Devoir de mémoire : la Shoah des Tsiganes
par R-sistons
mardi 19 février 2008
La barbarie nazie n’épargna pas les Tsiganes. Ils vécurent les mêmes épreuves que les Juifs, en pire. En effet, dès 1936 ceux d’Allemagne, considérés comme des "non-personnes", furent envoyés dans des camps de concentration en Autriche ou dans leur pays. Les femmes étaient stérilisées de force, car on considérait qu’elles ne méritaient pas de se reproduire. Puis commença ce qu’on appela alors "la destruction des vies inutiles". Dans toute l’Europe occupée, on entreprit la traque du "gibier" tsigane, d’abord en 1939, ensuite en 1941 et 1943. L’extermination des 5 à 600 000 nomades eut essentiellement lieu dans les camps polonais.
En réalité, la persécution des Fils du Vent commença avant l’arrivée des nazis au pouvoir, avec les lois de contrôle de la "plaie tsigane" dès 1926. Deux ans plus tard, la surveillance devint spécifique et permanente. Puis vint, dès 1933, la "stérilisation eugénique", l’interdiction des mariages mixtes en 1934-35 et, enfin, les premiers enfermements au camp de Dachau, en 1936.
C’est à l’automne 1939 que les déportations deviennent massives et c’est sur deux cent cinquante enfants tsiganes que les nazis testèrent le zyklon B, au camp de Buchenwald, en février 1940.
Cette politique-là, les nazis l’étendirent à l’ensemble de l’Europe occupée.
En effet, très tôt ce peuple libre et fier comprit le sort qui lui était réservé. Il accepta immédiatement de rejoindre la lutte clandestine, pour mener ce que l’historien hollandais Jan Yoors appellera la "guerre secrète des Tsiganes". Aguerri, malin, il usera de mille stratagèmes pour déjouer la vigilance des nazis, porter des messages ou transporter armes et explosifs. De nombreux fugitifs furent sauvés grâce aux Tsiganes. On leur doit aussi de nombreuses actions terroristes de résistance à l’ennemi hitlérien.
Quelle a été la politique à l’égard des Tsiganes en France ?
Traditionnellement, les sédentaires se méfient des nomades. Dès 1912, les populations errantes se voient attribuer un carnet anthropométrique, visé dans chaque commune, à l’arrivée comme au départ. A cette époque, déjà, les Tsiganes, tout comme les Juifs, sont victimes de persécutions et de discriminations.
Le gouvernement de Vichy durcit cette politique. Et, dès l’automne 1940, des Tsiganes sont internés dans des camps de concentration, à Argelès-sur-Mer et au Barcarès, dans les Pyrénées-Orientales, camps créés à l’origine afin d’accueillir les réfugiés espagnols et les Juifs. Même logique d’exclusion, pour des populations pourtant différentes. Et ce sont près de trois mille Tsiganes qui auraient été internés dans l’ensemble de la France entre 1940 et 1946.
C’est en 1942 qu’est créé le seul camp d’internement réservé aux nomades, celui de Saliers.
Le camp est situé en zone libre, sur la commune d’Arles, dans les Bouches-du-Rhône. Il s’est d’abord inscrit dans une logique de sédentarisation, puis d’enfermement. Pour commencer, trois cents nomades doivent s’entasser dans des petites cabanes inachevées, sans électricité. Les conditions d’hébergement et de ravitaillement sont lamentables. Le sort des enfants est particulièrement difficile ; ils ne sont évidemment pas scolarisés. Sans vêtements de rechange, les hébergés finissent par porter des loques. Ils sont squelettiques, mais ils résistent. Aguerris et indomptables. Finalement, le sous-préfet d’Arles demande la fermeture du camp dès juillet 44.
Ceux qui ont survécu à l’enfer ont gardé vivante la mémoire du camp. Mais le site n’a conservé aucune trace du lieu.
Comme les Juifs, les Tsiganes ont été victimes de l’idéologie nazie, politique de la race afin de régénérer le sang allemand, et politique de l’espace pour la création d’une grande Allemagne débarrassée des éléments impurs, étrangers, inférieurs. L’élimination des Tsiganes aura d’autant mieux été acceptée, que la mise à l’index était ancienne.
Aucune voix ne s’élève pour défendre la cause des Tsiganes discriminés, stérilisés, persécutés, spoliés, exterminés. Nulle mémoire, nulle indemnité, nulle commémoration. Rien. Le vide absolu. Ostracisme complet.
Définitif ?
Jusqu’à mon dernier souffle, je me battrai pour la reconnaissance de ce peuple admirable.
Eva
Éléments de bibliographie :
- Christian EGGERS, L’Internement sous toutes ses formes : approche d’une vue d’ensemble du système d’internement dans la zone de Vichy in Revue d’histoire de la Shoah, pp 7-75, janvier-avril 1995.
- Marie-Christine HUBERT, La Réglementation anti-Tsiganes en France et en Allemagne avant et pendant l’occupation nazie in Revue d’histoire de la Shoah, Les Tsiganes dans l’Europe allemande.
- Marie-Christine HUBERT, L’Internement des Tsiganes : un premier pas vers la socialisation ? in Revue d’histoire de la Shoah, Aryanisation : le vol légalisé, pp 107-139, janvier-février 2000.
- Donald KENRICK, Grattan PUXON, Destins gitans, coll. Tel, Gallimard, 1972.
- Paul LEVY, Poitiers, antichambre de la Shoah in Revue d’histoire de la Shoah, pp 120-143, janvier-avril 1995.
- Denis PESCHANSKI, Les Tsiganes en France 1939-1946. coll. Histoire du XXe siècle, CNRS éditions, 1994.
- Jacques SIGOT, Ces barbelés oubliés par l’histoire. Un camp pour les Tsiganes... et les autres. Montreuil-Bellay 1940-1945. Wallada Cheminements, 1994
- La Persécution des Tsiganes par les nazis, de G. Leury, Belles Lettres 2003.
- Destins gitans, de D. Kenrick Gallimard 1995.
- Les deux photos en noir et blanc de l’article sont issues de http://memoire-net.org