Faudra-t-il payer les poubelles au poids ?

par Bruno de Larivière
jeudi 1er avril 2010

Au nom d’une vertu écologique à discuter, la mairie de Besançon va révolutionner l’univers des ordures ménagères. A partir de janvier 2012, les habitants de la communauté urbaine paieront en fonction de ce qu’ils jetteront. L’effet d’annonce ne doit pas balayer toute discussion sur le bien fondé de cette décision. Car l’exemple pourrait s’étendre à d’autres agglomérations françaises !

Une chaîne de restaurants thématiques ouvre début avril une nouvelle enseigne dans la zone industrielle de Châteaufarine. A quatre kilomètres du centre de Besançon coincé dans un méandre du Doubs (photo), les clients – automobilistes viendront manger des frites surgelées avec des moules baignant dans la sauce industrielle. La chaîne possède déjà trente restaurants en France qui écoulent chaque jour six tonnes de ce mollusque, dont une bonne partie de coquilles vides [source]. Pour goûter un morceau de vieux comté accompagné d’un verre d’Arbois, il faudra chercher une table gastronomique dans un restaurant sans parking. C’est beaucoup plus cher et bien moins pratique. 

Les gourmets amoureux de vieilles pierres n’y mettront pas les pieds, mais ils viennent peut-être d’ores et déjà faire leurs courses dans la ZI de Châteaufarine. Celle-ci porte le nom des fermes qui appartenaient autrefois à un boulanger. Deux-cent cinquante logements individuels ont été construits à proximité. Dans les années 1980, les magasins ont poussé comme des champignons. Mammouth a ouvert ses portes, depuis remplacé par une autre enseigne généraliste. Soixante-dix magasins spécialisés dans l’alimentaire, dans les articles sportifs ou dans d’autres segments l’entourent, dont vingt ont été ouverts en 2009. Châteaufarine est aujourd’hui la plus grosse zone commerciale de la région [source].

La mairie de Besançon éclipse en cette fin du mois de mars l’ouverture du moules-frites, en annonçant son intention d’instaurer une nouvelle politique des déchets dans l’agglomération. Au lieu d’un ramassage classique, les Bisontins et leurs voisins des communes limitrophes (180.000 habitants de la Communauté d’Agglomération du Grand Besançon) passeront à un système de poubelle payante le 1er janvier 2012. A Besançon plus on jette, plus on paie. Le maire affiche ses bonnes intentions. « L’objectif de la redevance incitative embarquée est de favoriser la réduction des déchets et leur recyclage. »

Jean-Louis Fousseret, maire et président de la CAGB, porte une responsabilité partagée dans l’augmentation des impôts locaux : + 6,3 % entre 2008 et 2009. C’est mieux que le département (+ 10 %), mais moins bien que la région (+ 3 %). Cela étant, sur un total un peu supérieur à 1.500 euros d’impôts locaux par bénéficiaire, la part de la commune représente les deux tiers… [source] Jean-Louis Fousseret veut faire des économies – au moins le croit-il – même s’il tient un discours environnementaliste et volontariste (« l’évolution des mentalités  »). Les habitants de l’agglomération connaîtront une tarification pour leur taxe déchets ménagers, moitié fixe, moitié variable. Cette dernière dépendra surtout du poids du bac (40 %). Comme on va le voir, nul ne sait quels effets produira ce système de tarification pour l’heure sans équivalent.

Le président de l’agglomération a cependant une garantie imparable. Puisqu’il inscrit la gestion de la CABG dans le cadre des objectifs du Grenelle de l’environnement tant vanté ces derniers temps, Jean-Louis Fousseret a obtenu des subventions de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie / plan action déchets pour la période 2009-2012). Ainsi, la charge financière du ramassage diminuera pour la communauté urbaine. Au pire, si le volume de déchets reste stable ou même progresse, les habitants en supporteront les conséquences financières. Ceux qui résident dans des logements individuels pourront plus facilement s’adapter que les autres. « La CAGB espère faire diminuer les ordures ménagères résiduelles de 35 % en habitat pavillonnaire et de 12 % en habitat collectif, à l’horizon 2014.  » Jusqu’à présent, chaque Français paie la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) en même temps que la taxe foncière, quel que soit son volume d’ordures. Le TPG reverse ensuite aux communes concernées. Dans ce système de prix forfaitaire, le client ne reçoit aucune incitation à la mesure, en dehors de la part de déchets sélectionnés par ses soins : bouteilles, papiers et cartons, et autres déchets recyclables. Dans ces conditions, rien ne vient en théorie limiter l’émission. Les tonnages de déchets augmentent sans cesse [Le Monde].

Dans les communes équipées, les containers incitent néanmoins les foyers à se contraindre en terme de volumes émis. Personne en France ne pèse néanmoins ses poubelles. Il existe pourtant une régulation naturelle, parce que l’on ne remplit pas son bac par plaisir. A partir du 1er janvier 2012, les habitants de la CAGB testeront une autre formule. Celle-ci permettra-t-elle aux communes de réaliser des économies ? On peut légitimement en douter. Pour que le service fonctionne, il faudra créer un service ad hoc et distribuer des bacs équipés de puces électroniques. Des fonctionnaires mettront à jour des fichiers en fonction des rejets de chaque usager. Celui-ci paiera alors la facture dûment calculée. Le coût de la nouveauté est fixe, l’économie aléatoire. L’Ademe assure du caractère vertueux du système. Les Bisontins devraient à terme moins rejeter de poubelles.

A juste titre, Audrey Fournier s’interroge sur les inconvénients prévisibles de la poubelle au poids. Les décharges sauvages me semblent toutefois constituer un risque périphérique, à tous les sens du terme. Quels citadins entreposeront-ils leurs déchets en vue d’une escapade discrète dans la campagne avoisinante, tout cela pour ne pas régler la moitié de la taxe ménagère ? On peut admettre l’existence de feux d’ordure pour quelqu’un n’ayant aucun voisin immédiat. Pour les autres, ce risque est d’autant plus faible qu’une colonne de fumée pestilentielle se repère à des kilomètres à la ronde.

Bien plus, ce nouveau système accentuera une injustice. Ceux qui habitent en maison, à Châteaufarine par exemple pourront utiliser un coin de leur jardin pour transformer les déchets périssables en compost, ou pour remiser des poubelles pour le tri. Dans les immeubles collectifs, les habitants n’auront pas cette chance. On peut se demander si l’incitation à jeter moins sera efficace si chacun dépend des habitudes de la copropriété. X fera-t-il attention si Y jette à tire-larigot ? Or l’étalement urbain oblige les municipalités à prévoir des tournées conséquentes, c’est-à-dire à engager des éboueurs et à acheter des camions. Ceux qui vivent dans la ville dense favorisent des économies d’échelle. Mais tout le monde paie au même prix.

La journaliste conclut sur la facture. « La mise en place de cette redevance risque de se traduire par une hausse du prix à payer, car la plupart des agglomérations ayant expérimenté ce dispositif ont instauré un ‘prix plancher’, qui pourrait se révéler supérieur à ce que certains ménages paient actuellement en TEOM.  ». Querelle bisontine en perspective…

PS./ Dernier papier sur la périurbanisation : La spéculation a bon dos.

Incrustation. Boucle du Doubs…


Lire l'article complet, et les commentaires