Et ils finirent par parler pour ne plus rien dire
par Pelletier Jean
vendredi 14 mars 2014
La communication…nous sommes entrés dans l’ère de la communication numérique, mais aussi de la communication politique. Il suffit de voir la multiplication des officines en tout genre, des conseillers politiques, des stratégies de communication des collectivités territoriales qui prolifèrent en envahissant la sphère publique. Il y a le bon côté, l’adaptation aux nouveaux modes de communication, que sont les réseaux sociaux, mais il y a aussi la partie la plus sombre.
Force est de constater que la forme du message l’emporte aujourd’hui sur le fond. L’apparence, la bonne formule, l’élaboration de la stratégie se font bien souvent au détriment du fond. Du général de Gaulle et ses conférences de presse, bien désuètes , aux premiers pas de François Mitterrand face à Giscard d’Estaing, on ne peut que regrette la dilution du fond des messages dans la forme, pour ne garder au final que « l’idée » du slogan.
Le célèbre « Croit-on, qu’à 67 ans, je vais commencer une carrière de dictateur ? » du Général de Gaulle (Conférence de presse du 18 mai 1958) s’est inscrit dans l’histoire en raison de la formule, mais aussi du fond. Cette phrase était faite pour résonner dans l’opinion publique en se référant implicitement à la résistance menée par De Gaulle pendant l’occupation allemande. Le message politique était fort et l’expression tout aussi heureuse.
Un peu plus tard, Georges Pompidou, interrogé lors d’une de ses conférences de presse, le 22 septembre 1969, évoque le drame de Gabrielle Russier (professeur de français qui s’est suicidée suite à une histoire d’amour avec l’un de ses élèves) en ces termes : « comprenne qui voudra ! – moi, mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés ». C’était du Paul Eluard (Au rendez-vous allemand, Paris, Editions de Minuit, 1944), bien à propos. La leçon, ainsi lancée aux tenants de l’ordre moral, était fort bien ajustée et presque sans appel.
Le 10 mai 1974, au cours du débat télévisé de l’entre-deux tours, François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing jouent leur avenir politique, face aux assauts du candidat socialiste, VGE lance la formule « Vous n’avez pas le monopole du cœur ». Il fait mouche, on dit, sans en avoir la preuve formelle, que c’est cette phrase-là qui fit la différence.
Sept ans plus tard, Mitterrand a bien appris la leçon, à l’interpellation de Giscard : « Vous êtes l’homme du passé », il répond du tac au tac : « Vous êtes l’homme du passif ».
La forme, alliée au fond était toute à la fois efficace et pédagogique.
Aujourd’hui, les campagnes électorales coûtent de plus en plus cher, en frais de communication en particulier, et les équipes de tout bord s’échinent plus à la communication qu’à la réflexion. La technique l’emporte sur le fond et surtout finit par occulter celles et ceux auxquels elle s’adresse. « Dans la communication, le plus compliqué n’est ni le message, ni la technique, mais le récepteur » (Dominique Wolton). Nous sommes les récepteurs…
Roland Barthes a mis en exergue les dangers du discourir : « Parler, et à plus forte raison discourir, ce n’est pas communiquer … c’est assujettir » (leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France, prononcée le 7 janvier 1977).
C’est bien à ce point de sujétion que la politique a conduit le citoyen dans l’avalanche des formalismes et nécessité de décorum.