François Fillon, victime de la morale ?

par Sylvain Rakotoarison
lundi 24 février 2020

« On se donne un renom de vertu à peu de frais : l’âme supérieure n’est pas celle qui pardonne ; c’est celle qui n’a pas besoin de pardon. » (Chateaubriand, 1850).



Ce lundi 24 février 2020 (en principe), commence le procès Fillon. C’est-à-dire, le procès de François Fillon, de son épouse et de son suppléant, pour l’emploi de collaboratrice parlementaire de son épouse. Trois ans après le début de l’affaire, et surtout, trois ans après une campagne présidentielle qui fut polluée par cette affaire au point que le débat public n’a pas vraiment porté sur les grands enjeux nationaux.

Des trois postulants à la candidature de LR à l’élection présidentielle de 2017, François Fillon est sans doute celui qui a tourné le plus facilement la page : au contraire de ses rivaux, vieux "animaux" politiques, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, François Fillon était l’homme d’une seule élection, celle de 2017, grâce à une fenêtre d’opportunités. Tandis que les deux autres ont toujours cru ou su qu’ils étaient des candidats à l’élection présidentielle "de droit divin" !

Pour nourrir cette différence, voici par exemple des candidats d’une seule élection, c'est-à-dire qui avaient une occasion unique de pouvoir être élu pour la première fois grâce aux circonstances : Jacques Chaban-Delmas (1974), Raymond Barre (1988), Édouard Balladur (1995), Lionel Jospin (2002, pas celle de 1995 ingagnable), Ségolène Royal (2007), François Hollande (2012), François Fillon (2017), Emmanuel Macron (2017). Certains ont même échoué dans cette candidature d’une seule élection : Pierre Messmer (1974), Michel Rocard (1995, pas celle de 1969), Jacques Delors (1995), Philippe Séguin (2007), Laurent Fabius (2007), Martine Aubry (2012), Dominique Strauss-Kahn (2012), Manuel Valls (2017), etc.

Et voici les candidats récurrents "de droit divin", ceux qui sont forcément candidats depuis le début de leur carrière politique en raison de leur forte ambition : François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon, Jean-François Copé, etc. (Alain Juppé et Jean-François Copé n’ont pourtant jamais été réellement candidats).

Il est assez évident que ce sont les "animaux" au cuir épais préparés à l’élection présidentielle dès le début de leur existence qui ont une meilleure chance de réussir que les autres (mais pas toujours).

François Fillon, lui, s’était retrouvé le candidat miraculé de la primaire LR de novembre 2016. Personne ne croyait en lui et pourtant, lui y croyait. Ce n’était pas nécessairement mon candidat, mais je n’avais pas été étonné qu’il fût désigné car c’était la candidature la mieux préparée pour 2017. Dès février 2013, François Fillon a travaillé pour bâtir un programme, en écoutant de nombreuses personnalités qualifiées, il en a rencontré quelque quatre mille en trois ans pour construire son programme. On pouvait être favorable ou opposé à ce programme, mais il était dense, réfléchi, et cohérent, mûrement préparé.

François Fillon fut, dans l’histoire de l’élection présidentielle, celui qui s’est le moins moqué des électeurs, celui qui les a considérés le plus comme des interlocuteurs adultes et intelligents (il n'était pas comme DSK en 1997 dans l'équipe Jospin, à griffonner sur la nappe en papier d'une table de restaurant la réforme des 35 heures pour trouver un argument de campagne, sans en avoir étudié toutes les conséquences). Et comme la loi était logiquement pour une incontournable alternance, le tour de François Fillon était là, à portée de la main.

Certes, un peu par hasard, ou plutôt, par défaut : Alain Juppé, trop âgé, trop consensuel dans un électorat clivé et déjà condamné à une époque qui insupporte la moindre infraction (avec sans doute raison, mais il faudra répondre à une question philosophique fondamentale : pour l’intérêt d’un pays, vaut-il mieux des dirigeants filous mais compétents et efficaces, ou des dirigeants honnêtes et transparents mais creux, vides, incompétents ? Je n’ai pas la réponse car la morale intervient ici contre la politique) et Nicolas Sarkozy, mis en examen dans plusieurs affaires, à la personnalité clivante qui peut susciter une forte adhésion tout autant qu’une forte détestation, ces deux candidats n’étaient pas forcément l’idéal pour le renouveau démocratique. Quant aux plus jeunes, Jean-François Copé, Nathalie Kosciusko-Morizet et Bruno Le Maire, ils leur manquaient de gouverner encore un peu la France avant de songer à la présider.

Quand il était Premier Ministre, d’une longévité remarquable (cinq ans), François Fillon a sans cesse porté attention aux parlementaires de la majorité, à leurs messages. En ce sens, c’était sans doute le candidat le plus à l’écoute du Parlement, ce qui aurait été intéressant à l’Élysée dans la pratique des institutions. Mais cela n’a pas suffi.



On a dit que l’affaire Fillon l’a laminé à l’élection présidentielle. Déjà, ce n’est pas vraiment le cas : François Fillon a fait un excellent résultat le 23 avril 2017 avec la casserole insurmontable qu’il a eue. Il lui a manqué moins de 500 000 électeurs supplémentaires (465 497 exactement) pour être qualifié au second tour, ce qui est très faible. Avec 20,01% des suffrages exprimés, il a même dépassé le score de Jacques Chirac pour sa réélection le 21 avril 2002 (19,88%), ce qui n’était pas une mince affaire déjà. François Fillon avait donc toutes les raisons d’en vouloir à la terre entière d’avoir échoué en 2017. Et pourtant, non, il était plutôt plongé dans une divine surprise, porté initialement par un vent favorable qu’il n’aurait jamais osé imaginer. Et malgré son affaire, il croyait qu’il gagnerait car il s’est toujours focalisé sur le fond de son programme et il pensait que les débats télévisés lui étaient très avantageux.


Au-delà du fond de l’affaire Fillon, j’avais déjà évoqué la manière terriblement mauvaise et contreproductive de se défense au moment de son éclatement. Semaine après semaine, après le 25 janvier 2017, il s’est sans arrêt enfoncé, avec aussi un argument qu’on a émis pour enfoncer Benjamin Griveaux : celui qui s’était bâti une image vertueuse d’homme droit et intègre chutait par son apparente vénalité. Au même titre que celui qui se montrait bon père de famille et bon mari aurait mérité le déshonneur d’une vidéo à caractère sexuel, selon des personnes qui mélangent tout, vie privée et affaires publiques (qui sont donc ceux qui voudraient faire justice eux-mêmes au nom de l’épouse ? De quoi se mêlent-ils ? Ne serait-ce pas exclusivement son affaire et cela dans le secret de l’intimité conjugale ?).

Car l’affaire Fillon, ce n’était pas qu’une seule casserole, c’était toute la batterie de casseroles : l’épouse rémunérée comme collaboratrice, mais aussi les enfants, et puis les costumes offerts par un avocat riche peu recommandable et visiblement encore aigri aujourd’hui (costumes acceptés après l’éclatement de l’affaire, quelle imprudence ! quel aveuglément !), et toutes les supputations, rumeurs, "fake news" comme on dit aujourd’hui, qui n’ont jamais été vérifiées ou plutôt, totalement inventées.

François Fillon est passé à autre chose, car malgré trente-six ans d’une vie politique particulièrement dense, il a aussi d’autres centres d’intérêt dans la vie dont, on l’a vu bien avant 2017 à une époque où il pouvait s’imaginer en retrait de la vie politique, la conduite de Formule 1 n’est pas des moindres (ni des moins coûteux, ce qui pourrait d’ailleurs expliquer l’apparente vénalité). D’ailleurs, avec Emmanuel Macron à l’Élysée, on pourrait même dire que François Fillon a l’avantage politique de son programme (sensiblement peu différent sur le plan économique) sans l’inconvénient d’une impopularité épuisante.

Aurait-il fait mieux qu’Emmanuel Macron sur les retraites, sur la transition écologique, sur la laïcité, etc. ? Difficile de dire, mais on pourrait imaginer que malgré son entêtement de 2012 et de 2016, voulu pour contredire ceux qui le traitaient de mollasson et d’inconsistant, comme je l’ai écrit plus haut, il avait l’avantage d’écouter les parlementaires. Son expérience politique aurait donc pu l’aider à mieux présenter les réformes. Et à les retirer à temps le cas échéant, sans prendre de front toutes les forces vives du pays.

Qu’attend donc François Fillon de son procès ? Seulement son honneur. Ce qui, pour lui, sa famille et ses proches, est essentiel, bien évidemment, mais ce qui, pour la France, est dérisoire. Laver son honneur et se dire victime d’un complot comme il l’a toujours très maladroitement proclamé au cours de sa campagne présidentielle. La justice passera, il est probable que dans tous les cas, cela ira en appel car la défense ou l’accusation, selon le verdict, sera mécontente et voudra avoir une seconde chance de démonstration. C’est d’ailleurs possible que le verdict définitif soit prononcé après la fin de ce quinquennat.

Faudra-t-il alors pleurer François Fillon si d’aventure il se retrouve totalement innocenté ? Non. Une élection, c’est la rencontre d’un homme et du peuple, mais aussi avec son unité de temps et de lieu. Après tout, c’est un peu comme l’amour : un prétendant bien sous tout rapport peut ne pas correspondre à l’état d’esprit de la convoitée au jour J, celui de la déclaration (le choix des genres ici est un tantinet sexiste, assumé par vieilles convenances).

Or, c’était clair que, innocent ou coupable, la question n’était plus celle-là en avril 2017. Car il faut différencier le droit (la justice), la politique et la morale. Sur le plan judiciaire, François Fillon pourrait être innocenté, mais on a bien vu que c’était inutile sur le plan électoral puisque l’élection est passée. Sur le plan politique, la manière de se défendre a été catastrophique. Il s’est enfoncé, alors d’autre, dans des situations bien plus inconfortables (car ce qu’on a reproché à François Fillon est très faible relativement à des éléments factuels d’autres candidats ou même d’élus à l’Élysée).

Mais c’est sur le plan moral que sa candidature s’est consumée, au point que ses plus fidèles soutiens l’ont peu à peu abandonné. C’est peut-être injuste mais c’était le cas aussi plus tard avec, par exemple, les homards de François de Rugy (et dans une moindre mesure, avec les errements affectifs de Benjamin Griveaux) : dès lors que la personne est considérée, à tort ou à raison, comme une personne amorale sinon immorale, sa capacité à convaincre politiquement, et, par voie de conséquence, à convaincre électoralement ne pouvait que s’effondrer.

On peut regarder les arrêts d’ascension politique dans l’histoire récente. Souvent, ils sont injustes : Alain Juppé qui s’est sacrifié pour protéger Jacques Chirac dans l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris ; Laurent Fabius accusé d’avoir mal agi dans le scandale du sang contaminé alors que justement, il croyait avoir su prendre les mesures pour éviter un tel désastre sanitaire ; Jean-François Copé, tombé dans une affaire dont il est rapidement sorti innocenté ; Valéry Giscard d’Estaing perdu pour quelques diamants qu’il avait distraitement laissés dans un tiroir ; et même Dominique Strauss-Kahn qui n’a jamais été condamné (rappelons-le) dans aucune des affaires sexuelles dans lesquelles il était impliqué. La moralité l’a emporté sur le droit.

Et après tout, pourquoi pas ? Ce qu’on demande maintenant aux responsables politiques, candidats aux plus hautes charges, ce n’est pas d’être exemplaires, c’est d’être insoupçonnables. Pas sûr que cela va continuer à susciter des vocations chez les personnes les plus vives et les plus intelligentes. La pauvreté intellectuelle de la classe politique américaine (au contraire de la classe politique française) donne peut-être un petit aperçu du futur du paysage politique français. À bon entendeur…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 février 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Fillon, victime de la morale ?
Une affaire Fillon avant l’heure.
François Fillon, artisan de la victoire du Président Macron.
L’élection d’Emmanuel Macron le 7 mai 2017.
Matignon en mai et juin 2017.
François Fillon et son courage.
Premier tour de l'élection présidentielle du 23 avril 2017.
Macron ou Fillon pour redresser la France ?
François Fillon, le seul candidat de l’alternance et du redressement.
Programme 2017 de François Fillon (à télécharger).
La Ve République.
L’autorité et la liberté.
Un Président exemplaire, c’est…
Interview de François Fillon dans le journal "Le Figaro" le 20 avril 2017 (texte intégral).
Interview de François Fillon dans le journal "Le Parisien" le 19 avril 2017 (texte intégral).
Discours de François Fillon le 15 avril 2017 au Puy-en-Velay (texte intégral).
Discours de François Fillon le 14 avril 2017 à Montpellier (texte intégral).
Discours de François Fillon le 13 avril 2017 à Toulouse (texte intégral).
Tribune de François Fillon le 13 avril 2017 dans "Les Échos" (texte intégral).
Discours de François Fillon le 12 avril 2017 à Lyon (texte intégral).


 


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