France je t’aime moi non plus...

par Guillaume Boucard
vendredi 27 novembre 2009

Chacun se souvient d’un présentateur ayant jadis commencé son journal de 20 heures par « Bonsoir… la France a peur ». Il s’agissait de Roger Gicquel, dans une époque de la Télévision que nous croyions disparue s’agissant des relations avec le Pouvoir Politique, la chose est moins sûre, mais c’est un autre débat. Sans oser évoquer outre mesure et à une échelle beaucoup plus essentielle le regretté Pape Jean-Paul II et son fameux rappel Biblique « N’ayez pas peur », toujours est-il que nous ressentons bel et bien ce sentiment là de part et d’autre depuis le lancement du débat sur « L’identité française ».

Le professeur et Ministre Besson, qui a proposé cette question comme sujet de rédaction au peuple, est manifestement mal accueilli par les élèves, lesquels semblent réagir avec une gravité étrange. Nous touchons à un tabou. Jusqu’ici, la petite France allait comme elle pouvait, exprimant de temps à autre un rejet des étrangers, perçus souvent comme une menace. Il y a eu le vote Le Pen, il y a eu aussi la dernière Présidentielle et les deux candidats jouant à « plus France que moi tu meurs ». L’une agitait son drapeau aux fenêtres collectives en montant sur l’estrade épaulée par Jeanne d’Arc, invitant à chanter l’hymne national plus volontiers. L’autre reprenait tout l’héritage ou presque de l’histoire de France durant son meeting pré-électif de la Porte de Versailles.
 
Finalement, les Rois du glorieux temps passé et le Général de Gaulle n’étaient pas loin de se faire entendre dans les hauts parleurs. Précisément, depuis celui que l’on nomme « Le général » et duquel tout l’échiquier politique se réclame, la France se s’aime plus autant. Etrangement l’on évoque même épisodiquement un retour à la Monarchie en grigri d’un fantasme collectif. Il y a peu, l’ex Président Chirac atteignait des records de popularité bien que se faisant plus discret après tant de bons et loyaux services à la nation. De toute évidence, il incarne l’image du Père, celui d’une France idéalisée et toujours regrettée. Une France glorieuse, la Fille aînée de l’Eglise et des droits de l’Homme.
 
En effet, l’identité de notre beau pays semble déchirée entre des restes du Catholicisme Universaliste et des tendances plus nationalistes participant de la fin du 19ème siècle. La permanence Française reposerait ainsi sur cette dualité contradictoire, celle de l’ouverture et du repli sur soi. On reconnaît encore le premier aspect à la Capitale, et le second à la province de la « France profonde ». Cette « duplicité » viendrait nourrir le creuset du pays, dans ses racines, lesquelles nous sont pourtant présentées comme nourries de vagues d’immigrations successives. La France serait multiple dans son fondement, elle se représente et se vit dans son unicité. Ce double visage, entre vécu et imaginaire, alimente donc une peur. Vue de l’étranger elle se meut souvent en nombrilisme du Monde.
 
Consciente de sa richesse culturelle et intellectuelle, de son influence majeure sur le cours du Monde, jadis, notre pays est aujourd’hui en crise identitaire avec lui-même. Telle est sans doute la première interprétation à apporter à l’analyse tant évoquée du Journal La Croix traduisant une quiétude apparente des Français face à leur nationalité autant qu’aux immigrés. Le problème ne serait donc pas lié aux étrangers, mais bien aux Français vis-à-vis d’eux-mêmes et de la nation qu’ils constituent. Les Français ne s’aiment plus comme avant, alors accueillir l’Autre est plus difficile encore. Outre les arrières pensées politiciennes que l’on prête au Gouvernement (mais y a-t-il un moment précis pour lancer des débats, entre des scrutins forcément rapprochés ?), le malaise est palpable. La volonté de couper court (dans un refoulement collectif de protection) est manifeste.
 
Alors qu’il y a chaque année dans notre pays 200.000 visas accordés pour des longs séjours, 2 millions de visas pour des durées moindres, 90% de visas accordés pour des populations provenant du Maroc ou du Sénégal, 110.000 naturalisations annuelles... ce débat paraît pourtant surgir dans un pays beaucoup plus sclérosé et figé dans les mentalités. Comme le disent nos amis Québécois, faire nation est aussi une question d’imaginaire collectif à partager. Les Français « de souche » ressentent une grande difficulté à ce niveau, chose qui parasite la rencontre avec d’autres Français de l’étranger ou étrangers de France. Le Ministre à l’origine du surgissement de ce débat porte aussi la charge du « développement solidaire », sans doute une voie à privilégier pour faciliter le contact aux immigrés (un terme qui ne doit recouvrir aucune acception particulière, un état que nous vivons tous dans le passage sur Terre). Alors bien entendu, dans la plus grande hypocrisie, chacun tente de dissocier cette question de l’identité nationale Française et la « question » de l’immigration. Certains trouvent là une réponse au malaise des Français de souche, dans le fait de se retrouver soi-même dans la rencontre de l’autre, par l’enrichissement mutuel. La complexité de l’être humain s’accommode peu de la logique et de la théorie. Tel est probablement l’angle permettant de cerner le cœur de l’identité Française, perdue entre une France « idéale », et la France théorique « imposée » de l’assimilation aisée de populations initialement étrangères, les deux se perdant dans un imaginaire réciproquement confus.
 
Que les Français donnent « le primat au groupe social » (41% des Français selon l’enquête de La Croix) en dit long sur l’errance actuelle de notre Pays, où l’on tend majoritairement à se définir par le paraître social. Que seulement 38% de nos concitoyens se définissent d’abord par leur appartenance à leur pays traduit aussi un désamour propre certain. Qu’ils reconnaissent à 33% que la Culture est ce qui les rapproche le plus d’autrui, chose particulièrement constituante de la France, ouvre sans doute un bel horizon pour retrouver un meilleur vivre ensemble dans notre pays. Un partage à ce niveau n’ayant pas de frontière, certains trouveront précisément dans l’héritage Culturel du catholicisme Universaliste la source originelle du meilleur de notre identité. Résister au repliement sur soi lié au Nationalisme à la mode de la fin du 19ème siècle est, quoi qu’il en soit, un impératif.
 
Prétendre qu’une fleur arrachée à sa terre d’origine peut immédiatement repousser à l’identique en terre inconnue et non réellement choisie, relève de la démagogie caractérisée de la fausse fraternité, pour peu que l’on se situe au niveau des êtres humains. Une confrontation non préparée entre l’exil et le divorce avec soi-même peut tendre vers un échec assuré. La sensibilité des Hommes peut ne pas se soumettre aisément aux idées toutes faites, si séduisantes soient-elles sur le papier. La France doit premièrement retrouver ce qu’elle a de plus beau et noble dans son identité, afin de s’aimer suffisamment pour ne pas craindre ou rejeter ceux qui viennent à sa rencontre.
 
France, n’aie pas peur, on t’aime, nous aussi !
 
Guillaume Boucard
 
 
Sources : Journal "La Croix" du 24 novembre 2009
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