Faire renaître l’Europe sociale

par Quelqu’un
mercredi 29 mars 2017

Que ce soit sur le plan national ou européen, nous assistons à une montée des gauches de toutes sortes sans réelle coordination mais possédant un même fond idéologique. Plus de redistribution, moins de productivisme, et plus d'écologie. En ces heures mondialisées, il semble urgent de trouver entre nous tous des points de convergence pour définir une gauche plus unie à l'international. Pour réprésenter une alternative crédible car influente.

C’est dur d’être né en 1991 pour un gauchiste. Ce mot est aujourd’hui une insulte possédant ses synonymes : coco qui se traduit par idiot du village, ou gauchiasse quand on vous prend pour un mondialiste ennemi du peuple. Lorsque l’on sait que la rhétorique d’extrême-droite est devenue dominante sur internet, on se dit que c’est quand même pas facile à vivre. Parce que, au-delà du passé et de ses souffrances, le gauchiste reste celui qui croit à la bonté de l’homme. C’est celui qui met la confiance au dessus de la méfiance et c’est donc celui qui souffre lorsqu’on lui prête à lui même de basses intentions.

Olivier Besancenot avait déjà fustigé la droitisation des débats en 2007, lorsqu’il était étouffé par Sarkozy le cowboy assumé ou les drapeaux au balcon de Ségolène Royal. Légitime. Il avait mis le doigt sur ce problème qui rampe depuis mon année de naissance. La mort de l’URSS aura emporté le socialisme réel avec elle en même temps que l’extrême droite se débarrassait de son costume fasciste. Le résultat de ces mouvements d’opinions se traduit aujourd’hui dans les sondages. L’alternative se jouerait entre une utopie mortifère et le patriotisme assumé d’un parti souverainiste. Présenté comme ça vous choisissez quoi ?

Mais d’ailleurs l’alternative à quoi ? Aux vainqueurs de 91. Non pas le capitalisme mais le libéralisme. Tellement hégémonique qu’il a déjà survécu neuf ans à la crise économique. Tellement hégémonique que même la gauche sociale ne renie plus son corollaire qu’est le marché. Tellement hégémonique que le vieux protectionnisme auquel le FN s’est converti passe pour un adversaire radicalisé. Nous aurions perdu la bataille des idées. Rien n’est plus faux. Car c’est bien dans ce contexte que les théories de la décroissance, de la fin programmée du salariat, de la planification écologique, de la mondialisation inégalitaire, se sont épanouies. Le tout au sein d’une famille devenue minoritaire en demande de renouvellement.

Cette transformation de la gauche sociale qui intègre le respect de la planète autant que celui des hommes a fini par concerner l’ensemble des partis opposés au capitalisme productiviste proposé par la droite. Toute la droite, de Macron à Le Pen. Et les faits lui donnent raison, des chiffres du chômage au réchauffement climatique en passant par l’épuisement des ressources et l’explosion de la part du capital dans la redistribution. Quel meilleur allié que la réalité ?

Les constats sont partagés et c’est là que le bât blesse. Car les alliances semblent impossibles en France. La raison n’est pas à chercher uniquement en 91 mais aussi dans la pratique du pouvoir sous la Vème République, système fondé sur un chef suprême conduit par l’image qu’il renvoie. L’échec de Hollande le mollasson face à la légende du militaire abrupt mais fidèle qu’aurait été le général. Couplée aux exigences médiatique privilégiant l’annonce, le « buzz » sur les idées car la nature même de la télévision cherche à faire du court plutôt que du long, nous nous sommes retrouvés coincés dans une éternelle bagarre entre quelques pauvres types convoitant un fauteuil confortable. Cette personnification totale du pouvoir nous a mené à Mr Macron, apolitique car soumis à l’idéologie dominante et dont la nouveauté ne vient que d’un jeune âge masquant sa condition d’ancien énarque qui a fait fortune dans le privé, en prime soutenu par l’audiovisuel. Rien de le différencie des autres présidentiables français en vogue depuis trente ans.

Je pourrais continuer encore longtemps sur les exemples. On voit bien que Mr Fillon espère gagner en comptant sur un effet Trump, en prenant une posture de résistant face à de prétendus juges rouges. Ceux là même qui condamnent les salariés d’Air France victimes d’une violence sociale ordinaire banalisée suite au triomphe libéral. Ou encore de Mme Le Pen et de sa ligne nouvelle qui décrit parfaitement le capitalisme d’une époque qui envoyait ses ouvriers mourir au travail ou dans les tranchées. Mais à quoi bon ? Nous savons déjà tout ça à gauche, notre seul besoin est de clarifier cette ligne et de se mettre d’accord dessus. Nous allons donc devoir passer outre le grand média et compter sur la lutte à plus petite échelle. L’écrit plutôt qu l’image pour privilégier le fond.

Et fort heureusment, nous vivons un siècle plein d’innovations technnologiques. L’expansion d’internet est à double tranchant. D’un côté la pensée courte et incisive du réseau social qui a favorisé le FN et de l’autre les plate formes comme celles sur lesquelles je publie ce message permettant à n’importe qui de donner son avis. Voilà donc l’exemple typique du mouvement spontané de masse dont il nous faut profiter. Contourner ce qui a été établi comme lors des premiers temps de l’imprimerie. Cette nouvelle façon de penser influe déjà bien plus profondément qu’on ne l’imagine habituellement. Le tout dans un esprit d’interconnexion et de vitesse instantanée de l’information.

Regardons ce qu’il s’est passé en Espagne par exemple. Un pays qui voit l’écosocialisme et la révolution citoyenne prendre le pas sur la peur de l’étranger. Le congrès organisé par Podemos en février a débouché sur une ligne, sur une stratégie, sur la continuation d’un mouvement politique plutôt que la constitution parti. Et surtout sur une rupture, il a fermement été décidé de couper le cordon avec la politique dite traditionnelle. Électoraliste. En confortant Pablo Iglesias dans son rejet des vieux partis. Le meilleur moyen d’entamer une révolution serait d’agir sur le quotidien plutôt que sur les institutions, c’est un pied de nez à la sociale démocratie devenue libérale et la clef de notre succès. Car elle court-circuite l’obligation médiatique et le combat de coqs que nécessite aujourd’hui la conquête du pouvoir en France. C’est ici que la candidature de Jean Luc Mélenchon pour la France Insoumise prend tout son sens. Rabâcher la programme et le mouvement au détriment de l’individu qui le représente, et ce malgré un système médiatique qui nous impose l’inverse à chaque passage.

L’ensemble du mouvement Podemos aura accepté le résultat de la réunion. Ce qui laisse à penser que tout est possible un peu partout, en rapport avec les constats que nous partageons depuis l’aile gauche du PS jusqu’au NPA. Inutile d’être trop optimistes car cela ne se fera pas avant les échéances d’avril-mai-juin. Il s’agit avant tout de survivre à la reconstitution politique qui risque de s’opérer autour du centre productiviste et libéral d’ici peu. L’union des gauches écologiques et sociales est nécessaire en France de par la situation en Europe, il faut donner un répondant à la situation en Espagne. Là dessus nous pouvons être confiants, les désirs de VIème République font écho à la stratégie des espagnols. L’union en France peut donc s’ajouter à l’union sur la péninsule et poser, peut-être, les bases d’une nouvelle internationale.

Étendre nos forces sur plus de pays est un impératif absolu. Les nations européennes n’ont plus la puissance nécessaire pour bouleverser le monde seules. Il faudrait avoir une base solide sur au moins trois grandes nations européennes. Qui après la France et l’Espagne ? C’est une grande question et il faudra être suffisamment organisés pour étendre la lutte à travers tous les pays d’Europe, car c’est bien de l’Europe que l’on parle. Le socialisme dans un seul pays a déjà échoué par le passé et je ne vois pas raisons valables pour que les choses changent à l’avenir. C’est donc bien l’Europe sociale qui est en ligne de mire.

C’est donc à la fois la nécessité de trouver des lignes nationales pour combattre efficacement dans les années à venir et une ligne continentale pour se donner un horizon qui nous oblige à une grande réunion fondatrice, analogue à celles du début de siècle. Mais avec évidemment des différences évidentes. La lutte aujourd’hui est essentiellement numérique et il semble impossible d’exercer un contrôle sur les esprits pour une autorité centrale. Tant mieux. Il nous faut une ligne idéologique générale flexible axée sur l’écologie et le partage et laisser les militants et sympathisants imaginer leurs solutions derrière. Le but reste d’être assez nombreux pour concurrencer l’extrême-droite sur internet pour la vaincre sur son terrain. L’internationale écosocialiste pourrait se doter d’un site résumant l’idéologie principale et des outils de formation à tout militant voulant convaincre. Une force de débat combative basée sur le volontariat.

C’est là tout l’esprit de la constituante de la France Insoumise ou des applications concrètes dans les mairies conquises par les gauches espagnoles. Mettre les citoyens au travail politique, laisser la place à notre imagination pour imaginer notre monde de demain. Le site de la campagne laisse les internautes écrire leurs propositions pour une Vième République, tout cela finira bien sûr par être soumis au vote, mais c’est une preuve de la volonté d’horizontalité que nous représentons. C’est notre force. A l’époque d’internet, tout le monde est remis sur un pied d’égalité au niveau intellectuel. En étant les premiers à faire confiance au citoyen pour bâtir quelque chose de sérieux nous avons pris de l’avance, il ne tient qu’à nous de concrétiser cet avantage.

Par cette voie, nous nous attaquons à l’essentiel. Cette campagne polluée par les affaires, par les alliances, est en train de déconnecter encore un peu plus la citoyenneté et la politique. Notre vrai radicalisme est d’affirmer que le politique ne peut être que citoyen, car l’enjeu principal reste le respect des aspirations des gens. Le besoin d’égalité, le besoin de respirer tranquillement, d’être libre d’avoir un avis sans recevoir brimades et arguments d’autorité de la part d’individus qui ont provoqué la crise dans laquelle nous sommes plongés. L’objet de notre lutte concerne le citoyen dans tout ce qu’il a de beau. Il va au-delà d’un prolétariat réduit par le consumérisme.

C’est donc le travail de cette internationale citoyenne. Dire aux gens que oui, ils comptent, et leur faire comprendre qu’il y a une voie pour que cela se concrétise. Occupy et les indignés disaient que nous étions les 99 % et ils avaient raison. Nous sommes les 99 %, nous sommes le peuple et vous, vous êtes dépassés. Redonner foi aux individus en l’avenir et en leur pouvoir d’action nous préparera contre ce que la majorité ne supporte plus. Le productivisme fou qui empêche de vivre les hommes et la planète de vivre sainement. C’est bien cela qui nous concerne. C’est bien cela qui finira par être l’objet d’une lutte totale. Et il convient de la préparer dès aujourd’hui.


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