Fillon ou le tour d’écrou : la démission en attendant l’inéluctable élimination ?
par Renaud Bouchard
lundi 27 février 2017
Tous les matins du monde sont sans retour
P. Quignard
Où suis-je dans cette histoire ?
E. Kusturica
On sait depuis longtemps que le réel et le possible ont du mal à s'ajuster, particulièrement en matière politique où la mouvance des événements et l'irruption de l'inattendu font que les meilleurs plans peuvent être anéantis, les communications brouillées, les propos soudainement devenus inaudibles et les comportements perçus comme incompréhensibles.
Le texte de ce billet trouve sa confirmation dans la publication ce dimanche 26 février 2017 à 17h57 par le quotidien Le Figaro d'un sondage Kantar Sofres OnePoint pour RTL, Le Figaro et LCI, qui conclut à l'élimination de F. Fillon au premier tour de l'élection présidentielle même si son socle électoral semble encore résister.
Les sondages sont ce qu'ils sont, certes, mais on ne saurait méconnaître le fait que les époux Fillon connaissent une situation chaque jour plus délicate depuis que l'actualité s'est opportunément jetée voici un mois sur les présumés emplois fictifs de Penelope Fillon comme assistante parlementaire de son mari et du suppléant de ce dernier, Marc Joulaud.
La nasse dans laquelle F. Fillon est tombé est désormais devenue une véritable souricière, à l'image de ce pénible endroit des sous-sols du Palais de Justice de Paris où, une fois entré dans ce lieu, le pèlerin n'a plus d'autre voie de sortie que la délicate perspective d'une comparution devant le procureur de la République ou le juge d'instruction.
Voilà en effet que le Parquet National Financier (PNF) vient d'annoncer avec l'ouverture d'une information judiciaire la désignation de trois (!) juges d'instruction chargés d'enquêter sur les soupçons d'emplois fictifs visant la famille de François Fillon à propos de faits désormais qualifiés de « détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, complicité et recel de ces délits, trafic d'influence et manquements aux obligations de déclaration à la Haute Autorité sur la transparence de la vie publique ».
Rien que pour cela, partout ailleurs - j'évoque ici une démocratie normale et non ce qui s'apparente de plus en plus à cette république bananière qu'est devenue la France -, n'importe lequel des candidats à la magistrature suprême serait dans pareilles circonstances de facto écarté.Tel n'est pas le cas en France où, malgré une photographie vous montrant la main prise dans le sac, il vous est possible de déclarer encore sans pour autant être démenti que : "non, décidément, vous aurez mal vu : ce n'est pas une main et encore moins un sac".
Quid de la présomption d'innocence ? dira-t-on justement. J'y suis particulièrement attaché mais ne puis m'empêcher de répliquer par une autre question : "Quid du secret de l'instruction ?", lequel ne semble être désormais devenu en France qu'une vue de l'esprit depuis que ceux-là mêmes auxquels il incombe de le respecter et de le faire respecter n'ont eu de cesse, à l'occasion d'affaires spectaculaires soigneusement choisies et opportunément déterrées, de jeter des morceaux de viande aux hyènes qui parcourent la savane politique, cherchant qui dévorer. Le résultat attendu est bien là.
A tout seigneur tout honneur, donc, et ce ne sont pas les déclarations apaisantes des conseils de M. Fillon - lesquels ont annoncé dans un communiqué ne pas douter que l'innocence de leur client « sera enfin reconnue » par « des juges indépendants » - qui seront de nature à colorier en rose une situation de plus en plus critique à deux mois de l'élection présidentielle.
L'espoir fait donc vivre, comme chacun sait, au même titre qu'existent aussi les miracles, mais il semblerait qu'en l'espèce rien de bien encourageant ne soit à attendre d'un firmament ou d'un cosmos restés désespérément muets dans la mesure où les magistrats désignés ont désormais toute latitude pour convoquer à tout moment l'encore candidat à l'Élysée en vue de décider de son éventuelle mise en examen ou de son placement sous le statut intermédiaire de témoin assisté.
Le poisson est donc bien ferré et il n'est pas exclu au point où l'on en est que les jours à venir viennent encore donner un prochain tour d'écrou et conforter de sombres présages.
I- Les raisons d'une décision
Le parquet national financier a justifié l'ouverture d'une information judiciaire par la promulgation prochaine d'une loi qui aurait pu, en théorie, empêcher les juges de se pencher sur une partie des faits objets de l'enquête en cours.
Le communiqué publié par le parquet national financier est très clair, qui énonce : "Le parquet national financier a décidé d'ouvrir, dès ce jour, une information judiciaire en raison de l'ancienneté d'une partie des faits concernés et de l'exigence de la mise en œuvre de l'action publique résultant de l'article 4 de la loi adoptée définitivement le 16 février 2017".
La formulation technique masque une prise de position très ferme de la part du parquet national financier. La vérité est que le 16 février dernier, les rares députés présents ce jour-là à l'Assemblée, ont en effet adopté un texte instaurant un délai de prescription de 12 ans en matière d'infractions "occultes et dissimulées", un délai qui court à compter du jour de la commission de l'infraction. Parmi elles, vous l’aurez deviné… Bingo ! les "abus de bien sociaux" ou encore le "détournement de fonds publics". Deux qualifications retenues vendredi dernier par le PNF pour motiver l'ouverture de son information judiciaire.
Depuis plusieurs jours, les juristes débattaient en effet des éventuelles conséquences de ce texte, déjà adopté mais pas encore promulgué, dans le cas de l'affaire Fillon. Les soupçons d'emploi fictif remontent à 1998… Il y a donc 19 ans. Pour certains spécialistes, si le PNF avait attendu la publication de la loi au Journal officiel, il prenait le risque d'exonérer de poursuites l'ensemble des faits reprochés à F. Fillon entre 1998 et 2005.
Ce "petit amendement", aux dires mêmes du ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas, avait toutefois été accompagné d'un article destiné à ne pas enterrer de fait les affaires en cours. Défense de rire ! Théoriquement, la prescription ne peut pas concerner les affaires "ayant donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique." Ce qui pose une question dans le cas de F. Fillon : peut-on considérer l'ouverture d'une enquête préliminaire comme une "mise en mouvement de l'action publique" ? La question divise les pénalistes, certains estimant que seule l'ouverture d'une information judiciaire ou une citation à comparaître peuvent garantir la prise en compte de l'ensemble des faits potentiellement reprochés au candidat tandis que d'autres pensent au contraire que l'enquête préliminaire suffit à écarter le délai de prescription.
Quoi qu'il en soit et pour parer à ces incertitudes, le parquet national financier a donc allumé un contre-feu et empêché les parlementaires, fidèles à de mauvaises habitudes, de...s'auto-amnistier et de faire passer à la trappe l'enquête en cours. En prononçant l'ouverture de l'information judiciaire avant l'entrée en vigueur de la loi, le parquet a veillé à ne pas restreindre le champ de l'enquête et a empêché que les faits qui ont motivé l'ouverture de son enquête préliminaire disparaissent du champ d'investigation.
II- Du coup d'état électoral...
Comme on le voit, du garrot au champ de mines, la situation devient ingérable en l'état, sauf pour F. Fillon à prendre la seule mesure qui s'impose désormais à lui : se démettre et renoncer à sa candidature désormais plombée plus que de mesure, à moins de vouloir entraîner son parti avec lui dans un naufrage imminent.
Que « l'affaire Fillon » relève de la cabale et de la combine politicarde destinées à profiter des fragilités d'un candidat qui aura lui-même offert sur un plateau d'argent avec une défense calamiteuse l'occasion de se faire flinguer et mettre hors-course en pleine campagne électorale est indiscutable. Pour autant, une fois effectué ce constat, il devient urgent de regarder la réalité froide et d'en tirer la seule conséquence qui s'impose, quoique l'intéressé puisse penser, à savoir que le candidat Fillon, élu ou non, est désormais hors-jeu.
- Elu, par on ne sait trop quel retournement de situation toujours possible (un non-lieu, par exemple) on ne saurait en effet sérieusement imaginer un président de la République traînant derrière lui une ferblanterie de casseroles judiciaires incompatibles avec la fonction présidentielle (la présidence du Conseil de la magistrature, par exemple...).
On imagine aisément quelles seraient sa réputation et son autorité tant au plan national qu'international : inexistantes.
- Non encore élu, on imagine mal que partant avec des boulets aux pieds - fragilisé personnellement et familialement -, il puisse fouler souplement la cendrée et prétendre encore gagner la course en ignorant le risque d'être tout simplement éliminé au premier tour du scrutin le 23 avril prochain, voire même de ne pas réussir à s'y présenter faute d'avoir pu surmonter un handicap devenu rédhibitoire derrière les favoris du moment E. Macron et M. Le Pen.
Puisque manifestement tous les coups sont permis, imagine-ton le coup de tonnerre que représenterait une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel rendue le 22 avril 2017, par exemple ? Effet garanti.
En excluant comme il l'a fait la semaine dernière de se retirer de la course présidentielle en cas de mise en examen, revenant ainsi sur ses premières déclarations, F. Fillon précipite en réalité son parti dans le mur. « Mon retrait poserait un problème démocratique majeur. La locomotive est lancée, rien ne peut l'arrêter, j'irai jusqu'au bout », a-t-il déclaré, s'en remettant « au seul jugement du suffrage universel ».
Comme chacun sait, les locomotives en survitesse ne sont pas à l'abri d'un déraillement et il n'est pas rare non plus que le suffrage universel agisse comme un couperet en se rappelant au bon souvenir de ceux qui s'en prévalent de manière imprudente.
III-...à la solution du coup d'état partisan
Un Bureau politique digne de ce nom, conscient de la situation et soucieux de son électorat cesserait de se voiler la face et considèrerait plutôt que ce n'est pas le retrait mais bien plus le maintien d'un candidat carbonisé qui constitue aujourd'hui « un problème démocratique majeur ».
Aujourd'hui encore rien n'empêcherait la formation politique concernée de prendre en urgence l'unique décision qui s'impose et qui permettrait de couper l'herbe sous les pieds de ses détracteurs : mettre F. Fillon devant l'implacable constat de son échec et choisir en ses lieu et place un candidat inconnu, impérativement hors du sérail, investi en quelques heures et qui, dans un discours inaugural qui justifierait les parrainages requis pour valablement candidater, reprendrait sur des bases solides une marche désormais purgée de ses faiblesses et incertitudes mais qui pour l'heure s'apparente beaucoup plus à une marche à l'abîme qu'à une marche vers la victoire.
Plutôt que de penser à ses propres petits intérêts, calculs partisans et ambitions qui risquent fort de ressembler à un rêve éveillé, M. Fillon sera-t-il capable de privilégier les seuls intérêts qu'il lui incombe de prendre en considération : ceux des électeurs qui ont cru en lui et qui risquent fort de réaliser très vite mais trop tard qu'ils auront été bernés et se seront bernés eux-mêmes ?
Il n'est pas exclu que cette étrange campagne présidentielle où l'inconsistance le dispute à l'incompétence se termine par la disparition pure et simple et la mise hors-jeu d'une formation politique sclérosée et devenue incapable de se renouveler.
On trouvera un élément en ce sens avec la publication le 26 février 2017 à 17h57 par le quotidien Le Figaro d'un sondage sondage Kantar Sofres OnePoint pour RTL, Le Figaro et LCI qui montre que les deux candidats à la présidentielle M. Le Pen et E. Macron se détachent avec 27 % d'intentions de vote au premier tour pour la présidente du Front national (+ 2 points par rapport à la précédente enquête de janvier 2017) et 25 % pour le leader d'En marche ! (+ 4).
Le résultat, conclut le quotidien, serait inédit car pour la première fois, ni le candidat de la droite républicaine ni celui du Parti socialiste ne seraient au second tour d'une présidentielle.
Les détails de la chronique d'un désastre annoncé se précisent donc puisqu'en chutant de 2 points, François Fillon arrive en effet, avec 20 %, en troisième position, synonyme pour lui d'élimination au premier tour.
Il semblerait que quelque chose soit en train de gratter la coque du submersible que l'on voit sur l'image mise en exergue de ce billet.
Sources et documents :
16 février 2017 PROPOSITION DE LOI portant réforme de la prescription en matière pénale.(Texte définitif) http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0921.asp