En mai, fais ce qu’il te plaît
par alinea
lundi 22 avril 2013
11 avril, Montpellier ; Jean-Luc Mélenchon commence son discours ; la voix est forte, il a des accents gaulliens ou gaullistes, je ne sais ; il est remonté, mais il tiendra l'heure.
Raz le bol des attaques des diabolisations des lazzis des critiques en dessous de la ceinture qui ne veulent rien dire et qui n'apportent rien.
Il démonte un à un les attrape-mouches, les attrape-nigauds, les pompons de fêtes foraines, il éructe, comme je le ferais, son indignation devant tant de dédain de la part d'un gouvernement vis à vis de son peuple.
Nous ne sommes le peuple de personne ; nous nous lèverons parce que nous sommes humiliés de l'attitude , non seulement des capitalistes voleurs fraudeurs exploiteurs, qui ne font que leur job, mais humiliés par deux têtes à la tête de l'État qui nous crachent leur mépris en nous prenant pour des cons.
Que ceux qui pensent que Mélenchon est grossier, écoutez : il n'y a pas la moindre hésitation quant au choix de ses mots, et « cons » n'y est pas ; moi je le mets.
Il s'enflamme de colère et de détermination et puis dit : hier à Martigues..en ce moment à Clermont-Ferrand, nous sommes nombreux ... ».
Rumeur qui enfle dans la salle ; j'avais compris : en ce moment il y a une réunion à Clermont-Ferrand, mais ce n'est pas le cas de tous les militants assemblés là, les sympathisants, les curieux peut-être ! Ils croient que sa langue a fourché, qu'il ne sait plus où il est ! On finit par venir lui souffler à l'oreille que non, nous ne sommes pas à Clermont mais à Montpellier ! Pris dans son bouillonnement il ne s'offusque pas, lève les bras, rétablit la vérité en disant quand même : « Je vous dis que ce soir il y a une réunion à Clermont-Ferrand où nous sommes des milliers ; ne me prenez pas pour un ballot » finissant dans un sourire indéfinissable...
J'ai un moment de désarroi, de doute puis je comprends : cet homme, ce leader du front de Gauche, qui distille son énergie avec tant de générosité, qui souffle dans les bronches de tous les volontaires le courage de l'audace, qui assène ses convictions pour faire exemple, qui s'impatiente, est, malgré tout, pour eux tous, un copain qui est au front et qui fait face au feu, et que l'on aime et que l'on veut protéger ; on se doute qu'il peut faillir, être déboussolé, on lui pardonne mais, d'égal à égal, on lui dit : loulou, merde ! Ici c'est Montpellier. Et ce sentiment d'égale connivence est si fort qu'ils ont anticipé, n'ont pas entendu le sous-entendu, mais le lui disent.
On est loin des bouches closes, des yeux gênés qui se baissent sur leur cravate, par obséquiosité ! Nous sommes entre nous ; il est des nôtres... tout à l'heure, dans sa loge, il s'affaissera comme quelqu'un qui a tout donné.
Je l'ai vu dans une assemblée restreinte propulser son analyse, sa foi, sa passion, puis, seul au fond de la pièce, rester assis un moment, abattu, vidé, prendre ce temps pour se ressourcer. Sa prise de parole est un jeu d'acteur, génial et entier dans son rôle et il aime son rôle où il donne tout de lui, mais, plus tard, en mangeant assis dans l'herbe, deux ou trois personnes avec lui, personne ne le cherche, veut se faire mousser, ne l'idolâtre et lui ne cherche pas les regards ni les contacts, disponible mais sans demande, il est l'un des nôtres tout simplement.
Certes ce pouvoir de la parole est grisant mais il n'est qu'échange ; la foule le dynamise, il dynamise la foule.
Il faut être bien mou dans son quant-à-soi, bien loin de cette osmose, de cette quête populaire de la dignité, se sentir bien protégé, nanti, pour ne pas s'y laisser aller, pour bouder cette fraternité.
Il moque les fausses nouvelles lois de Hollande, sur le ton qui convient quand on se sent floué.
Oui, alors, qu'ils restent chez eux ceux qui, loin des réalités qui nous touchent désormais aux tripes, ne se sentent pas atteints. Et que ceux qui fustigent son langage, ressente une fois au moins, la colère devant l'injustice, le massacre des peuples, leur déni de la part des « belles personnes » qu'on ne peut mieux définir ni sur un meilleur ton qu'il le fait lui-même ! Que les tièdes qui veulent ne rien risquer pour eux-mêmes, qui déploient les sentiments informes de la compassion bon teint mais qui répugnent à la violence qui est faite à ceux auxquels ils disent compatir, organisent leur repli, prévoient leurs arrières car ils seront balayés avec les autres s'ils ne donnent pas un coup de main ; il faut renverser la donne, virer les importuns mais cela ne se fera pas la tasse de thé en main !
Mélenchon s'échauffe contre la politique allemande comme n'importe qui, sensible aux abus de pouvoirs et à leurs injustices, le ferait.
Il est un leader, dans ce sens où il ne nous dit pas de ne pas nous en faire, qu'il s'occupera de tout, mais au contraire, de nous réveiller, de nous encourager et d'arrêter d'attendre que qui que ce soit fasse quoique ce soit pour nous !
Elles sont donc drôles les critiques inquiètes et méprisantes de ceux qui pensent que Mélenchon trace une route pour satisfaire son ambition ; et si toutefois il le faisait, parce qu'il faut bien un moteur et du carburant pour faire agir cet homme, sans cesse, il le ferait dans une ambition bien plus souveraine, dans un but beaucoup plus lointain : incarner celui par qui la fin d'un empire ignoble, est venue. Et comprenez bien,- sortez des petites malversations dérisoires et éphémères de pauvres hères qui n'ont que l'argent comme horizon-, que la véritable ambition d'un homme de combat, n'est pas la médaille, ni la paye, mais la réussite de son entreprise, pour ne pas dire sa guerre. Si vous avez l'esprit assez large pour dépasser les valeurs imposées depuis trois décennies, alors vous conviendrez qu'il n'y a pas de mal à attendre d'une confiance, avec un tel homme.
L'ambiance est si chaude, si tendue, Mélenchon n'arrête pas sa phrase pendant les applaudissements, l'urgence est si grande, la colère si ancienne qu'une Marseillaise entonnée se déploie, comme un hymne, pour une fois à propos.
On est loin des petits mots empesés et polis, loin de la bienséance imposée par une gauche très caviar, pendant si longtemps : on joue le jeu de tout-va-très-bien, ne nous énervons pas, nous sommes des gens bien élevés, pas de conflit, pas de heurts, pas de vagues !!! Ah ! Bien sûr, tout dépend sur quelle plage nous sommes ; mais la tempête arrive aussi dans les petites marinas protégées ! Le plus gentil des retraités devra se bouger !
Il suffirait qu'une brise souffle sur les résistances des coincés, des timides, des raisonneux, qu'une folie belle remplace l'obéissance de tous ceux qui sont sûrs d'être critiques et avertis et se méfient. Qu'arrivera-t-il si je me lâche ? Serai-je semblable à ceux-là que je feins de défendre ?
Je connais ses discours par cœur, à en souper, j'en ai transcrit des parties entières, les ai écoutés réécoutés ; je ne suis pas subjuguée, je ne suis pas envoûtée, ils ne disent rien que je ne sais déjà, ils n'exaltent rien d'autre qui n'est déjà en moi, mais l'envie me prend de crier, comme quand j'étais enfant : cessez de traîner les pieds ! Osez l'aventure humaine de la libération, de faire un pied-de-nez à tous les oppresseurs, leur dire « voyez, vous ne nous faîtes pas peur ! ».
À condition de savoir si l'on veut ou l'on vaut trois sous de plus ou si au contraire, oublieux de tout ça, on veux juste la vie, on veut juste la joie !
Péter les plombs des chaînes et soudain courageux, prendre en main le destin, redistribuer les rôles, prendre le moins mauvais et virer de la scène les imposteurs figurants qui depuis trop longtemps nous narguent.
Les mêmes qui disent ne faire confiance à personne, qui ne veulent plus déléguer, tournent le dos au seul mouvement politique qui veut bouger : cette révolution citoyenne ne veut pas se venger, elle veut juste jeter des dés qui ne seront plus pipés.
Il revient sur les attaques dont il est l'objet, le dire est un exutoire, ne pas s'y laisser abattre et il s'encourage de la chaleur populaire.
En aparté il souffle, en essuyant ses cheveux de leur sueur : il fait chaud, je suis rouge et en nage, et vous verrez, c'est cette photo là que vous aurez !
Son destin est d'être un éveilleur, et il le sait très bien, mais ce destin est noble, ingrat, difficile.
Alors, je lui pardonne ses redites, les phrases qu'il ressort à chaque fois, devant les médias, comme des ficelles utiles et qui lient sa pensée dans des circonstances où il peut se sentir agressé.
Je lui pardonne ses approximations que son esprit synthétique donne comme des conclusions, avec, parfois, une parenthèse assumée pour expliquer.
Il joue avec ses lunettes qu'il oublie sur son nez ou bien qu'il range dans sa poche, réajustant l'oeillet qui en dégringolait ; il nous lit un papier : les lois du Président, les démonte une à une en disant qu'elles existaient déjà et que Cahuzac a bien exhibé son patrimoine avant d'être ministre ; puis, se tournant, regardant à côté : « Où il est l'autre ? » en parlant de Ayrault !
C'est rassurant, notre indignation, notre sidération même, là, tous ensemble, dans ce flot de paroles, deviennent une arme et ne sont plus une douleur.
Tous les militants qui bidouillent des actions, des réunions, des scénettes, des distributions de tracts, des échanges et qui se heurtent plus souvent au vide qu'aux polémiques, y viennent se ressourcer.
Il s'envole sur la mer, explique la politique européenne, nous demande de nous en faire le relais pour que tout le monde comprenne ; il dit la Constituante, le référendum populaire, la règle verte ; il le dit, le redit car ici n'est pas le lieu d'une réflexion mais d'un recentrage.
Il introduit en disant : « ce que nous sommes en train de faire ici ce soir, c'est une démonstration de force que nous seuls sommes capables de faire » et un peu plus tard : « il n'y a pas d'autres solutions qu'une intervention populaire...c'est inéluctable ».
Il nous a prévenus, ne rentrons pas chez nous dormir tranquilles en comptant sur un homme, une équipe, qui s'occuperait de tout . Et confirme aussi, ou prévient, que nous ne sommes pas en route vers le paradis ! La bataille sera rude et menée de toutes parts...
À ma connaissance, il est le seul à le faire, alors, l'atavisme de passivité, l'infantilisme de la démission de soi, de la délégation à d'autres, l'allégeance faite aux puissants, l'arrogance des petits « soi » au dessus de la mêlée, la traîtrise des parvenus, doivent être terrassés, oubliés et, à mon sens, la révolution toute entière tient dans cette nécessité.
Car en aucun cas ce réveil peut conduire au fascisme qui est son exact contraire, qui endort et qui flatte ; Mélenchon fait et tente de réussir la chose au monde la plus difficile : souffler l'urgence de la responsabilisation d'un peuple qui doit se réveiller.
Ce peuple qui est politique, en France, comme il l'a dit dans son discours de Mulhouse, et non pas ethnique ou religieux, politique comme notre République, avec ces trois mots : Liberté Égalité Fraternité.
Et tout est à (re)conquérir...