales sont désormais acceptés voir soutenues au sein du PS.

S’il ne le fait pas, dans cinq ans, les marchés auront pris un peu plus leurs aises et l’Etat aura reculé. Dans cinq ans, les français auront réalisé que Sarkozy ou Hollande, cela n’a aucune importance car ce sont toujours les mêmes qui gouvernent.

Nous savons aussi, malheureusement, qui tirera les marrons du feu …


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