Encore un Plan « espoir banlieues », mais est-ce la solution ?
par hans lefebvre
lundi 23 juin 2008
Le vendredi 20 juin se tenait à Meaux (77), le conseil interministériel des villes (CIV), à l’issue duquel étaient annoncées les principales mesures qui composent le Plan espoir banlieues de Fadela Amara, secrétaire d’État déléguée à la politique de la ville. Après de longues tergiversations, dues à la recherche de financements, la politique de la ville veut insuffler un « nouvel élan » en direction des territoires en déshérence, mais on est loin du Plan Marshall initialement annoncé, faute de moyens budgétaires. Pourtant, dans cette matière, l’histoire est déjà longue. De politiques spécifiques en plans en tout genre, de discriminations positives en haute autorité de lutte contre les discriminations, tous les acronymes et autres effets de sémantique politicienne sont restés impuissants, la situation demeure largement plombée, et les maux persistent.
Quartier des Minguettes, Vénissieux, banlieue lyonnaise 1981, rappelez-vous, la France entière, médusée devant les écrans de télévision, désormais démocratisés, découvre une banlieue[1] qui flambe, des jeunes qui explosent dans ce que l’on nomme désormais les violences urbaines.
En 1983, suivra la mythique « Marche des Beurs » partie de Marseille, elle verra une foule immense rallier la capitale entonnant marseillaise et autres slogans pacifiques revendiquant le droit fondamental à l’égalité. Vingt-cinq années ont passé depuis ce mouvement unique, et ce sont les émeutes urbaines qui se sont succédé, dont celles de 2005 représentent l’apothéose flambante. Le point commun à tous ces mouvements urbains violents est qu’ils font suite à ce que l’on pourra dénommer des violences policières, véritable étincelle dans un contexte social très dégradé, et toujours prêt à exploser.
Du développement social des quartiers (DSQ) à la politique de la ville (réaction aux émeutes de Vaulx-en-Velin,1990), en passant par le Fonds de solidarité urbaine (FSU), c’est aujourd’hui le Plan « espoir banlieues » qui prend le relais, ultime avatar du sérail politique, décrété depuis vendredi dernier [2].
On se souvient des déclarations faites le 8 février par Nicolas Sarkozy, pleines d’un humanisme feint, car de circonstance, et en opposition absolue avec le concept de « kärchérisation de la racaille ». On croirait des paroles empruntées à feu l’abbé Pierre, mais elles sont si loin de sa pensée politique...
Sans prendre de risque, on peut déjà affirmer que ce énième volet d’une politique soi-disant volontariste en direction des quartiers de relégation ne portera aucun fruit dont la République pourrait se nourrir. Sans parler des moyens engagés largement insuffisants, c’est surtout la pertinence de cet ensemble disparate qui fait défaut. En outre, il se compose de mesures largement usitées dans le passé. Loin des cinquante mesures annoncées au départ, ce sont quelques actions qui auront été retenues, parmi lesquelles, par exemple, un nombre de places supplémentaires en internat, ou la mise en place du « busing » soit le transport d’élèves issus des quartiers difficiles vers des établissements avec plus de mixité. C’est ici l’application a minima d’une idée pourtant essentielle, la mixité sociale, toujours décrétée, mais jamais réalisée tant les réticences humaines sont encore ultra-dominantes.
Point de mixité, mais quantité de discriminations, de vexations, d’humiliations, dont la source profonde puise ses racines dans notre histoire coloniale violente, avec tout le cortège de représentations sociales qu’elle a induit chez nombre de nos compatriotes. Osons le mot et le diagnostic, racisme. Il reste encore fortement ancré dans les comportements sociaux, la discrimination en est l’appendice le plus visible. Discrimination à l’embauche, au logement, aux loisirs, etc., sont là les maux incontestables qui minent la société française, et cela malgré un ensemble législatif et institutionnel probant, mais qui n’arrive pas à endiguer le phénomène. Même « l’affirmative action » ou discrimination positive n’en viendra pas à bout, en tout cas pas dans un avenir proche.
Et, l’envers du décor, c’est le repli communautaire, le développement d’une économie informelle palliant la non-redistribution des emplois, donc des ressources. La rancœur l’emporte désormais sur l’espoir, les « petits frères » voyant les « grands frères » évoluer entre détention et BMW, ou alors, vaquant de petits boulots en sous-emploi, et cela même pour les plus diplômés d’entre eux, comme le démontrent toutes les études et autres « testing » à l’embauche. Soit autant de preuves à charge dans le dossier très épais des discriminations.
Ainsi, les racines du mal sont essentiellement inscrites dans notre histoire qui a fait souffrance, et dont les cicatrices ne sont pas encore véritablement refermées car jamais n’ont été soignées. Un mal qu’on a laissé s’insinuer au plus profond des inconscients individuels et collectifs. A l’exemple de ce jeune qui circulait avec une motocyclette auquel un journaliste indique qu’il circule sur un véhicule non homologué, et qui se voit répondre avec une vivacité remarquable « mais nous non plus on n’est pas homologués ». Cette réplique résume dans une formule pleine d’intelligence l’ensemble des savoirs acquis dans le champ des connaissances universitaires sédimentées sur les rayons de nombreuses bibliothèques [3]. Et ce n’est pas peu dire, tant les travaux en sciences sociales sont légion, nous faisant affirmer que si les quartiers de relégation ont procuré du travail, c’est au bénéfice premier de nos chercheurs en sciences humaines, tout autant qu’à une multitude de journalistes.
On est donc au point zéro, le chantier est immense, la reconstruction n’est pas encore entamée, car il s’agit ici de fondations avant tout. Il faut donc assainir le terrain en premier lieu, ensuite poser des fondations dignes de ce nom, et les plans s’imposeront d’eux-mêmes, puis les financeurs ne manqueront pas. La société française finira bien par accepter son histoire [4] pour en faire une lecture saine qu’elle restituera objectivement à toutes ses composantes. Qu’on le veuille ou non, la France est plurielle, de nombreuses populations se sont stratifiées ici, pour la plus grande chance de ce pays, sa natalité hors norme en Occident est une des conséquences positives les plus évidentes.
Le temps fait son œuvre, faisant fi des soubresauts nauséabonds et inféconds qui minent encore notre tissu social. C’est la durée qui fait espoir, qui tisse l’avenir forcément plus chatoyant et bigarré, et non les plans en tout genre, portés par des politiciens plus ou moins honnêtement investis dans leur mission. Ce ne sont pas les idées et les intentions louables de Mme Amara qui feront la différence, même si, par sa seule présence, peut s’immiscer, s’introduire l’idée que nous sommes pluriels sur cette terre de France, et que là réside une richesse puissante dont nous ne pourrons nous priver plus longtemps.
Il ne s’agit pas ici d’intégrer, mais plutôt de désintégrer ces quartiers de relégation, ces véritables zones de sans-droit, où le cumul des handicaps a généré une ghettoïsation à l’américaine. S’il s’agit d’introduire dans notre société non seulement de l’espoir, mais encore de la répartition des richesses, c’est avant tout d’ouverture d’esprit, de fraternité, de reconnaissance dont chacun a besoin, mais cela ne se décrète point, ni ne se planifie.
[1] Banlieue : 1 185 droit féodal, « espace (d’environ une lieue) autour d’une ville, dans lequel l’autorité faisait proclamer les bans et avait juridiction ».
[2] Pour une approche chronologique des différentes politiques :
http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/politique-ville/chronologie/
[3] Bibliographies à titre d’exemple :
http://www2.urbanisme.equipement.gouv.fr/cdu/accueil/bibliographies/villeetviolence/arsenal.htm
http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/securite-interieure/bibliographie/
[4] Histoire (non exhaustif) :
Jean-Marc Ferro, Le Livre noir du colonialisme, Pluriel.
Vincent Viet, Histoire des Français venus d’ailleurs, Tempus
Gilles Manceron, Marianne et les colonies, La Découverte
Louis Sala-Molin, Le Code Noir ou le Calvaire de Canaan, Puf
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Présence Africaine
Gérard Noiriel, Les Fils maudits de la République, Fayard.
Illustration : Les Banlieues françaises se rallument, Chappatte, Le Temps 2006.