Etat psychologique des masses : la fin des stratégies individuelles

par proletaire-de-fer
jeudi 25 janvier 2018

Anti-dépreseurs, drogue, religion, développement personnel, voilà où mène la fuite en avant dans les stratégies individuelles. Quand l'individu lambda n'a même pas conscience qu'il est dans son intérêt personnel de jouer collectif. Le nécessaire retour du politique !

Les français sont réputés pour être les plus gros consommateurs d’anti-dépresseurs du monde. C’est en réalité faux, par contre il est intéressant de voir qui en France souffre le plus psychologiquement. 

La première approche est géographique

Voici d’abord un tableau qui classe les régions selon leur consommation d’anti-dépresseur. On voit en même temps dans chaque région les données par âge, sexe et situation familiale. 






Ce tableau doit être mis en corrélation avec la carte du revenu médian par région : 







La carte de la dépression ne semble pas être liée à la carte du chômage mais uniquement à celle du revenu médian. Revenu médian signifie qu’il y a autant de gens qui gagnent moins que de gens qui gagnent plus (ce n’est pas le revenu moyen) 


Les régions qui s’en sortent le moins bien sont le Limousin, l’Auvergne et Poitou-Charente qui font partie des régions où le revenu médian de la population est le plus faible (entre 16 000€ et 19 000€ par ans). Les régions comme l’île de France et l’Alsace s’en sortent beaucoup mieux en terme de dépression, le revenu médian y est le plus élevé de France (entre 20 000€ et 25 000€). La seule exception semble être la Picardie qui consomme peu d’anti dépresseurs par rapport au reste de la France alors que c’est l’une des régions où les habitants gagnent le moins. 


La consommation de cannabis est également un indicateur intéressant, car cela permet d’interpréter correctement les chiffres que nous venons de donner. 







On constate que la consommation de cannabis est assez faible dans les régions pauvres, régions où les gens consomment plutôt des anti dépresseurs, mais plus grande dans les régions comme l’Ile de France, plus riche, et la cote méditerranéenne. Cela peut s’expliquer de plusieurs façons. Les gens les plus pauvres vont en général se tourner vers des anti dépresseurs ou l’alcool (l’alcool explique sans doute pourquoi la Picardie consomme peu d’anti dépresseurs et de cannabis). Les gens qui ont plus de moyens peuvent se tourner vers des drogues plus chères, comme le cannabis. Les grandes villes comme Paris ou Marseille (et surtout Marseille qui est un port où circule beaucoup de drogue), sont bien plus touchés par la consommation de cannabis aussi parce que les trafiquants concentrent leur commerce dans les régions où il y a une plus grande densité de consommateurs. 


Il y a également le comportement culturel des jeunes, qui les incite plus à oublier leurs problèmes avec le cannabis qu’avec des anti dépresseurs. 


Autrement dit, comme nous le voyons, le fait que les habitants en Ile de France ne consomment pas beaucoup d’anti dépresseurs ne signifie pas que les parisiens sont heureux. Cela peut aussi s’expliquer par le fait qu’ils se tournent vers d’autres drogues, moins légales, mais tout aussi faciles d’accès. 



La consommation de drogue peut répondre à plusieurs besoins : oublier sa situation ou continuer à tenir au travail. 

Le fait que la consommation de drogue augmente d’années en années est un signe de souffrance psychologique de masse. 



En réalité, la drogue et les anti dépresseurs ne sont que des stratégies parmi d’autres pour supporter la vie dans la société actuelle ou essayer d’améliorer son existence. 



On ne s'étonnera pas non plus que l'état qui lutte soit disant contre les trafics est en réalité totalement complice : du pain, des jeux, et du cannabis, voilà le secret de la paix sociale. 



Les stratégies individuelles accessibles : 


- la drogue, les anti-dépresseurs (fuir la réalité mentalement), 


- la drogue comme moyen de tenir au travail, 


- pour les femmes, vendre son corps (prostitution), 


- les jeux-vidéos (combat et contrôle virtuel), 


- religion (fuir la réalité mentalement) 



Mais il existe aussi des stratégies individuelles inaccessibles à tous bien que tentées par beaucoup : 


- la réussite professionnelle, 


- le développement personnel, 


- la délinquance 



Et enfin des stratégies individuelles telles que : 


- la résignation, 


- le suicide 



Nous avons déjà évoqué la drogue et les anti dépresseurs. 


Les jeux vidéos sont un cas à part, car ils ne sont pas à proprement parler une drogue et ne répondent pas à la même logique. Le jeu vidéo reproduit en partie le monde réel et permet ainsi d’avoir une sorte de contrôle sur quelque chose. Le jeu vidéo sert aussi de défouloir à la frustration accumulée dans la vie réelle. Il sert donc en quelque sorte à compenser l’impuissance dans la vie réelle par une puissance virtuelle. 


La religion est une double stratégie individuelle. Elle offre à la fois un « alcool spirituel » (selon les mots de Lénine) pour oublier sa souffrance sur Terre, et également un ensemble de rituels ou de superstitions qui donnent l’illusion de contrôler sa propre vie. Pendant l’antiquité les hommes craignaient les dieux pour la récolte, le vent, etc. les priaient et leurs faisaient des offrandes pour se donner l’illusion de contrôler leur propre vie. De même aujourd’hui la superstition est omniprésente dans la société actuelle, avec les capitalistes eux-mêmes, qui ont toute sortes de comportements rituels pour compenser leurs incertitudes sur l’avenir de leurs affaires. Le culte de la providence (à la fois crainte et vénérée) est d’ailleurs au coeur de la religion protestante. Le destin, les horoscopes, la voyance, etc. sont le produit d’individus qui cherchent à se donner l’illusion d’un contrôle sur leur propre destin. 


L’un des principaux problèmes des hommes est de chercher les gratifications en évitant les souffrances. Le pouvoir permet d’obtenir ce dont on a besoin et d’écarter les sources de malheur. Donc l’homme cherche à dominer les éléments dans ce but. Le fait que la masse des gens opte pour des stratégies de fuite ou de contrôle virtuel, ou illusoire (religion) est le résultat de l’impuissance des individus à améliorer leur existence. Ils doivent donc compenser quelque part, ce qui explique que la plupart des gens se replie sur des stratégies individuelles accessibles. A ceci près qu'aujourd'hui ce n'est plus la météo, la récolte dans les champs qui inquiète les gens, mais la peur du chômage, de perdre son travail, de ne pas réussir dans la vie, de ne pas trouver l'amour, etc. 


Un autre phénomène important est celui de la mode du développement personnel, de l’entraînement pour réussir dans la vie (que ce soit au travail, dans sa vie amoureuse, etc.). Ce genre de stratégie apparaît comme une issue à ceux qui veulent prendre leur vie en main. Mais ce genre de stratégie ne peut pas fonctionner pour tous. Dans une société où la richesse est concentrée entre les mains d’une minorité, il est impossible que la majorité ait du succès (le succès est relatif, si tout le monde monte d’un cran, les différences entre riches et pauvres restent les mêmes). 


Individuellement, ce genre de stratégies peut fonctionner, mais collectivement, ça ne peut pas être un projet politique. Or précisément, plus la politique s’affaiblit, c’est à dire moins la perspective du « nous » est prise au sérieux, plus on voit fleurir et se développer les stratégies individuelles de réussite, de développement personnel, etc. La recherche de puissance individuelle (en grande partie illusoire) s’explique avant tout par l’impuissance politique terrible du plus grand nombre. 

La délinquance est une autre solution, mais étant donné les risques qui vont avec, seuls ceux qui n’ont rien à perdre (maison, famille, etc.) vont s’y risquer. 



Enfin les stratégies telles que la résignation renvoient à une certaine forme de sagesse, qui prône le rejet des biens matériels, des plaisirs, etc. Il est évident que même en supprimant certains plaisirs, même en arrêtant de courir après des biens matériels (course qui est souvent d’ailleurs elle-même la cause des souffrances), on ne supprime ni la nécessité, ni la maladie, etc. La plupart des sagesses de résignation enseignent la résistance face au sort et l’acceptation de ce qui arrive, qualités qui sont évidemment utiles dans la vie mais qui ne peuvent pas être un projet de vie. Renoncer à dominer la situation n’est pas la stratégie la plus efficace. Apprendre à supporter la faim est une chose, mais aller chercher à manger est la seule solution. 


Il n’est pas question ici de critiquer toutes ces stratégies individuelles pour inciter les gens à y renoncer. On ne peut pas faire reculer définitivement la religion, la drogue, la superstition et autres fléaux de la société moderne tant que les hommes n’auront pas le bonheur véritable. 



Marx écrivait à propos de la religion : 
 

« La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit. C'est l'opium du peuple. 

Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu'il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c'est exiger qu'il soit renoncé à une situation qui a besoin d'illusions. » 

Karl Marx, Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel, Introduction, 1843

Pour résoudre les problèmes, il faut donc non pas une stratégie passive, pour supporter le mal, mais une stratégie active, pour l’éradiquer. La solution aux problèmes de l’homme ne peuvent se poser que de cette façon : transformer la base de sa propre existence, ce qui implique l’action et le combat contre la source réelle du mal. 


Simplement, aucune stratégie individuelle de développement personnel ne peut réellement réussir, et on voit bien quel danger il y a aujourd’hui à voir beaucoup de gens s’imaginer qu’ils vont devenir heureux en se changeant leur propre vie sans tenir compte du fait que précisément, la plupart des choses qui font notre vie ne dépendent pas de notre volonté personnelle. 


Marx écrivait que : 
 

« Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. » 

Karl Marx, L’idéologie allemande, 1845

Et il écrit ailleurs : 
 

« Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience. » 

Karl Marx, Préface de la Critique de l’économie politique, 1859

Cela veut dire que si un homme est malheureux dans sa vie, s’il est pauvre, ce n’est pas entièrement sa faute. Est-ce que ce que Marx explique est une forme de déresponsabilisation de l’individu et de « c’est la faute à la société » ? En partie, oui. Il est complètement absurde de croire que tout ce qui nous arrive, en bien ou en mal, est de notre faute. Nous n’avons pas choisi où nous sommes nés, comment nous avons été éduqués, la langue que nous parlons, l'état de l'économie (chômage), etc. Nous sommes en effet constamment le produit des circonstances extérieures, de choses qui ne dépendent pas de nous. 


La théorie selon laquelle l’individu serait entièrement responsable de ce qui lui arrive est une théorie qui convient à ceux à qui la vit sourit. Il a été démontré par des études psychologiques que ceux qui recevaient des gratifications avaient tendance à l’attribuer à leur propre volonté et à voir l’individu comme responsable de son propre sort. 


Mais pour des millions de gens qui vivent dans la misère et la pauvreté, qui ont toutes les difficultés pour obtenir ce que les autres obtiennent sans effort, les phrases sur la responsabilité individuelle sonnent comme un mensonge hypocrite qui n’a aucun sens. 


Si Marx dit que notre vie détermine notre conscience, cela ne veut pas dire que notre conscience n’a jamais aucun impact sur notre vie. C’est juste que notre vie détermine bien plus ce que l’on pense, que l’inverse (l’influence de nos pensée sur notre vie). 


Or puisque la vie de l’individu est conditionnée par l’état de la société, ce qu’il faut changer, ce n’est donc pas sa propre mentalité, pour « s’en sortir » et « se bouger » comme si que se répéter des phrases toutes faites allait améliorer sa vie (ce que pensent sérieusement certains). Il faut être actif, mais agir de la bonne façon. Or agir de la bonne façon, c'est commencer par discerner ce qui dépend de notre volonté individuelle et ce qui n'en dépend pas. 


D’un point de vue rationnel et scientifique, la chose à faire, c’est changer les circonstances extérieures, changer la société qui est la source de la plupart des problèmes, et qui doit devenir au contraire une société qui favorise le bonheur de tous les hommes. Il ne s'agit donc pas de se laisser aller, mais de comprendre que pour changer sa propre vie, il faut changer d'abord ce qui la conditionne, c'est à dire la société. La vraie responsabilisation, c'est faire de la politique, la vraie politique, au sens noble du terme. 


Marx écrivait ainsi : 

« Dans l'activité révolutionnaire, la transformation de soi-même coïncide avec la transformation des circonstances extérieures. » 

Karl Marx, L’idéologie allemande, 1845

Et donc, pour améliorer sa propre vie, la seule solution, ce n’est pas la stratégie individuelle, mais la stratégie collective. Car la société ne peut être changée que collectivement. 


Cela pose donc la question de la politique. 


Là encore, le libéralisme et le culte de la responsabilité individuelle ne donnent aucune réponse. Un libéral honnête ne devrait pas faire de politique, puisque la politique consiste à s’occuper du « nous », et donc à imposer à d’autres individus un projet ce qui suppose une action collective. Par conséquent l’individualisme cohérent devrait être apolitique, le libéralisme est anti-politique et ne devrait même pas s’occuper de politique. Comment en effet affirmer qu’il ne faut rien imposer aux autres individus, alors que les libéraux essayent d’imposer leur individualisme aux autres ? Un libéral honnête devrait être un ermite, mais ce n’est pas le profil du libéral en général. 


Le mensonge du libéralisme s’explique parce que le pouvoir des riches, l’argent, est une force en apparence individuelle, mais en réalité sociale. Les riches ne sont rien sans les pauvres qui travaillent pour eux, personne ne réussit « par lui-même » par la force de sa propre volonté, comme si la puissance de l’argent était une force comme la force physique, alors que l’argent est un pouvoir sur d’autres hommes, et donc qui n’existe pas sans autres hommes. Sur une île déserte, l’argent du riche ne vaut rien. 


Le libéralisme est le contraire de la politique. Le communisme est la forme la plus honnête de la politique, car le communisme s’occupe du commun, donc de la chose publique (la république au sens étymologique), il fait passer la majorité des individus avant le sort d’une minorité d’individus. 


Donc le lien entre communisme et politique est inséparable, et la seule vraie politique, la seule politique honnête et véritable, c’est le communisme. 


N'importe quelle personne honnête est capable de reconnaître que la société actuelle ne marche pas, est néfaste à la vie des gens, est bien plus une source de malheurs qu'une source de bonheur. La solution ne peut pas être individuelle car le problème n'est pas individuel. 


Le problème est qu’il n’existe pas de puissance collective, mais au contraire une faiblesse collective. Ni les syndicats, ni les partis politiques actuels ne représentent une véritable force capable de s’opposer au système, de le renverser et d’en créer un nouveau. 


C’est précisément parce qu’il n’existe pas actuellement d’alternative politique (comme il a pu en exister par le passé), que les gens cherchent en vain des solutions individuelles, ou sombrent dans la drogue, la dépression, etc. Comme l’individu moyen n’est rien socialement ou presque, comme nous l’avait rappelé Macron, sa seule puissance potentielle passe par le collectif, par le pouvoir de l’organisation. 


Les organisations ouvrières étaient ce genre d’organisation qui permettaient aux ouvriers qui n’étaient individuellement « rien » face au capitaliste, de s’unir et de devenir une force, de pouvoir agir sur le monde réel. Les partis politiques, qui se réclamaient du communisme, pouvaient aussi être une force, s’appuyer sur la force des syndicats, et l’utiliser pour des buts plus importants que la lutte économique, c’est à dire la lutte politique et la révolution. Cela ne s’est produit que dans certains pays, je n’expliquerai pas ici pourquoi, il y a d’autres textes où j’en parle. Mais quoi qu’il en soi, toute force collective passe par l’organisation. 


Étant donné que le chômage augmente et que le travail à l’usine disparaît, d’autres formes d’organisation que les syndicats doivent apparaître. On ne peut pas prédire lesquelles, ni le rôle d’internet par exemple dans leur fonctionnement, mais il faut que ceux qui ne « sont rien » se réunissent s’ils veulent être quelque chose. 


Si la lutte économique ne peut plus aujourd'hui servir de base à une organisation, il y a toujours la possibilité déjà de faire un travail d'éducation, de se former intellectuellement, de lire, d'apprendre. Aucun changement ne peut se faire si les individus qui aspirent au changement ne commencent pas par les choses les plus simples telles que : se former intellectuellement, ouvrir les yeux des gens autour d'eux par tous les moyens, ne pas laisser les gens se laisser abattre par le désespoir, montrer la voie. Les gens qui aujourd'hui ont une véritable conscience politique communiste ne seront à la hauteur de leurs idées que s'ils agissent comme une véritable avant-garde. Cela suppose ne pas se décourager soi-même face à la bêtise et aux attaques de ceux qui attaquent continuellement toute tentative de débat. Au contraire, plus vous aurez de gens qui essayent de critiquer ce que vous faites, plus cela veut dire que vous faites quelque chose, et donc que vous êtes sur la bonne voie. L'état de conscience politique des gens en France est très bas et il ne pourra se relever qu'avec le concours de ceux qui sont les plus conscients et les plus déterminés. 
 


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