Est-ce la fin de la recherche ?

par rigas
lundi 25 juin 2007

Le Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS) a publié un communiqué dont voici la teneur :

«  Selon des fuites, d’origine ministérielle de haut niveau, le gouvernement aurait décidé de transférer la totalité des chercheurs du CNRS vers les universités. Cette mesure revient à décapiter le CNRS qui deviendrait, comme l’a annoncé Sarkozy dans son programme, une agence de moyens sans personnel chercheur. »

«  C’est un coup bas donné à la recherche française dont une grande partie s’est, depuis 60 ans, structurée et développée autour de cet établissement largement reconnu au niveau national et international », ajoute le SNCS.

Effectivement. Mais c’est aussi le produit d’une vision politique qui veut que la recherche se trouve dans les universités et que le mode de financement des projets de recherche se fasse entièrement par soumission à des appels d’offre. Le modèle de référence est ce qu’on nomme « universités de recherche » aux Etats-Unis et la prégnance des financements de la National Science Foundation.

Cette vision semble confirmée par les récentes décisions à l’IRD où une Agence IRD a été créée et où la direction générale pousse à la création rapide d’unités mixtes IRD-universités. Ces unités mixtes de recherche (UMR) existent déjà très largement au CNRS. Ainsi, à terme, une dilution des chercheurs dans les universités semble un objectif possible, même s’il n’est pas avoué.

Symptôme supplémentaire, lors du dernier concours de passage au grade de directeur de recherche de l’IRD dans la commission des sciences sociales, n’ont été retenus que les candidats avec une HDR (habilitation à diriger des recherches). L’HDR n’est pas un diplôme, mais autorise une personne non professeur à diriger une thèse de doctorat. Traditionnellement et statutairement, les directeurs de recherche sont censés pouvoir diriger des thèses. Leur demander de passer une HDR pour devenir directeur, c’est donc subordonner la position des DR des instituts de recherche à celle des professeurs des universités.

Dans les sciences de la nature, les chercheurs des organismes de recherche passent cette HDR assez vite après la thèse afin de se préparer à diriger des thèses de futurs chercheurs sans avoir eux-mêmes à obtenir le titre de directeur de recherche. Cela leur permettra de diriger des travaux d’étudiants sans être directeurs de recherche. C’est moins courant dans les sciences sociales où l’HDR est plutôt conçu comme un aboutissement de travaux (un peu comme autrefois la thèse d’Etat).

Ce qui se joue donc est une transformation en profondeur des structures de recherche face à laquelle les divisions parmi les chercheurs quant à la « bonne solution » à adopter sont patentes. La proposition de réintégrer la recherche au sein des universités est un cache-sexe à la réforme des universités.

Faire cadeau aux universités des chercheurs des « établissements publics à caractère scientifique » (statut officiel des CNRS, INRA, ISERM, IRD, INNRIA) est largement illusoire. En effet, les universités n’ont ni les moyens ni les structures pour garantir que la recherche se déroule dans de bonnes conditions. En revanche, elles disposent de l’autorisation de délivrer des diplômes et donc pour les chercheurs il est essentiel d’en être proche afin d’alimenter le flux de futurs chercheurs. Illusion aussi de prétendre que c’est là une transformation majeure. La recherche française se déroule avant tout dans les unités mixtes de recherche. Le CNER en 2003 disait déjà que « ces laboratoires mixtes (plus de 1 900 alors qu’il n’y a que 200 labos propres aux EPST) installés dans des locaux universitaires, objets de contrats multiples, entre 1’(ou les) université(s) et un (ou des) EPST (ou même avec des EPIC) deviennent les unités fondamentales de la politique de recherche française. Ce fut une adaptation majeure à la structure émiettée d’établissements de recherche, d’universités et d’écoles. » C’est donc bien les difficultés d’organisation et de moyens des universités qui ont porté la création pragmatique des unités mixtes, tout en maintenant les organismes de recherche avec leurs structures de décisions et leur grilles salariales propres.

Illusion aussi de croire que l’on va transformer les universités en France (ou quelques-unes d’entre elles) en « universités de recherche » sur le modèle américain. Car le modèle américain est fondé sur le fait que les universités sont privées. C’est pour cette raison que l’Etat délivre des crédits pour la recherche par voie compétitive à ces universités. La raison d’être de l’université américaine se trouve dans les fondations privées qui les financent. Rien de tel en France ni même en Europe. Certaines universités américaines ont même créé des labos de recherche après les labos de recherche privés. L’histoire est très différente en Europe où le public a précédé très largement le privé, et pour ne parler que des deux plus grands pays européens, c’est vrai aussi bien en Allemagne qu’en France.

Illusion enfin de penser que la recherche française peut fonctionner à la marge de la recherche européenne. Renforcer la recherche n’est certainement plus possible sans passer par cet « espace européen de recherche » très largement construit par les six derniers programmes cadres et en voie de consolidation. Si la recherche française semble très différente dans son organisation des autres systèmes de recherche européens, elle n’en est pas moins dépendante que les autres des financements européens. Ces financements sont largement distribués par appel d’offre compétitif, comme la National Science Foundation. Rien ne dit qu’en remettant les chercheurs et la gestion du personnel aux mains des universités, plutôt que des EPST, les chercheurs français auront plus accès à ces financements. Les signes que donne le gouvernement actuel ne laissent pas penser cela : en créant l’Agence nationale de recherche (ANR) et en distribuant sous forme compétitive des financements additionnels, les laboratoires français se sont détournés des appels d’offre européens. Mais voilà : l’ANR permet de détourner les financements des EPST vers une source externe, indépendante des budgets de fonctionnement des organismes de recherche et des universités.

Il y a donc une sorte de croyance idéologique forte qui se structure autour de deux figures : remplacer les instituts par des universités et financer essentiellement par agences. C’est là une sorte de libéralisme sceintifique qui est défendue, à l’encontre d’une vision plus étatique fondée sur l’existence des organsimes de recherche autonomes. Il n’existe pourtant pas d’évaluations sérieuses qui aboutiraient à cette conclusion. Au contraire, l’anomalie structurelle que représente la France est loin d’être inefficace comme le confirment les travaux du Conseil national d’évaluation de la recherche (CNER). Le gouvernement s’acharne à effectuer des réformes de structures là où des évaluations en bonne et due forme des programmes seraient nécessaires.

Cette rhétorique qui consiste à dire que tout ira mieux quand les EPST seront rendus à l’université est donc illusoire et dangereuse et veut avant tout cacher le fait que les financements publics ont baissé depuis que la droite est au pouvoir. Même la très impartiale revue Nature l’a montré en publiant un graphique ravageur. Ce graphique montre que depuis la présidence de Jacques Chirac la recherche a perdu 20 % de financements publics. Le fait de mettre la recherche dans l’université ne fera qu’accentuer les dégâts.


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