François Bayrou, baudruche ou espoir de la République française ? (3)

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 14 août 2008

L’isolationnisme politique de Bayrou a été suicidaire. Et pourtant, la statue du Commandeur continue à se forger pour cet opposant d’un nouveau type. Suite et fin.

Dans le premier article, j’évoquais la lente ascension de François Bayrou comme personnage politique majeur du paysage français, puis dans le deuxième article, sa position très critiquée entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2007.


Aujourd’hui, c’est bien sur le registre des valeurs que François Bayrou souhaite poursuivre son combat, et commence à devenir audible et crédible.


Une crédibilité sous toutes les latitudes

Crédible d’abord vis-à-vis des élus de la majorité qui se trouvent enrégimentés plus qu’ils ne le voudraient. Les nombreux incidents parlementaires qui ont montré une mauvaise volonté de la majorité (par exemple, le vote sur la loi sur les OGM), désormais sous contrôle par un des prochains rivaux du sarkozysme, Jean-François Copé, dénotent un climat très incertain. Les municipales l’ont d’ailleurs illustré : Nicolas Sarkozy ne faisait plus vendre, sa popularité étant en berne.

Du coup, des passerelles reviennent avec François Bayrou, qui, rappelons-le, avait présidé l’UDF première version, celle qui comptait des centaines de parlementaires. Certains de ceux-ci, passés à l’UMP en 2002, commencent à regretter amèrement l’absence d’écoute de leur courant qu’on qualifiera par simplicité de courant démocrate-chrétien.

L’exemple le plus frappant est Pierre Méhaignerie, devenu secrétaire général de l’UMP lorsque Nicolas Sarkozy s’empara de l’UMP en 2004 et qui est maintenant considéré comme quantité négligeable. Rappelons que Méhaignerie était président du Centre des démocrates sociaux, composante de l’UDF, de 1982 à 1994. Après avoir tenté timidement l’autonomie des députés centristes avec la création du groupe Union des démocrates et du centre (UDC) en 1988, il avait tout fait pour laisser son poste à François Bayrou en barrant la route à son probable héritier, Bernard Bosson (passé en 2007 au Nouveau Centre et perdant malgré tout sa circonscription à Annecy).

L’élection du successeur de Christian Poncelet au plateau (présidence du Sénat) sera à cet égard un indice important pour mesurer l’hégémonie de l’ex-RPR au sein de l’UMP.

Crédible dans la majorité, mais aussi crédible dans l’opposition, auprès de proches de Dominique Strauss-Kahn ou de Michel Rocard et de sympathisants de gauche qui désespèrent du Parti socialiste.


Le mystère de l’inexistence socialiste

Il y a un véritable mystère, celui d’un PS amorphe alors que le gouvernement lui donne chaque jour des arguments pour se dynamiser.

Nicolas Sarkozy, par habileté politique, a réussi à paralyser le PS de toute opposition intelligente et efficace. En se servant et en piochant des compétences socialistes reconnues, fascinées par le personnage et son ouverture, comme Jean-Marie Bockel, Jacques Attali, Jack Lang ou encore Hubert Védrine (ou même Max Gallo), il a fabriqué une sorte de socialisme allégeant au sarkozysme. Un socialo-sarkozysme ?

Mais Nicolas Sarkozy n’est pas le seul responsable de la décomposition du PS. Les éléphants y ont mis beaucoup du leur et leur congrès en novembre s’annonce désastreux.

Les divisions sont nombreuses, tant en termes d’écuries présidentielles (Bertrand Delanoë et Ségolène Royal) qu’en termes programmatiques. Les lignes de front sont multiples. Martine Aubry, Dominique Strauss-Kahn, Manuel Valls, Pierre Moscovici, Julien Dray, Arnaud Montebourg, Jean-Luc Mélenchon...

Les divisions de personnes ne sont pas les seules en cause. Il y a aussi la nature de l’opposition adoptée, plus axée sur l’attitude de Nicolas Sarkozy, son train de vie, sa vie affective, sa famille, que sur le contenu de sa politique.

Et lorsque les socialistes décident de s’opposer réellement, ils le font de manière politicienne et sans conviction (comme pour les institutions, alors qu’ils avaient pourtant des arguments à mettre en avant).



Un boulevard pour 2012 ?

Bref, ces deux sources de mécontentement devraient apporter un boulevard présidentiel à François Bayrou pour 2012, en fédérant les inquiets de l’UMP et les socialistes insatisfaits de leur manque de leadership.

Mais pour qu’il puisse fédérer ces deux branches politiques, François Bayrou a besoin d’un discours rassembleur et fort.

Le rassemblement, il l’esquisse aujourd’hui sur les valeurs républicaines, et il sait qu’il pourra être suivi d’un grand nombre.


Contenu politique et vitrine

Mais le discours fort reste manquant. Il a effectivement esquissé un programme solide pour l’élection présidentielle de 2007. Il lui manque, d’une part, sa réactualisation (rester sur le même programme après tant de réformes serait une faute politique) et, d’autre part, quelques idées courtes, sans doute simplistes, mais porteuses.

Or, sa seule idée facile à comprendre en 2007, c’était de diminuer les déficits publics. Ce qui est évidemment nécessaire, souhaitable et raisonnable, mais il faut bien le reconnaître, ce n’était guère enthousiasmant et encore moins porteur électoralement.

Aussi simpliste et stupide qu’il ait été, le slogan de Nicolas Sarkozy « travailler plus pour gagner plus » a été largement porteur.

Cela a toujours été le problème des candidats centristes, généralement sérieux, refusant toute démagogie. Raymond Barre avant François Bayrou a eu le même problème en 1988.

Leur programme existe, solide et réfléchi, mais leur service après-vente ou, plutôt, avant-vente, leur marketing publicitaire laissent toujours à désirer. C’est sûr que dire la vérité n’a rien de réjouissant, rien de séduisant, or, en politique, il faut séduire, attirer.


Où sont l’Europe et la décentralisation ?

La colonne vertébrale du courant de pensée de François Bayrou se résume à deux éléments : la construction européenne et la décentralisation. Or, ces deux sujets sont plutôt impopulaires de nos jours.

Les institutions de l’Union européenne ne fonctionnent pas et toutes les tentatives qui consistent à permettre à l’Europe de se gouverner et d’être efficace sont battues en brèche par les peuples eux-mêmes. Un ami de Bayrou qui vient de disparaître, Borislaw Geremek, avait fait une analyse très pertinente du "non" irlandais du 12 juin 2008.

Quant à la décentralisation, les hypocrisies des gouvernements des dix dernières années ont salé l’addition des taxes locales. Chaque perte de responsabilité de l’État (sans diminution du budget équivalent) au profit des collectivités locales (principalement les régions) s’est faite au détriment du contribuable dont la taxe d’habitation, la taxe foncière et la taxe professionnelle n’ont cessé de monter (les socialistes qui gèrent la quasi-totalité des régions ont mis en œuvre ces augmentations).

Ce n’est donc pas étonnant qu’on n’entende plus beaucoup parler de ces deux thèmes dans les discours au MoDem, alors qu’ils devraient être fondateurs.


L’équipe manquante, le maillon faible

Une autre condition pour ne pas rater le rendez-vous de 2012, c’est d’entraîner suffisamment d’élus dans son sillage.

De tous les présidents de la République élus au suffrage universel direct, seul Valéry Giscard d’Estaing ne disposait de l’infrastructure d’aucun parti politique imposant. Mais il avait obtenu le soutien d’une quarantaine de parlementaires UDR (gaullistes) menés par le jeune Jacques Chirac.

Si François Bayrou veut démontrer qu’il sera capable de constituer une véritable équipe pour gouverner, il devra le montrer avant l’élection (et pas après), en ralliant à sa cause nombre d’élus (de gauche et de droite). Rassembler non seulement les Français, mais aussi les élus, les intermédiaires nécessaires entre le peuple et son président.

Cette condition, pour l’instant, n’est pas remplie. Et à part deux ou trois personnalités connues (comme Marielle de Sarnez ou Jean Peyrelevade), François Bayrou est désespérément seul dans son aptitude à gouverner. Ceux qui ont de l’estime pour lui auraient-ils tant peur ?


Seul contre tous, ou ensemble avec tous ?

Sa capacité à forcer les lignes, à faire enfin éclater le PS et l’UMP, lui donnera une réelle stature de rassembleur. Car les électeurs, contrairement à ce qu’on aurait pu croire, suivent en général assez bien le diktat des partis. Par ignorance ou par simplicité.

Il y aura encore du chemin à parcourir avant de rendre inéluctable la… future élection de François Bayrou à la présidence de la République que l’on lui avait tant prédite.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 août 2008)


Pour aller plus loin :

François Bayrou persévère dans son rôle d’opposant (31 juillet 2008).

Les votes et interventions du député des Pyrénées-Atlantiques (31 juillet 2008).

Le programme présidentiel de François Bayrou (accès à la plaquette).

Le programme présidentiel de François Bayrou (analyse).

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