Face aux sondages, opposons le mépris !

par corrio
mercredi 1er octobre 2014

 Les sondages sont un fléau pour la démocratie. Et si on les combattait sérieusement !

Comme il fallait s'y attendre, la décapitation d'Hervé Gourdel nous a valu une avalanche de sondages, le manque de sérieux des questions posées le disputant à l'odieux. Le pire a été atteint par un sondage du Figaro posant la question suivante : "Estimez-vous suffisante la condamnation des musulmans de France ?". Une fois de plus, mettre en doute la pertinence des sondages devient pour tout citoyen une mesure de salubrité publique. Et si on passait par les mathématiques pour le faire ?


Les études internationales montrent année après année que, concernant les mathématiques, le niveau moyen des élèves français n'est pas très brillant et qu'il ne va pas en s'améliorant. Dommage, car un minimum d'esprit mathématique permettrait à l'ensemble de nos concitoyens, y compris une grande partie des journalistes, d'avoir le recul nécessaire face au déluge de sondages dont ils sont abreuvés. En effet, par définition, un sondage fait appel à un domaine mathématique ayant pour nom la statistique et il vise à évaluer une ou plusieurs caractéristiques d'une population en ne mesurant ces caractéristiques que sur une partie de cette population. Il y a longtemps que l'industrie a découvert les mérites des statistiques et, en particulier, ceux des estimations par sondage : pouvoir obtenir une idée précise des propriétés d'un grand nombre d'objets manufacturés en série en se contentant d'observer en détail un nombre très limité d'entre eux, c'est tout bénéfice ! Bien sûr, l'ingénieur sérieux a de bonnes notions de mathématiques et il s'entoure d'un certain nombre de précautions. Il insiste en particulier sur la représentativité de l'échantillon réduit par rapport à l'ensemble. Il tient compte également de la difficulté qu'il y a à obtenir une estimation valable lorsque le prélèvement des échantillons risque de perturber le phénomène qu'il souhaite étudier. Pour finir, il donne un résultat qui tient compte de ce que les lois mathématiques permettent d'affirmer lorsqu'on se contente de l'observation d'un échantillon réduit pour déduire les propriétés de toute une population. Ayant par exemple observé une moyenne de 41 % de boules vertes dans un échantillon représentatif d'une population de boules vertes et de boules rouges et connaissant le nombre total de boules et le nombre de boules observées, il n'affirmera pas qu'il y a 41 % de boules vertes dans l'ensemble des boules mais il donnera ce résultat sous la forme suivante, donnée à titre d'exemple : il y a 95 chances sur 100 pour qu'il y ait entre 39 et 43 % de boules vertes dans l'ensemble des boules.

Comme l'industrie, la médecine et la sociologie sont à juste titre très friands d'estimations par sondage. Mais jusqu'où peut-on aller dans ces domaines ? Est-il possible, en particulier, de faire comme si le comportement humain était comparable à une population de boules ? Bien évidemment, non ! Voici pourquoi. On a vu plus haut que l'ingénieur sérieux se méfie lorsque le prélèvement des échantillons risque de perturber le phénomène à étudier. On peut donc considérer que les sondages politiques resteraient dans les limites du sérieux si les résultats ne sortaient pas d'un petit cercle de clients avertis. A partir du moment où ils sont renvoyés comme un miroir vers l'ensemble de la population, il est évident qu'ils perturbent le phénomène étudié, de nombreuses personnes se déterminant en fonction des résultats des sondages précédents, certaines personnes pour renforcer ces résultats, d'autres, au contraire, pour les contredire à tout prix . On s'écarte donc une première fois d'une démarche sérieuse. Mais il y a pire, bien pire ! En effet, il y a une exigence que les manuels de statistique n'évoquent même pas, tellement elle est évidente : les échantillons ne doivent pas mentir. Lorsque l'ingénieur observe l'échantillon réduit de boules vertes et de boules rouges, les boules vertes sont vertes, les boules rouges sont rouges, c'est incontestable. Dès lors qu'on interroge des êtres humains, la prudence s'impose. Certes, quand un institut de sondage cherche à savoir si la population française préfère les lessives liquides ou les lessives en poudre, on peut croire que les personnes sondées, si elles ont bien compris la question, ne vont pas chercher à cacher leur véritable préférence. Peut-on avoir la même confiance lorsque les domaines abordés sont l'argent, les pratiques sexuelles ou les choix politiques ? Je vous laisse juge !

Concernant les sondages politiques, la meilleure preuve de leur côté "pipeau" est apportée par les instituts de sondage eux-mêmes. En effet, lorsqu'ils se trompent lourdement, ils cherchent à se justifier en mettant en cause le facteur de correction qu'ils utilisent pour donner leur résultat à partir des données brutes. L'exemple d'erreur le plus connu, c'est celui concernant le premier tour de l'élection présidentielle de 2002 : avant le premier tour, Le Pen ne dépasse 14.5 % dans aucun sondage, Jospin n'est jamais en dessous de 17 %. Résultat le 21 avril : 16.18 % pour Jospin, 16.86 % pour Le Pen ! C'est là qu'on aura la confirmation par les instituts de sondage eux-mêmes que ces erreurs sont dues au fait que de nombreux sondés ne sont pas honnêtes dans leurs réponses (en particulier les électeurs d'extrême-droite qui avaient, à l'époque, une réticence certaine à avouer leur préférence), que les instituts de sondage le savent, que chaque institut a son facteur de correction permettant d'obtenir le résultat qu'ils vont donner à partir des résultats bruts et que, ces facteurs de correction étant totalement pifométriques, ces résultats se retrouvent très souvent démentis le jour du vote. En avril 2002, les instituts de sondage ont donc pratiquement avoué que s'ils réalisaient une enquête dans laquelle ils interrogeraient non pas 1000 futurs électeurs mais tous les électeurs de l'hexagone, le matin même d'une élection, ils ne seraient toujours pas capables de donner une estimation fiable du résultat réel !

Un minimum d'esprit mathématique permet donc de comprendre que les sondages politiques sont des gadgets sans aucune valeur scientifique. En plus, ils sont nuisibles car ils influencent le choix en principe démocratique des électeurs. Faut-il pour autant les interdire ? Sans doute pas : ils continueraient sous le manteau et des sondages pirates donneraient naissance à des rumeurs. Non, la seule option intelligente consiste à leur opposer le mépris. Les mépriser lorsqu'on se trouve en position de sondé, en prenant bien soin de répondre n'importe quoi. Les mépriser en n'accordant aucune valeur aux résultats lorsqu'ils sont publiés, en faisant comme s'ils n'existaient pas. Et attendre tranquillement que cette accumulation de mépris aboutisse à l'extinction naturelle du fléau.


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