Faut-il craindre un second tour Éric Zemmour vs Marine Le Pen ?

par Sylvain Rakotoarison
mardi 30 novembre 2021

« Le doute est un état mental désagréable, mais la certitude est ridicule. » (Voltaire).



On vit une époque formidable. Peut-être arrive-t-on à la fin de la précampagne présidentielle et que dans quelques jours, on va vraiment s’attaquer aux choses sérieuses : lundi 29 novembre, fondation de Ensemble Citoyens, la maison commune de la majorité, le week-end suivant, congrès de LR et désignation de son candidat et auparavant, entre les deux, la probable déclaration de candidature du polémiste Éric Zemmour.

Samedi 27 novembre 2021, Éric Zemmour s’est retrouvé dans un trou d’air. Répondre, à Marseille, par un doigt d’honneur à une militante qui lui a fait la même chose, c’est donner une image déplorable du débat public, une sorte de cour de récréation où les gestes infantiles et immatures l’emportent sur les arguments. Une France de racailles, c’était donc ça que voudrait nous imposer Éric Zemmour ? Tout s’éclaire.

Il faut donc envisager une baisse dans les sondages, mais qui sera peut-être compensée par une hausse lors de sa déclaration de candidature (à moins qu’il ne renonce finalement), mais la désignation du candidat LR pourrait aussi l’affecter. Donc, il faut rester bien sûr prudent dans les analyses qui se basent sur les sondages actuels, il y aura probablement encore de grandes évolutions avant la fin de la course.

Éric Zemmour est certes un peu en perte de vitesse dans les sondages d’intentions de vote et Marine Le Pen, sa rivale d’extrême droite, a repris le dessus sur lui, j’ai vu un sondage qui leur donnait respectivement 14% et 19% (avec Emmanuel Macron à 25% et Xavier Bertrand à 13%), et cela peut évoluer. Il faut quand même remarquer que ce n’est pas non plus l’effondrement, c’est plutôt un tassement pour celui qui est parti de 4%-5% et qui a atteint jusqu’à 18% d’intentions de voix en seulement un mois et demi. Il y a une sorte de surenchère médiatique (elle y est encore), et des potentiels électeurs qui, ne le connaissant pas vraiment, ont trouvé sympathique ce vent neuf pourraient se retourner en connaissant un peu mieux le genre d’idées que véhicule le polémiste. Le pire reste cependant le décalage entre le discours qui se voudrait intellectuel, en fait faussement intellectuel, toutes ses références historiques sont des affirmations tronquées ou des interprétations de mauvaise foi, et les actes, et le dernier en date, ce doigt d’honneur, qui est l’objet irrésistible d’un jeu de mot du numéro de "Libération" du 29 novembre 2021 ("doigt dans ses bottes"), ne participe pas à la cohérence du candidat potentiel.



Néanmoins, malgré toutes les provocations pendant ces deux derniers mois, Éric Zemmour a quand même tenu le choc dans les sondages et les deux candidats d’extrême droite se sont retrouvés durablement en deuxième et troisième places, cumulant à eux deux autour de 33% des intentions de vote (c’est monté jusqu’à 36%), ce qui est énorme et personne des autres camps ne peuvent pavoiser, notamment pas le candidat LR qui, quel qu’il soit, n’a jamais pu se retrouver plus haut qu’à la quatrième place.

Alors, que se passerait si Emmanuel Macron s’effondrait ? Certes, sa cote de popularité est très bonne, autour de 51% (c’est incroyable pour un Président français en fin de mandat, mais il y a des raisons à cela). L’inconvénient d’être au pouvoir, c’est qu’il faut l’exercer, et le calendrier est aujourd’hui rarement maîtrisé avec les multiples crises, cette trentaine de réfugiés qui périssent dans la Manche, ou encore, ce nouveau variant omicron qui inquiète tout le monde (ou presque). Bref, cette popularité est très fragile et s’il fallait par exemple reconfiner pendant la période de Noël, le Président de la République verrait ses chances se réduire pour sa réélection (j’espère en revanche que ses décisions, quand il s’agit de la vie des personnes, ne seront pas prises sous ce prisme).

Certains rejettent alors l’idée, si Emmanuel Macron n’atteignait pas le second tour, qu’il serait absolument impossible que les deux candidats d’extrême droite se retrouvent présents au second tour. C’est vrai que cette probabilité est faible car on pourrait penser que les potentiels électeurs d’Emmanuel Macron, qui s’écarteraient de lui, iraient sur le candidat LR et que ce dernier (ou cette dernière) se retrouverait finalement au second tour face à un candidat d’extrême droite.


C’est sans doute une forte probabilité, mais rien n’est sûr et je n’exclurais pas a priori un cauchemar pour de nombreuses personnes (a priori, pour 65 à 70% de l’électorat si l’on en croit les sondages), un second tour entre Marine Le Pen et Éric Zemmour.

Pourquoi ? Parce que, d’une part, les électeurs potentiels qui se sont détournés de LR ne reviendraient pas nécessairement vers le candidat LR parce que la raison en est politique, trouvant trop droitiers les discours de tous les candidats LR, car tous pêchent dans les mêmes eaux. Réussir à récupérer cet électorat modéré sera d’autant plus difficile pour le candidat LR désigné prochainement qu’il ne faut pas décevoir l’électorat droitier. En somme, mission impossible.

Parce que, d’autre part, en cas de chute dans les sondages, Emmanuel Macron n’aurait pas forcément déçu l’électorat du centre droit, mais plutôt du centre gauche qui est encore très présent (sinon, la gauche n’aurait pas perdu autant d’audience).

Dans cette hypothèse (un effondrement d’Emmanuel Macron aurait une cause, et celle-ci serait politiquement déterminée, favorisant la gauche ou la droite, je parle donc de l’hypothèse de décevoir son aile gauche), ses électeurs potentiels de centre gauche n’iraient donc évidemment pas vers LR mais plutôt vers un candidat dit de gauche, probablement Yannick Jadot ou Anne Hidalgo. Or, le report de voix vers ces candidats ne devrait pas bouleverser la situation pour le second tour et même si c’est une éventualité à faible probabilité, un second tour Le Pen vs Zemmour reste donc possible. Heureusement, cette probabilité a baissé d’un cran depuis ce 27 novembre 2021 mais les soubresauts d’une campagne seront encore nombreux dans un sens ou le sens contraire.

En tout cas, après une période d’hésitation, la campagne de Marine Le Pen a repris un bon rythme et l’existence du polémiste lui offre même le luxe de se montrer et modérée (pas aussi provoquante que lui) et féministe (alors qu’elle n’a jamais porté cette tendance). Ce qui est très fort et en fait son "idiot utile".

Ce qui paraît impossible est toujours possible : le choix des électeurs n’est d’une part jamais fixé avant la date donnée, et reste d’autre part tributaire de raisons très diverses et variées qu’on ne peut expliquer vraiment qu’a posteriori, comme si c’était une rétroévidence (mais personne ne parle de cette évidence avant le scrutin, bien sûr, car il y a une part de mystère dans l’esprit de près de 50 millions d’électeurs).

Parmi les précédents, il y a eu l’élection présidentielle de 1995 qui s’est focalisée sur la rivalité entre Édouard Balladur et Jacques Chirac, rivalité qui allait se projeter, selon certains sondages, jusqu’au second tour (en négligeant de voir que Lionel Jospin faisait lui aussi campagne malgré l’effondrement du PS en 1993). Un second tour Balladur vs Chirac aurait été politiquement assez décevant mais électoralement possible.

Et puis, il y a eu aussi 1969, et l’élection présidentielle de 1969 a été caractérisée surtout par l’effondrement de la gauche qui a mal réagi à mai 68. Résultat, si le candidat communiste Jacques Duclos a fait une excellente campagne et un excellent score, ce n’a pas été suffisant pour retrouver au second tour un candidat de gauche et le clivage a eu lieu entre un candidat gaulliste Georges Pompidou et un candidat de centre droit Alain Poher. Ce second tour ne fut donc pas un "choc des civilisations".

Dans l’état de notre société hystérisée par les problèmes identitaires, son manque de confiance en ses forces, son manque de confiance en sa capacité à construire l’avenir, rien n’interdirait que les deux candidats de la haine de la France actuelle puissent se retrouver en tête du premier tour et en tête-à-tête du second tour.

C’est aussi pourquoi il ne faut pas souhaiter un effondrement d’Emmanuel Macron, car il est le seul capable de faire barrage à l’extrême droite. Les candidats LR disent tous qu’ils veulent être le candidat anti-Macron, pas le candidat anti-extrême droite, et de toute façon, quand on est classé en quatrième position, du moins, très éloigné de la deuxième position, on est candidat anti-rien, on est candidat perdant. Alors, méfiez-vous de ceux qui disent que le pire n’est pas possible…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 novembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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Marine Le Pen et l’effet majoritaire.
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