Elysée 2012 : le spectacle a déjà commencé

par Bernard Dugué
mardi 12 avril 2011

Les prochaines élections semblent captées par des médias n’hésitant pas à lancer la campagne politique bien avant le scrutin des présidentielles prévu pour le mois d’avril 2012. De même qu’il y a le festival off d’Avignon, il se passe la campagne off des présidentielles, laquelle se place non pas dans un lieu différent, avec des figures moins connues, mais dans un temps différent et surtout avec des figures du jeu politique très célèbres et très prisées des Français. Quels critères seront décisifs pour choisir le chef de l’exécutif en 2012 ? D’après le bon sens, on pourrait penser à une figure politique suscitant la confiance et capable de conduire avec efficacité et professionnalisme les affaires intérieures mais aussi la politique étrangère dont on sait bien qu’elle influe sur la situation d’une nation et de ses populations. Les Français n’ont que l’embarras du choix car nombreuses sont les personnalités pouvant se prévaloir d’une aptitude à gouverner la France. Mais tout aussi nombreuses sont les figures de la politique qui n’ont pas ces capacités à exercer la fonction suprême mais qui se présentent pour des raisons collatérales comme par exemple défendre la présence d’une formation politique dans le jeu électoral et médiatique ou même satisfaire son ego ou encore troubler le jeu des grands partis. Chacun saura reconnaître ces personnes dont on n’imagine pas un seul instant qu’elles puissent diriger un pays comme la France, même si quelques indices glanés en Belgique laissent penser qu’un Etat puisse se passer de gouvernement et donc, qu’un homme de façade puisse donner l’image d’une gouvernance.

 

La campagne de 2012 s’annonce très médiatisée, dans le sillage de celle de 2007 mais avec une couverture médiatique plus intense et plus précoce que précédemment. On se souvient en effet du timing observé par les médias en 2006 avec un démarrage des compétitions et des analyses dans le courant de l’automne, alors que pendant l’été, les quotidiens et surtout les hebdomadaires nationaux avaient façonné l’image d’une Ségolène Royal conquérante qui fit plier DSK lors des primaires organisées au sein du Parti socialiste. Cette année 2011, la préoccupation des médias pour la série Elysée 2012 a commencé très tôt, plus d’un an avant l’échéance électorale, occultant pratiquement l’enjeu des cantonales. On a parlé autant des sondages effectués pour le premier tour de la présidentielle que des résultats des urnes lors de ces élections locales instrumentalisées en enjeu national et en tour de piste préliminaire avant les grands affrontements du printemps 2012. Une chaîne de télévision présente sur la TNT officie toutes les semaines en proposant depuis deux mois une émission dédiée à la présidentielle 2012, tandis que Guillaume Durand nous invite pour entendre des face-à-face pré-électoraux. Dans le même temps, la plupart des invités dans les JT ou les émissions des radios généralistes, sont conviés à donner quelques avis sur la campagne présidentielle, soit au titre de porte parole d’un parti, soit de candidat présumé ou déclaré à la candidature pour le scrutin final. Rarement une pré-campagne aura commencé si tôt, avec tant de prétendants et une agitation médiatique soutenue. Un large suspense est entretenu, à coup de déclarations, phrases, postures, sondages, autrement dit un ensemble d’ingrédients livrés à une gent médiatique qui s’en nourrit tout en jouant à un concours non officiel, celui des pronostics et des interprétations. Voici venu le printemps des enquêteurs lancés sur la trace des petits et gros cailloux jetés au fil du temps et selon les opportunités par les prétendants à la candidature. La campagne pour 2012 ressemble à une série de télé réalité ou carrément un feuilleton continu qui ne cessera qu’une fois le président élu.

 

Ce cirque politique dessert la démocratie. Ainsi jugerait un analyste sourcilleux des vertus républicaines. Pourtant, une information cloisonnée et cantonnée à deux ou trois formations politiques serait jugée partisane et même comme une atteinte aux droits d’expression de la diversité dans une démocratie. Les écolos sont soucieux de biodiversité et les démagos vantent la démo-diversité, autrement dit la politique qui satisfait tous les goûts. Bref, l’habillage aussi important que le contenu. Le défilé des candidats et candidates est conçu comme une semaine de la mode étalée sur un an. En vérité, il semble bien que nous n’ayons pas le choix et que l’avènement de la vidéocratie induise forcément cette mise en scène où tous veulent participer et comme n’importe lequel les vaut tous tout en ne valant presque rien, eh bien laissons la libre concurrence s’exercer et place au maximum de candidatures. Le devenir de la politique semble suivre l’évolution des sciences vers une plus grande spécialisation. Heidegger avait renversé une proposition semblant aller de soi. Ce ne sont pas les instituts qui sont responsables de la spécialisation des sciences mais le processus de la Science qui téléologiquement nécessite la scission de la profession de chercheur en d’innombrables spécialités nécessitant chacune un institut. Tel est le cours de la Modernité selon Heidegger. Ne pourrait-on dire que, les modes d’existences s’étant différenciés, comme le sont les objets de la nature, la vie publique et médiatique trouve une réponse réactive dans un processus du Politique nécessitant la scission du professionnel de la gouvernance en de multiples partis ? Serions-nous dans une configuration transposée à partir des particules fermioniques qui, tels les électrons, ne peuvent occuper à plusieurs le même état énergétique ? Ou plus simplement dans une conjoncture plus que moderne, avec l’avènement du sujet démultiplié sur la scène du monde, un sujet porteur d’une des multiples conceptions du monde projetées à partir de son idéologie, voire de son ego surdimensionné ? Et qui dit vision dit mise en situation avec la télévision et les autres médias habilités à produire la mise en scène de cette longue aventure électorale se déroulant à l’image de plus belle la vie, avec des personnages récurrents, des retournements de situation et des dialogues assez convenus.

 

La vie politique ainsi médiatisée n’apporte rien de spécial à la démocratie. Elle ne lui enlève rien non plus. Elle se conçoit comme un « divertissement instructif » offrant quelques éléments tangibles sur la manière de voir les choses publiques par les différents camps en présence. Les médias ne font que se greffer au jeu, parfois en le déformant mais dans des proportions limitées. S’ils influent, c’est parce que leur capacité de résonance est propre à faire ou défaire des réputations, des célébrités, des figures politiques qui en plus d’être compétent, se doivent d’être pédagogues, acteur, joueur, bretteur devant les micros. Ce milieu médiatique est squatté par des animaux politiques qui ont su faire preuve d’une étonnante adaptation. Un génie de la politique, bredouillant et bègue du verbe, ne peut plus accéder au pouvoir. Le cours médiatique de la vie politique est le fait d’une convergence d’intérêts entre les journalistes et les stars de campagne, le tout sur fond d’une attente artificiellement générée mais hélas, presque irréversible. Le besoin de spectacle politique se dévoile, avec la concurrence des médias cherchant à attirer les ténors des partis sur leur plateau. Il y a un besoin de propagande dans les démocraties modernes avait conclut Ellul. Il y a aussi un besoin de théâtre politicien. Rien ne dit que c’est bon ou mauvais. C’est comme ça, tant qu’il y aura des spectateurs. Et ce n’est pas si mal au fond. Car la politique satisfait aux exigences basiques de la société.


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