François Hollande passe des entretiens d’embauche devant les journalistes qui jouent avec les Perdus du Socialisme
par Bernard Dugué
mercredi 6 avril 2011
Je croyais comme beaucoup de gens que la politique était une pratique se plaçant au-dessus des marchés et de l’économie. Mais peu à peu, je fus convaincu, comme beaucoup de gens, que la politique était une sorte de marchandise que des chargés de communication vendaient avec force affiche et slogan. Le candidat à l’image du baril de lessive qui gouverne plus proprement que ses concurrents. Et puis, contrairement à beaucoup de gens, j’ai pris quelques distances avec les images trop faciles. A force de dénoncer la politique marchandise, les gens ont fini par s’y habituer et considérer cette pratique comme incontournable. Pour preuve, cette attente et ce désir de primaires. Le PS est, comme les Verts, fier de ses « primaires qui marquent la bonne santé de la démocratie ». Oui, sauf que dans le contexte actuel, les primaires sont instrumentalisées par les médias et les candidats si bien que la politique n’en ressort pas grandie et qu’à trop vouloir coller au plus près des désirs démocratiques, on atteint non pas le citoyen en visant le peuple mais on capte la populace. Avec la complicité des journalistes qui ont trouvé là un filon pour faire de l’audimat, en se concurrençant pour avoir les vedettes les plus en vue. Ces journalistes qui en titillant les Hollande, DSK et autre Copé jouent à se mettre en valeur, à l’instar des Drucker, Ardisson et autre Lumbroso émoustillés de se trouver sur un plateau auprès d’un Johnny ou d’une Farmer Mylène.
On l’a vu sur le plateau de Canal Plus, on l’a aussi un peu entendu sur les ondes de France Inter, cette mise en situation du candidat aux primaires François Hollande devant répondre aux questions des journalistes comme s’il passait un entretien d’embauche. Ce détournement de situation était flagrant chez Denisot et ses acolytes, joyeux drilles prêts à cuisiner un jovial Hollande comme s’il était un commercial ou un ingénieur devant passer un entretien pour occuper le poste. Ceux qui sont passés par cette étape connaissent bien les marronniers déclinés en tests de personnalité. Le prétendant doit persuader son jury qu’il est extrêmement motivé pour occuper le job, qu’il est forcément le meilleur, que ses concurrents son bons mais pas autant que lui, qu’il a exercé des compétences dans des domaines similaires. Le psychologue de la direction du personnel cherchera les failles logées au sein des détails. N’ont-ils pas questionné Hollande sur quelques faiblesses en international ? Mais l’ex secrétaire du PS fit valoir que sa fonction lui permit de beaucoup voyager et de connaître pleins de pays dans le monde et en particulier ceux de l’Europe où les responsables socialistes des pays membres se réunissent régulièrement. Hollande, il a connu Schröder, Blair, Zapatero. Autre question un peu plus perfide, celle que le psy du personnel adresserait à un haut cadre sur sa tenue irréprochable. Compte tenu de ses antécédents de baba cool, l’intéressé sera-t-il en toutes occasions tiré à quatre épingles, les chemises repassées encore mieux que celles de BHL ? Une question du même acabit fut posée à Hollande sur sa perte de poids. Comme si ce détail était indispensable à la fonction présidentielle. Dans tout entretien d’embauche qui se respecte, il y a une question qui ne doit pas être posée mais qui le sera, sur la vie privée. Eh bien nos journalistes de Canal l’ont posée, cette question sur une rumeur d’une réunion de famille des quatre enfants du couple Royal Hollande ayant demandé aux parents de ne pas se déchirer en promettant qu’un seul serait candidat aux primaires. Où sont-ils allés cherchés cette rumeur à l’ère ou BHL découvrit un philosophe nommé Botul ? Peut-être sur le Net où cette info a dû être sans doute publiée un premier avril.
Voilà donc une singulière situation où nos journalistes sont transformés en psychologues et autres évaluateurs de candidats faisant passer des entretiens d’embauche aux futurs présidentiables se présentant aux primaires ou même directement. C’est la nouvelle forme de démocratie qui arrive. La démocratie médiarchique et évaluatrice. Le peuple fait passer des entretiens aux candidats mais comme cela ne peut se faire dans des millions de foyers alors il y a des représentants des Français qui évaluent les candidats, ce sont les journalistes. Seul problème, ils ne sont pas élus. Mais cela n’est qu’un détail à l’époque où le politique se rapproche du genre burlesque. Sur les ondes de France Inter, le déroulement de l’entretien fut un peu différent, prenant la forme d’une évaluation d’un programme présenté comme un produit d’appel par François Hollande devenu pour la circonstance représentant de commerce. Impossible de contourner la question budgétaire. Et Hollande obligé de reconnaître que, vu l’état des finances et de la croissance, eh bien les murs de la maison seront posés en 2012 mais que le gros œuvre ne sera construit qu’à partir de 2013 et qu’enfin, selon l’état de la croissance et la bonne volonté fiscale des riches et la modération de l’armée, l’électricité et la plomberie, seront peut-être livrées en 2014 ou 2015 s’il y a encore des sous dans la caisse.
Deux enseignements à tirer s’il y en a. D’abord le nouveau rôle que les journalistes se sont octroyés, eux qui il y a quarante ans étaient un peu les valets du pouvoir et à l’ORTF, la voix de la France érigée en parole de l’Etat. Comme dans The Servant, le film de Losey, le valet s’est transformé peu à peu en maître et celui-ci, auparavant aristocrate de grande fermeté, abandonna ses caractères et sa volonté. Sans aller jusqu’à une stricte comparaison, on saura reconnaître les similitudes et l’avènement de politiciens au caractère perfectible prêts à se soumettre aux questionnements des journalistes (C’est le cas du pâlichon Benoît Hamon mais aussi de Rama Yade, plutôt caractérielle sur les bords, qui est à Angela Merkel ce que Loana est à Liz Taylor, aurait dit Stéphane Guillon). Second enseignement, la stratégie des primaires qui hélas, offre un semblant de démocratie en échange d’une soumission aux petits chefs de l’info. Comment interpréter ce choix effectué par les Verts et le PS ? Une piste serait d’envisager un transfert de responsabilité vers le choix des sondages et la médiation des directeurs d’embauche, afin de calmer les guerres internes propres à ces deux partis. Il en résulte cette situation incongrue des prétendants aux primaires socialistes devant jouer les représentants de commerce pour vendre un programme qu’ils n’ont pas rédigé. Ce qui revient à mettre des œillères aux intéressés dont on attend plutôt qu’ils parlent d’une certaine vision de la France pour l’avenir afin de nous convaincre qu’ils seront les bons gouvernants. Sans vigie, un capitaine peut risquer d’échouer un navire même s’il dispose des meilleures feuilles de route.
C’est justement cette question d’une personnalité forte et ferme, intelligente et visionnaire, nécessaire pour diriger le pays dans un monde chaotique, qui ne veut pas être posée et se trouve occultée par le PS sous la gouverne d’une Martine Aubry qui semble jouer les intrigantes plus que la secrétaire d’un parti tentant de pousser en avant la France. A force de craindre les luttes intestines et les débats houleux, la stratégie du programme unique et pour chacun finit par être contre-productive car ce programme n’est pour personne. La direction du PS croit au mythe de l’unité, de la synthèse et du lissage. C’est à rebours mais pas en avant que se projettent les Socialistes. Devenus non plus la machine à perdre, mais la machine qui tente d’éviter de se perdre dans un monde complexe, dévoilant ainsi l’égarement de ce parti, hélas.