Deux manières de croire que le respect des autres est un effacement de soi

par samuel_
samedi 15 septembre 2012

 Il y a aussi deux manières de croire que le respect des autres est un effacement de soi. Face à l'autre, on peut s'effacer en désactivant l'une ou l'autre de ses capacités. Par exemple, en ne percevant plus tous les actes de l'autre ; en ne portant plus de jugement moral sur ses actes ; en ne lui adressant plus la parole, pour lui dire ce qu'on pense de la moralité de ses actes et de leur influence sur soi ; ou en ne cherchant plus à agir sur sa propre vie dans sa relation à l'autre, en se laissant faire par l'autre. Il y a donc deux manières de croire que le simple fait de percevoir les actes de l'autre serait un manque de respect envers lui ; comme seraient un manque de respect envers l'autre : le fait de porter un jugement moral sur ses actes ; le fait de lui adresser la parole pour lui dire ce qu'on pense de ce qu'il fait ; ou le fait de ne pas vouloir se laisser faire par lui. Parfois, l'autre qu'on veut ou non respecter, ou l'autre face auquel on s'efface ou non, ne sont pas des individus mais des groupes d'individus, et parfois ce ne sont pas les mêmes individus ou groupes d'individus, mais on les confond plus ou moins (quand nous confondons plus ou moins un individu avec un groupe d'individus, cet individu devient à nos yeux, comme la représentation métonymique du groupe d'individus). Il y a donc aussi parfois, deux manières de croire que le respect d'un premier individu ou groupe d'individus, exigerait de s'effacer face à un second individu ou groupe d'individus différent du premier, mais qu'on confond plus ou moins avec le premier.

 Il y a la manière de celui qui veut exister face à l'autre, mais ne sait exister face à lui qu'en lui manquant de respect (trop de respect pour l'autre lui empêcherait donc d'exister comme il le veut) ; et il y a la manière de celui qui veut respecter l'autre, mais ne sait le respecter qu'en s'effaçant face à lui.

 Il est parfois très difficile de savoir comment respecter l'autre, sans s'effacer face à lui. Quand nous ne savons plus comment faire les deux à la fois, il se crée en nous une tension douloureuse, car nous avons à la fois besoin de faire les deux. Nous pouvons alors, ou bien supporter cette tension dans la recherche d'une manière de concilier les deux, ou bien lâcher prise, d'une manière ou d'une autre, en abandonnant le projet d'exister face à l'autre, ou bien le projet de le respecter.

 Le fascisme est l'attitude de celui qui lâche prise, en gardant le projet d'exister face à l'autre, tout en abandonnant le projet de le respecter ; et l'attitude de celui qui garde le projet de respecter l'autre, tout en abandonnant le projet d'exister face à lui, est la forme naïve de l'anti-fascisme.


 Comme des frères ennemis, fascisme et anti-fascisme naïf sont opposés sur la question de savoir s'il faut respecter l'autre en s'effaçant face à lui, ou bien exister face à l'autre en lui manquant de respect ; mais ils sont unis dans la croyance que les respect de l'autre et l'existence face à lui sont incompatibles. Cette croyance qui les unit est le présupposé de la question sur laquelle ils s'opposent.

 Le respect de l'autre est une exigence éthique. En défendant une conception de l'existence face à l'autre, incompatible avec le respect pour lui, le fascisme fait passer l'existence face à l'autre pour quelque chose d'éthiquement inacceptable. De plus, le fascisme considère comme de l'effacement de soi, et combat donc, les formes d'existence face à l'autre qui seraient un minimum compatibles avec le respect pour lui, c'est-à-dire les seules réalisables, parce qu'éthiquement acceptables.

 L'effacement face à l'autre est quelque chose qu'on ne peut supporter indéfiniment, sans sombrer progressivement dans la folie, ou sans exploser au bout d'un moment, basculant alors dans l'extrême inverse, c'est-à-dire dans le fascisme. Ne plus parvenir à percevoir les actes de l'autre, à juger la moralité de ses actes, ne plus parvenir à dire à l'autre ce qu'on pense de la moralité de ses actes, ou à agir sur sa propre vie dans sa relation à l'autre (cela fait penser à ce que les psychologues appellent des psychoses ou des névroses). En défendant une conception du respect de l'autre incompatible avec l'existence face à lui, l'anti-fascisme naïf fait passer le respect de l'autre pour quelque chose d'insupportable. En considérant comme un manque de respect pour l'autre, et combattant donc, les formes de respect de l'autre qui seraient un minimum compatibles avec l'existence face à lui, l'antifascisme naïf combat aussi les seules formes de respect de l'autre qui seraient supportables, et donc réalisables.

 Fascisme et anti-fascisme naïf combattent donc en fait tout autant ce qu'ils croient défendre que ce qu'ils sont conscients de combattre : tous deux combattent en fait, à la fois le respect de l'autre et l'existence face à lui.

 Il a beau être parfois difficile de savoir comment concilier respect de l'autre et existence face à lui, on peut pourtant être convaincu que ce n'est que sous des formes compatibles l'une à l'autre, et même dépendantes l'une de l'autre, que ces deux choses se réalisent pleinement.

 Dans sa plénitude, le respect pour l'autre est réciproque : il reçoit en retour le respect de l'autre pour nous, qui est une invitation que l'autre nous fait d'exister face à lui ; une reconnaissance par l'autre, que nous sommes au même titre que lui, quelqu'un qui a son mot à dire sur la dimension morale du monde commun qu'on partage avec lui(1).

 Et celui qui sent qu'il existe face à l'autre, aura peut-être plus facilement tendance à vouloir pour l'autre ce qu'il a pour lui.

 Les deux manières de croire que le respect de l'autre et l'existence face à lui sont incompatibles, sont donc finalement aussi, deux manières de renoncer au respect de l'autre dans sa réciprocité, et donc dans sa plénitude ; deux manières de se voir soi-même, ou de voir l'autre, comme quelqu'un qui ne veut ou ne peut pas jouer le jeu d'une telle relation réciproque : ne peut pas respecter celui qui est devant lui, ou n'a pas besoin d'exister face à lui (se voir soi-même autrement que comme on est, ou voir l'autre autrement que comme il est, cela fait à nouveau penser à des psychoses)(2).


Notes

 1. Livres sur la reconnaissance : Guéguen et Malochet, Les théories de la reconnaissance ; Savidan, Le multiculturalisme ; MacIntyre, Après la vertu ; Sandel, Le libéralisme et les limites de la justice

 2. Livres sur le rapport entre respect de l'autre et existence face à lui : Aimelet, Oser le conflit : Pour mieux s'entendre ; Rosenberg, Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) : Introduction à la communication non-violente ; Rojzman, Sortir de la violence par le conflit : Une thérapie sociale pour apprendre à vivre ensemble ; Marc et Picard, Les conflits relationnels


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