France et Israel, deux pays (1) aux évolutions bloquées

par Laurent Simon
vendredi 29 août 2014

L'Etat d'Israel est piégé dans un système électoral que l'on peut qualifier de proportionnel intégral, qui oblige à une coalition avec les partis religieux extrémistes, et qui empêche la création nécessaire d'un Etat Palestinien.

De son côté, le système majoritaire à deux tours, utilisé en France depuis la Constitution de 1958, oblige à une bipolarisation, et à une prise en compte des extrêmes (gauche et droite). Ce qui ne permet pas d'élire un Président sur la base d'un programme responsable, mais au contraire oblige ceux qui se présentent à annoncer un programme démagogique et inapplicable, ce qui crée ensuite une énorme déception chez les électeurs, et une distance grandissante avec les élites.

La France et Israel sont deux pays aux évolutions bloquées par des systèmes électoraux (inverses) qui empêchent les évolutions nécessaires, même aux yeux d'une majorité d'électeurs.

Cet article est le premier d'une série de trois articles, paradoxaux, les deux suivants étant :

Israel, la proportionnelle intégrale qui oblige à une coalition, avec les partis religieux

S’il existe bien un consensus que partagent depuis longtemps les analystes politiques ainsi que les dirigeants des principaux partis israéliens, c’est la nécessité de changer le système électoral. [1]

La multiplicité des partis politiques est sensée pouvoir participer de ce sentiment de représentativité. Ainsi, lors des dernières élections législatives de 2006, pas moins de 31 listes ont été présentées au suffrage des électeurs, même si seulement 12 d’entre elles ont pu accéder à la Knesset. ... Etant donné qu’aucun parti n’a jamais obtenu à lui seul une majorité des sièges au Parlement, tous les gouvernements, depuis l’indépendance de l’Etat, sont formés par des coalitions de plusieurs partis.  [2]

"Tant que le système électoral isrraélien restera ce qu'il est.. les deux grands partis du pays,.. seront obligés de composer avec les partis religieux". [3]

... "Alors qu’il avait été envisagé, à l’origine (1949), que l’Assemblée constituante promulgue la Constitution du nouvel Etat, il fut par la suite décidé que ce texte serait rédigé, article par article, dans le cadre de la promulgation des Lois fondamentales qui, avec le temps, auraient formé un document unique, la Constitution d’Israël.

Cependant aujourd’hui, l’Etat d’Israël n’a toujours pas de Constitution de façon formelle : ce sont les lois fondamentales qui ont valeur constitutionnelle, ce qui est aussi un moyen de préserver le consensus minimum entre religieux et laïcs puisque les partis religieux s’opposent à l’adoption d’une Constitution qui ne serait pas conforme aux lois de la Torah. Les Lois fondamentales déjà en vigueur couvrent régissent la vie politique et l’organisation des pouvoirs. Elles les thèmes suivants : la Knesset ; les biens fonciers d’Israël ; le président de l’Etat ; le gouvernement ; le budget de l’Etat ; l’armée ; Jérusalem, capitale d’Israël ; le système judiciaire ; le contrôleur de l’Etat ; le droit d’exercer le métier de son choix ; et la dignité et la liberté humaine."  [4]

"La fragmentation du régime de partis peut être désttabilisatrice. Le système à Représentation Proportionnelle (RP) réflète et accentue cette fragmentation. En particulier, lors des négociations en vue de la formation d'une coalition de gouvernement, les petits partis ont souvent un rôle déterminant et peuvent tenir les plus grands en otages. Ceci est perçu comme le point le plus faible de la RP. En israël par exemple, les partis religieux extrémistes jouent souvent un rôle décisif dans la formation des gouvernements." [5]

Est-il nécessaire d'ajouter que dans ces conditions une évolution vers la création d'un Etat Palestinien est vouée à l'échec ? Alors même que des sondages réguliers montrent que les Israéliens sont disposés à cette création !

En France, une situation de bipolarisation qui empêche d'avoir un programme électoral réaliste, et applicable, surtout en situation de crise

Le diagnostic sur le système électoral français est moins consensuel que sur le système israélien, puisque les gaullistes défendent mordicus le système majoritaire uninominal à deux tours. Mais force est de constater que certaines évolutions bien nécessaires ne se font pas, ce qui nous met à la traîne de la plupart de nos voisins européens, et des pays de l'OCDE.

Ce système électoral conduit quasi mécaniquement à une alternance régulière entre les deux camps (exception en 2007). Il ne favorise pas une évolution pacifiée, ni la réalisation des réformes nécessaires, car elles demandent beaucoup de courage de la part des hommes politiques, et impliquent presque obligatoirement leur non-réelection 5 ans plus tard.

Cela incite au contraire un gouvernement nouvellement élu à défaire méthodiquement ce qui a été fait par le gouvernement résultant des élections légisaltives antérieures, comme on a pu le constater avec les premières décisions de François Hollande.

Claude Weill disait hier (Cdansl'air, Valls et les patrons, la lune de miel 27 août 2014) que nous sommes coincés par des institutions de la 5e république : la gauche est condamnée, aux élections, dans son discours au moins, à tomber à gauche pour récupérer l'extrême gauche, et la droite à tomber à l'extrême doite pour récupérer les voix de Marine Le Pen.

Ce qui ne permet pas d'élire un Président sur la base d'un programme responsable, mais au contraire oblige ceux qui se présentent à annoncer un programme démagogique et inapplicable... ce qui assure ensuite une énorme déception chez les électeurs, et une distance grandissante avec les élites !

Cdansl'air, Valls et les patrons, la lune de miel 27 août 2014

Question d'un téléspectateur : "Si le chômage ne baissait pas dans les prochains mois, quelle serait la porte de sortie du gouvernement actuel ?"

Claude Weill (Le Nouvel Observateur) : "Il n'y en a pas. On voit bien tout de débat qui a secoué toute la gauche, toute la semaine dernière. Pour les uns (les courbes que l'on vient de voir, c'est la preuve que la politique du gouvernement ne marche pas, et pour les autres (le gouvernement), c'est la preuve qu'il faut aller plus loin dans cette politique, puisque la responsabilité de la dégradation de l'emploi, ce ne sont pas l'austérité que l'on mène depuis un an, c'est la dégradation constante de l'appareil productif depuis 10 ou 15 ans qui fait que la France a perdu sa compétitivité. Donc plus la situation du chômage va se dégrader, et plus le gouvernement est condamné à en tirer la conclusion qu'il faut aller plus vite et plus loin dans la direction où il s'est engagé."

Marc Fiorentino : "C'est intéressant, on est exactement dans la même situation de l'Allemagne en 2003. C'est-à-dire qu'on est exactement au même point, en termes de croissance (-0.1% en 2003), de chômage à peu près équivalent et qui continue de monter, et en mars 2003 G. Schröder lance un plan de grande envergure.
Donc le Pacte de Responsabilité, c'est une bonne première étape, mais cela n'est absolument pas suffisant. On parlait de révision du Code du Travail, ou de modification, si on regarde les réformes de Schröder, il s'agit de flexibilité du travail, c'est très important, c'est probablement des mesures qui ont mis des millions d'Allemands dans la rue, et en particulier dans l'ex Allemagne de l'Est, notamment sur les retraites, le chômage, cela veut dire qu'aujourd'hui on est au début de l'exercice : rétablir la confiance permettrait de créer un environnement qui serait favorable. Maintenant il faudra avoir encore plus de courage, et prendre des mesures de fond, qu'a pris Schröder en 2003 (on sait ce qu'il s'est passé pour lui politiquement après), et aujourd'hui on est exactement dans la situation de l'Allemagne, il y a 10 ans, et on voit les résultats maintenant.

Est-ce qu'on est capable de faire cela ? Flexibilité du travail, modification des droits sociaux de manière assez générale (là on pèse assez lourd sur la Sécurité sociale, sur la retraite, sur les allocations chômage, ce qui a pesé assez lourd sur l'Allemagne pendant un an, un an et demi (le retournement n'a pas eu lieu immédiatement), il a fallu 18 mois 2 ans après l'adoption de ces mesures pour que l'amélioration se constate.
 
Claude Weill : "Oui, il a fallu à peu près 5 ans, et entre temps il y a eu un changement politique, Mme Merkel et la CDU avaient gagné les élections, mais, et c'est là que le paramètre politique est très important, une coalition CDU - SPD se met en place, qui continue rigoureusement la même politique.
Est-ce que la classe politique française est capable de ça ?

Est-ce que nous ne sommes pas coincés par des institutions (comme le suggérait Pascal Perrineau) qui font que la gauche est condamnée, aux élections, dans son discours au moins, à tomber à gauche pour récupérer l'extrême gauche, et la droite à tomber à l'extrême doite pour récupérer les voix de Marine Le Pen. Là est le vrai sujet politique du débat.

Yves Calvi : "C'est très intéressant parce que vous faites coincider les deux lignes de notre émission d'aujourd'hui la ligne politique, dans son cadre institutionnel, et la ligne économique, dans la capacité à avoir du mouvement.

Marc Fiorentino : "C'est en fait intimement lié, aujourd'hui c'est la même chose, vous ne pouvez pas faire la différence entre avoir la confiance aux niveaux politique et économique, et on est aujourd'hui à un choc politique, qui doit mener à un choc économique, et je pense qu'il y a de l'espoir, d'avoir maintenant des mesures fortes. "

Yves Calvi : "Sauf que vous venez de dire qu'on est obligé de dire des conneries, ou des choses excessives, pour se faire élire ?"

Claude Weill : "Aujourd'hui, la politique est un théâtre d'ombre. Naturellement les modérés de l'UMP approuvent la politique qu'essaie de mener le gouvernement actuel, j'écoutais hier Hervé Morin, leader de l'UDI, qui est à peu près sur la même ligne. Les solutions économiques pour adapter la France aux contraintes internationales sont là, il n'y a pas un tel désaccord entre la doite de la gauche et la gauche de la droite. Le fait est que le jeu institutionnel et le système des alliances rendent ces regroupements totalement impossibles.

Pascal Perrineau (professeur à Sciences Po) : "Oui, il y a les institutions de la 5e république qui tendent en effet à la bipolarisation, qu'on le veuille ou non, ... et puis il y a le problème, le temps économique c'est 4 à 5 ans pour qu'on commence à voir de manière concrète le fruit des efforts demandés éventuellement aux Français, et le temps politique, c'est 2 ans et demi, dans un an et demi c'est la présidentielle 2017 qui commence.

 


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