Fillon tel un Erdogan à la française : en marche vers le passé !

par Bernard Dugué
mercredi 23 novembre 2016

Nous n’avons pas vu apparaître François Fillon et pourtant il est présent dans les primaires avec 16 points d’avance sur Alain Juppé, longtemps favori chez les Républicains et le Centre. Nous n’avons pas vu aussi quel était le programme de Fillon et quand je dis nous, je parle au nom de ceux qui n’ont pas étudié avec attention les intentions des candidats et qui du reste ont suivi de loin ce scrutin. Par contre, la plupart des électeurs de Fillon ayant fait basculer le scrutin savaient ce que propose Fillon. Et comme la prochaine étape devient très sérieuse, il serait bon de nous intéresser de près à ce candidat qui risque de diriger le pays entre 2017 et 2022 dans un contexte social et international assez tendu.

J’avoue ne pas trop comprendre le positionnement de Fillon sauf en le recadrant dans une perspective historique. Le passé nous éclaire et montre que des hommes d’Etat peuvent évoluer de revirement en positionnement selon les changements historiques de grande envergure. On connaît le Mitterrand adhérent aux Croix de feu puis adoubé par Pétain pour ensuite devenir un ministre sévère et droitier pendant la quatrième république et enfin emprunter le vent des mouvements sociaux après 68 et permettre à la gauche d’accéder au pouvoir après plus de 20 ans de gouvernement entre droite et centre depuis la naissance de la cinquième république en 1958.

Justement, en 1958, Fillon avait 4 ans, comme Erdogan. Fillon a vécu l’expérience de ceux que j’appelle les frangins de mai 68, ceux qui enfants ont salué les copains en écoutant la musique yéyé et désinvolte sans comprendre ce qui se tramait en France et dans le monde et qui ont fini leur formation de jeunesse dans le sillage des babas cools et des rêveries utopiques. En 1973, les uns fumaient des joints et écoutaient les Pink Floyd en refaisant le monde sous le regard d’un poster de Che Guevara, alors que d’autres comme Fillon étaient rigoureux, sérieux déjà vieux, respectueux des valeurs et fréquentaient les scouts. Les frangins de mai, c’est aussi la génération Hollande et Sarkozy et de tous ceux qui sont nés entre 1953 et 1960. Ensuite, la bof génération est arrivée avec l’un de ses représentants copieusement traité de petit merdeux par le professeur Choron sur un plateau télé aussi enfumé qu’animé, avec parfois des cendriers volants et Polac un peu dépassé par la tournure des événements.

Fillon fréquentait les scouts, en cette époque d’émancipation des mœurs de Paris à Munich et d’Istanbul à Kaboul. Erdogan fréquentait à la même époque une école traditionaliste qui formait des imams. Pendant que Fillon assistait aux messes catholiques, Erdogan récitait des prières et à 16 ans il remplaçait parfois l’imam pour célébrer des naissances ou pleurer les morts lors d’obsèques religieuses. Ensuite, Erdogan et Fillon se sont adaptés comme des caméléons de la politique aux tendances oscillant en libéralisme, modernisme et une gouvernance sérieuse. Fillon a été gaulliste, balladurien, chiraquien, sarkzozien puis est devenu lui-même, austère catho conservateur dans les mœurs et brutal pour le monde du travail. Erdogan a suivi un parcours similaire. Pour devenir lui-même, un autocrate néo-ottoman étriqué dans un islam d’une autre époque et forcené dans les grandes œuvres technocratiques. Prestige oblige, mégalopathie évidemment !

Retour vers le passé. 1980, l’époque des révolutions ultralibérales parfois qualifiées de conservatrices. Reagan et Thatcher. Et maintenant, Fillon présenté en homme d’acier après la dame de fer. C’est je pense une comparaison qui nous égare. Le contexte n’est pas le même. En 1980, l’Occident était encore sur une pente de croissance économique avec un dynamisme industriel finissant mais passant le relais à un dynamisme financier et administratif. En 2016, les pays sont fragilisés par une crise sociale alimentée par la crise financière et une paupérisation galopante. Ce qui se passe depuis les années 2000, aux USA, en Allemagne, en Russie, en France, en Turquie et dans bien d’autres pays de culture chrétienne ou islamique, c’est une réaction conservatrice. On parle de populisme et c’est bien avec cette formule que l’opinion publique est copieusement enfumée.

Trump aux States, Marine le Pen en France, le Brexit au Royaume-Uni et quelques autres mouvances nationalistes, font les choux gras d’analystes peu rigoureux nous présentant ces phénomènes électoraux comme la revanche des peuples sur les élites, avec le peuple composé par exemple des petits blancs de la classe moyenne américaine. L’interprétation est hélas erronée car ces phénomènes politiques sont non seulement inscrits dans une réaction conservatrice mais aussi pilotés à des degrés divers par une classe bourgeoise traditionaliste, assez aisée et plutôt brutale. Un phénomène similaire s’est produit dans des pays de tradition islamique. La Turquie de Erdogan étant un exemple édifiant et visible. Ce que l’on sait moins, c’est que par exemple en Egypte, le renforcement des traditions islamiques n’est pas seulement porté par les Frères musulmans et les populations défavorisées. Une classe bourgeoise et aisée porte avec elle la réaction conservatrice et le retour aux traditions. Le processus s’est bien développé depuis l’an 2000. Il s’est produit aux Etats-Unis sous GW Bush.

François Fillon est en partie un frère catholique comme il y a des frères musulmans en Orient. Il incarne les valeurs d’une droite traditionnelle, bourgeoise, aisée et souvent emprunte d’une brutalité envers ceux qu’elle considère comme des pauvres fainéants et assistés. Fillon est le produit d’une tendance historique qui a son pendant oriental en Turquie avec l’islam rigoriste et autoritaire de Erdogan. Les pays industrialisés et financiarisés ont raté la marche vers un avenir pénétré de lumières et d’aspirations spirituelles. Le monde s’est ouvert avec les technologies mais une frange notable de la population s’est rétrécie en esprit, à l’instar de ce qui s’est passé dans les années 1930. Les funestes jeux de pouvoir se sont libérés en 2017.

Maintenant, aux électeurs de jouer en connaissance de cause. Il va de soi qu’un chrétien progressiste et libéral de gauche ne peut être qu’en en désaccord avec Fillon, sauf au niveau du positionnement à l’égard de la Russie. Cela dit, je ne suis pas certain de la sincérité de Fillon en ce domaine. Est-ce une admiration pour le personnage de Poutine ou bien une réelle réflexion sur la stratégie de rapprochement pour lutter contre l’Islam totalitaire ? Combattre le totalitarisme dans le monde est une chose, installer un autoritarisme en son propre pays est une autre chose. Fillon représente la promesse d’une société funeste et clivée. Il est vital de l’éjecter, dimanche prochain si possible, sinon en 2017, ce qui est plus difficile mais pas impossible si les paroles et les volontés se libèrent. A bon entendeur !


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