Elections... piège à cons

par Patrick Adam
vendredi 11 août 2006

« J’ai la mémoire hémiplégique
Et les souvenirs éborgnés
Quand je me souviens de la trique
Il ne m’en vient que la moitié
Et vous voudriez que je cherche
La moitié d’un cul à botter ?
Dans ces temps on ne voit pas lerche...
Ils n’ont mêm’ plus d’cul les Français ! »

Léo Ferré - Ils ont voté... et puis après ?

Elections... Piège à cons. Le slogan a fait ses preuves en 68. On pourrait peut-être le ressortir de la naphtaline aujourd’hui, l’aérer et en profiter pour se poser des questions pas vraiment inutiles au vu de l’usage qu’on fait un peu partout dans le monde de ce mode d’expression pour lequel l’humanité s’est tant battue.

Iran, Hamas, Hezbollah, mais aussi Koweït, Egypte, Algérie, Maroc et Tunisie, et ailleurs Floride de Bush, Mexique, Pologne, Côte d’Ivoire, Kosovo, Tchétchénie, Tchad, Congo... Les urnes accouchent un peu partout d’une progéniture électorale frappée de malformations les plus diverses : prévarication, bigoterie, népotisme, communautarisme, peopolisation, nationalisme, xénophobie, sectes, confréries religieuses, gangs militaro-industriels, pétromonarchies, mafias, empires spéculatifs...

Chez nous, le phénomène est en train de nous déboussoler, car ce sont souvent les mêmes qui, après avoir hurlé du haut des barricades du boulevard Saint Michel, leur besoin viscéral d’un monde nouveau et libre de toute entrave (prenant soin au passage de balancer quelques pavés sur le casque des CRS), viennent nous vanter aujourd’hui la « sanctification » par les urnes, la purification alchimique de tous les peuples de la terre, même si, au fond du creuset, il n’y a que la plus vulgaire des démagogies saupoudrée de promesses de paradis ou de contrats d’embauche dans une milice. Ainsi, par essence ou par transcendance, les peuples auraient désormais toujours raison, même quand ils s’époumonent à emplir les rues de chants de haine et qu’ils élèvent leurs enfants avec pour seul objectif, le projet d’éliminer l’autre.

Une enveloppe glissée dans une boite, et hop, l’innommable devient raison et l’abus de pouvoir revêt tous les atours de la société civile la plus honorable. L’absolution enfin généralisée et disponible au distributeur automatique, tous les quatre ou cinq ans... Et je ne peux m’empêcher de songer au brave capitaine Haddock qui, deux mille ans après un illustre prédécesseur mieux préparé que lui, comptait sur un vulgaire tour de passe-passe pour changer l’eau en vin.

Il faut dire qu’en 68, ces « démocrates » autoproclamés d’utilité publique qui aujourd’hui n’ont aux lèvres que l’interdiction sentencieuse du « deux poids deux mesures », concevaient à peu près de la même façon leur République estudiantine, puisqu’ils n’avaient aucune honte à écrire : « Il est capital de continuer les débats sur le fond dans tous les domaines et à tous les niveaux. Mais, dès maintenant, l’U. N. E. F. appelle ses militants à arracher tout de suite le contrôle par les étudiants de l’institution universitaire. Si les débats avec les enseignants restent nécessaires, le droit de veto sur les décisions prises est la seule garantie valable. [...] Le contrôle à instaurer en fonction de ce rapport de forces ne peut être donné qu’aux comités de lutte, de grève ou d’action [...] Là où le rapport de forces n’est pas aussi favorable, c’est à des structures parallèles [comités divers] qu’il faut recourir afin de maintenir une pression permettant de bloquer le fonctionnement de l’Université traditionnelle. Cette ligne applicable dans les circonstances actuelles pourra être modifiée selon l’évolution des rapports de force. » Cité par P. Vidal-Naquet et A. Schnapp dans le « Journal de la Commune étudiante ».

Il y a là de quoi se demander si les Gardiens de la Révolution iranienne, les cadres du Hamas ou du Hezbollah n’étaient pas tous inscrits en Sorbonne, à la fin des années 60. Quoiqu’il en soit, ils ont bien appris la leçon. La démocratie, oui, mais avec droit de veto et d’intimidation aux mains de tous ceux qui commandent. C’est quand même plus sûr...

C’est pourquoi il convient d’en finir avec une pratique douteuse et dangereuse consistant à utiliser certains mots pour les priver intentionnellement de leur sens. Le moindre crime est qualifié de génocide. L’accident le plus anodin, de catastrophe majeure. La plus petite erreur de parcours, d’infamie. Et l’on feint de croire qu’avec ça les citoyens vont avoir des repères, notamment les jeunes, et pas seulement ceux qui vivent dans des cités dont l’urbanisme est déjà une négation à leur identité... On voudrait les déresponsabiliser et étouffer les germes de leur sens civique qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Une milice reste une milice. Le terroriste aveugle ne tuera toujours que des innocents. Et basta !

La démocratie est une forme de gouvernance à base de pouvoirs multiformes et de contre-pouvoirs. Ce n’est que dans ces conditions qu’elle peut être qualifiée, comme il a été dit, de « plus mauvaise forme de gouvernement, à l’exclusion de toutes les autres », et ce malgré ses imperfections.

Les élections ne font pas la démocratie. En aucun cas, elles n’en constituent l’ossature et encore moins son mode de fonctionnement. Elles n’en sont qu’un des rouages. Alors, cessons de distribuer des certificats de démocratie à des régimes qui vivent de, dans, et par la peur, et ne survivent qu’en se fabriquant des ennemis.

De par sa nature le pouvoir est statique. Aussi, tend-il à conserver indéfiniment des formes sociales et culturelles établies et reconnues par ceux qui savent profiter de cette stabilité en utilisant la tradition au mieux de leurs intérêts, avec autant de subtilité que de vice. Seule la confrontation régulière et plus ou moins organisée du pouvoir avec une multitude de formes de contestation spontanée peut le pousser à s’adapter au rythme premier du moteur de la vie qu’est le changement, dans tous les domaines et toutes les disciplines.

Mettre un pied devant l’autre, c’est se lancer dans le vide. C’est aller au-devant d’une forme de déséquilibre, d’inconnu, parfois même d’inquiétude. A ce jour, on n’a rien trouvé de mieux pour marcher, donc pour avancer.

Voter est un geste citoyen. Ce n’est pas la citoyenneté.

Patrick Adam

« J’ai la mémoire hémiplégique
Et les souvenirs éborgnés
Quand je me souviens de la trique
Il ne m’en vient que la moitié
Et vous voudriez que je cherche
La moitié d’un cul à botter ?
Dans ces temps on ne voit pas lerche...
Ils n’ont mêm’ plus d’cul les Français ! »

Léo Ferré - Ils ont voté... et puis après ?

Elections... Piège à cons. Le slogan a fait ses preuves en 68. On pourrait peut-être le ressortir de la naphtaline aujourd’hui, l’aérer et en profiter pour se poser des questions pas vraiment inutiles au vu de l’usage qu’on fait un peu partout dans le monde de ce mode d’expression pour lequel l’humanité s’est tant battue.

Iran, Hamas, Hezbollah, mais aussi Koweït, Egypte, Algérie, Maroc et Tunisie, et ailleurs Floride de Bush, Mexique, Pologne, Côte d’Ivoire, Kosovo, Tchétchénie, Tchad, Congo... Les urnes accouchent un peu partout d’une progéniture électorale frappée de malformations les plus diverses : prévarication, bigoterie, népotisme, communautarisme, peopolisation, nationalisme, xénophobie, sectes, confréries religieuses, gangs militaro-industriels, pétromonarchies, mafias, empires spéculatifs...

Chez nous, le phénomène est en train de nous déboussoler, car ce sont souvent les mêmes qui, après avoir hurlé du haut des barricades du boulevard Saint Michel, leur besoin viscéral d’un monde nouveau et libre de toute entrave (prenant soin au passage de balancer quelques pavés sur le casque des CRS), viennent nous vanter aujourd’hui la « sanctification » par les urnes, la purification alchimique de tous les peuples de la terre, même si, au fond du creuset, il n’y a que la plus vulgaire des démagogies saupoudrée de promesses de paradis ou de contrats d’embauche dans une milice. Ainsi, par essence ou par transcendance, les peuples auraient désormais toujours raison, même quand ils s’époumonent à emplir les rues de chants de haine et qu’ils élèvent leurs enfants avec pour seul objectif, le projet d’éliminer l’autre.

Une enveloppe glissée dans une boite, et hop, l’innommable devient raison et l’abus de pouvoir revêt tous les atours de la société civile la plus honorable. L’absolution enfin généralisée et disponible au distributeur automatique, tous les quatre ou cinq ans... Et je ne peux m’empêcher de songer au brave capitaine Haddock qui, deux mille ans après un illustre prédécesseur mieux préparé que lui, comptait sur un vulgaire tour de passe-passe pour changer l’eau en vin.

Il faut dire qu’en 68, ces « démocrates » autoproclamés d’utilité publique qui aujourd’hui n’ont aux lèvres que l’interdiction sentencieuse du « deux poids deux mesures », concevaient à peu près de la même façon leur République estudiantine, puisqu’ils n’avaient aucune honte à écrire : « Il est capital de continuer les débats sur le fond dans tous les domaines et à tous les niveaux. Mais, dès maintenant, l’U. N. E. F. appelle ses militants à arracher tout de suite le contrôle par les étudiants de l’institution universitaire. Si les débats avec les enseignants restent nécessaires, le droit de veto sur les décisions prises est la seule garantie valable. [...] Le contrôle à instaurer en fonction de ce rapport de forces ne peut être donné qu’aux comités de lutte, de grève ou d’action [...] Là où le rapport de forces n’est pas aussi favorable, c’est à des structures parallèles [comités divers] qu’il faut recourir afin de maintenir une pression permettant de bloquer le fonctionnement de l’Université traditionnelle. Cette ligne applicable dans les circonstances actuelles pourra être modifiée selon l’évolution des rapports de force. » Cité par P. Vidal-Naquet et A. Schnapp dans le « Journal de la Commune étudiante ».

Il y a là de quoi se demander si les Gardiens de la Révolution iranienne, les cadres du Hamas ou du Hezbollah n’étaient pas tous inscrits en Sorbonne, à la fin des années 60. Quoiqu’il en soit, ils ont bien appris la leçon. La démocratie, oui, mais avec droit de veto et d’intimidation aux mains de tous ceux qui commandent. C’est quand même plus sûr...

C’est pourquoi il convient d’en finir avec une pratique douteuse et dangereuse consistant à utiliser certains mots pour les priver intentionnellement de leur sens. Le moindre crime est qualifié de génocide. L’accident le plus anodin, de catastrophe majeure. La plus petite erreur de parcours, d’infamie. Et l’on feint de croire qu’avec ça les citoyens vont avoir des repères, notamment les jeunes, et pas seulement ceux qui vivent dans des cités dont l’urbanisme est déjà une négation à leur identité... On voudrait les déresponsabiliser et étouffer les germes de leur sens civique qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Une milice reste une milice. Le terroriste aveugle ne tuera toujours que des innocents. Et basta !

La démocratie est une forme de gouvernance à base de pouvoirs multiformes et de contre-pouvoirs. Ce n’est que dans ces conditions qu’elle peut être qualifiée, comme il a été dit, de « plus mauvaise forme de gouvernement, à l’exclusion de toutes les autres », et ce malgré ses imperfections.

Les élections ne font pas la démocratie. En aucun cas, elles n’en constituent l’ossature et encore moins son mode de fonctionnement. Elles n’en sont qu’un des rouages. Alors, cessons de distribuer des certificats de démocratie à des régimes qui vivent de, dans, et par la peur, et ne survivent qu’en se fabriquant des ennemis.

De par sa nature le pouvoir est statique. Aussi, tend-il à conserver indéfiniment des formes sociales et culturelles établies et reconnues par ceux qui savent profiter de cette stabilité en utilisant la tradition au mieux de leurs intérêts, avec autant de subtilité que de vice. Seule la confrontation régulière et plus ou moins organisée du pouvoir avec une multitude de formes de contestation spontanée peut le pousser à s’adapter au rythme premier du moteur de la vie qu’est le changement, dans tous les domaines et toutes les disciplines.

Mettre un pied devant l’autre, c’est se lancer dans le vide. C’est aller au-devant d’une forme de déséquilibre, d’inconnu, parfois même d’inquiétude. A ce jour, on n’a rien trouvé de mieux pour marcher, donc pour avancer.

Voter est un geste citoyen. Ce n’est pas la citoyenneté.

Patrick Adam


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