Frexit : il est urgent d’attendre

par Fergus
mercredi 29 juin 2016

Les conséquences du Brexit n’en finissent pas de faire des vagues. Et comme l’on pouvait s’y attendre, quelques politiciens et de nombreux internautes exigent que soit organisé en France un référendum sur le maintien ou non de notre pays dans l’Union Européenne. Une initiative à haut risque dont beaucoup ne mesurent pas la portée...

Les jeux sont faits et, de fait, rien ne va plus pour le Royaume-Uni au lendemain du Brexit. David Cameron, persuadé d’une victoire confortable, a engagé sur un coup de poker politique son pays dans la voie référendaire avec un double objectif en grande partie lié à la pérennisation de son propre pouvoir au 10 Downing Street : 1) resserrer autour de lui les rangs des conservateurs ; 2) diminuer dans l’opinion britannique l’influence croissante du parti populiste UKIP en infligeant à celui-ci une défaite aux effets durables.

Or, rien n’a fonctionné comme l’avait voulu David Cameron : entre la révolte des populations rurales et celle des classes populaires dans les anciennes villes industrielles sinistrées, les partisans du Brexit ont eu beau jeu de dénoncer le carcan bruxellois et de pointer sur l’immigration un doigt accusateur. Comme l’on pouvait s’y attendre, cela s’est fait sans la moindre mesure dans une campagne électorale marquée, dans chaque camp, par des mensonges éhontés et des intimidations caricaturales. Le coup de grâce est venu du Sun : en affichant à la Une son soutien inconditionnel au camp du Brexit, le très populaire tabloïd a probablement rallié à la cause du « Out » nombre d’électeurs hésitants.

Le Brexit entériné, le Royaume-Uni donne désormais l’impression d’un pays sous le choc, habité par des électeurs qui ne parviennent pas à se débarrasser de leur gueule de bois. Comment pourrait-il en aller autrement alors que David Cameron, défait, a dû annoncer son départ ? Alors surtout que les figures emblématiques de la campagne en faveur du Brexit, Nigel Farage et Boris Johnson, donnent l’impression de poules qui ont trouvé un couteau, autrement dit de vainqueurs incapables de mettre en musique les effets de leur victoire. Entre ces gagnants déconfits et les trois-quarts de parlementaires restés favorables au maintien dans l’Union Européenne, on comprend aisément le désarroi des Britanniques.

Et ils ne sont pas au bout de leurs peines, ces pauvres Britanniques, entre la possible – sinon probable – sécession de la très europhile Écosse, et les difficultés économiques à venir. Car le Royaume-Uni pourrait souffrir d’un Brexit non anticipé et potentiellement porteur d’effets dévastateurs sur l’économie du pays, le pouvoir d’achat des citoyens et le marché de l’emploi.

Un déficit du commerce extérieur catastrophique

Or, il faut savoir que la situation n’est déjà pas brillante. Certes, la position de la place financière de Londres et les activités de la City semblaient jusque-là florissantes, mais masquaient artificiellement une réalité nettement moins glorieuse : l’abandon de l’activité agricole et, plus inquiétante, la quasi disparition de toute industrie au profit d’une économie financiarisée très largement hors-sol.

Le Royaume-Uni, c’est en 2015 5,1 % de déficit public contre 3,5 % en France ; 90,6 % de dette publique contre 95,7 % pour la France ; 162 milliards d’euros de déficit du commerce extérieur contre 45,7 milliards en France ! Et l’on dit de la France qu’elle ne va pas bien ! Que penser de la situation britannique sur les mêmes critères, sinon que le Royaume-Uni se porte encore plus mal ? Certes, l’on peut évoquer le taux des demandeurs d’emploi, en apparence nettement plus favorable aux Britanniques, mais chacun sait que ces données sont à prendre avec des pincettes eu égard au nombre effrayant outre-Manche de petits boulots à temps partiel et sous-payés.

Brexit oblige, le Royaume-Uni va devoir affronter dans les prochains mois les effets du référendum, et s’ils n’entendent pas « punir » les Britanniques, les Européens – après quelques hésitations d’Angela Merkel – ne sont pas moins solidaires pour exiger une mise en route rapide du processus de sortie sans la moindre négociation préalable, ne serait-ce que pour réduire les incertitudes des marchés potentiellement génératrices d’une réduction des investissements et, en corollaire, d’un ralentissement de l’activité.

Difficile de savoir ce qui va se passer réellement. Les experts en économie eux-mêmes divergent sur les scénarios envisageables. Mais une chose semble évidente : Londres ne pourra plus prétendre garder intact l’ensemble de ses positions, et il est probable qu’un certain nombre de sièges sociaux soient transférés vers Amsterdam, Francfort ou Paris, ainsi qu’une partie de l’activité des grands groupes bancaires. De même est-il devenu aberrant que 40 % des transactions en euros se fassent à la City alors que le Royaume-Uni, déjà absent de la zone euro, décide de sortir de l’Union Européenne.

Tout cela nous amène à la situation de la France. D’ores et déjà, des voix s’élèvent pour demander à l’exécutif l’organisation d’un référendum portant sur le maintien ou non de la France dans l’Union Européenne. Autrement dit, l’opportunité d’un « Frexit ». Des voix en l’occurrence minoritaires et pas forcément bien inspirées. La sortie du Royaume-Uni va en effet offrir un cas exemplaire des conséquences d’un départ de l’Union Européenne. Dès lors, est-il raisonnable de s’emballer sur un processus des plus aléatoires alors que dans un délai de quelques années il sera possible de mesurer de quelle manière le Brexit aura été profitable au Royaume-Uni ou, a contrario, se sera révélé négatif pour le pays et pour ses habitants.

En matière de Frexit, il est surtout urgent d’attendre.

C’est apparemment ce que pense une majorité de Français si l’on en croit deux sondages parus à quelques jours d’intervalle. Le premier, réalisé pour Paris-Match et I-télé par l’institut Odoxa les 23 et 24 juin, portait sur une question claire : « Seriez-vous favorable ou opposé à ce que la France sorte de l’Union Européenne ? ». Il y a été répondu « favorables » par 35 % des personnes interrogées contre 64 % de sondés «  opposés  » à cette sortie de l’UE, 1 % ne se prononçant pas. La seconde enquête, réalisée par TNS-Sofrès pour Le Figaro et RTL du 24 au 27 juin, posait elle aussi une question claire : « Si un tel référendum était organisé en France, quel serait votre vote ? » 33 % des sondés ont opté pour la sortie de l’Union Européenne tandis que 45 % se déclaraient pour le maintien dans l’UE, 22 % ne donnant pas de réponse à la question posée.

Des résultats certes contrastés dans le traitement des indécis – Odoxa ayant manifestement incité ces derniers à trancher contrairement à TNS-Sofrès –, mais des résultats néanmoins convergents : malgré les nombreux griefs contre l’autoritarisme de Bruxelles et la perte de souveraineté sur de nombreuses questions ne relevant pas de la politique communautaire telle qu’ils la souhaitent, nos compatriotes ne veulent pas que la France sorte de l’Union Européenne. Ils étaient d’ailleurs très favorables au maintien du Royaume-Uni dans l’UE et considèrent, à une très large majorité, que le Brexit va se révéler négatif, non seulement pour les Britanniques, mais également pour notre pays.

Il va de soi que ces données ne vont pas dans le sens souhaité par les tenants d’un « Frexit », notamment chez les populistes du Front National dont les relais sur le net ne se privent pas de dénoncer la non-fiabilité des instituts de sondage, prétendument au service de l’oligarchie et de ce fait vecteurs de chiffres arrangés pour servir les intérêts des puissances industrielles et financières. On peut toujours croire cela, ou affecter de le croire, mais c’est faire fi d’une réalité constante : seuls ceux dont les intérêts politiques sont desservis par les résultats des sondages en contestent la validité, les mêmes personnes s’empressant d’en brandir les résultats lorsqu’ils leur sont favorables.

En 2005, les sondages avaient donné le NON vainqueur

Pour se convaincre de l’absurdité de ce procès récurrent, il suffit de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur pour observer ce qui s’est passé en 2005 en amont du référendum sur le projet de traité constitutionnel européen dont le verdict a été si scandaleusement bafoué par Sarkozy et les membres du Congrès en février 2008. Pour mémoire, rappelons que tous les « partis de gouvernement » et la quasi-totalité des éditorialistes appartenant aux grands médias appelaient à voter OUI. Or, si la plupart des sondages ont été favorables au OUI durant la campagne, le fait est que cette tendance a progressivement diminué pour s’inverser en fin de campagne au fur et à mesure de la prise de conscience par nos compatriotes de l’essence libérale et castratrice du projet. Une inversion qui s’est produite malgré un matraquage sans précédent en faveur du OUI. Et c’est ainsi qu’avant le scrutin le NON était donné gagnant par la plupart des instituts, à l’image de : CSA, 55 % pour le NON ; Louis Harris : 54 % pour le NON ; IFOP : 53 % pour le NON !!! Qui peut sérieusement croire que des instituts aux ordres des gouvernants auraient publié de telles prévisions annonciatrices d’un désaveu aussi cinglant des grands partis et des médias mainstream ?

Pour en revenir à l’Union Européenne, le fait est que, secouée par le Brexit et menacée par la montée concomitante des populismes, elle va devoir impérativement revoir sa copie sous une forme ou une autre. Les 27 chefs d’état et de gouvernements prendront-ils la mesure de la nécessité et de l’urgence ou se contenteront-ils de mesurettes de façade destinées à enfumer les peuples ? L’avenir nous le dira. Mais si rien de significatif ne se passe, sans doute faudra-t-il brandir la menace d’une sortie de l’Union Européenne. Et sur ce plan-là, c’est indiscutablement Jean-Luc Mélenchon qui est le plus crédible car lui, élu à la tête du pays, aurait sans nul doute le courage politique de tordre le bras aux partenaires timorés pour obtenir la négociation d’un nouveau traité.

Faute de quoi, si les Français en décidaient ainsi, la France sortirait de l’Union Européenne, ce qui entraînerait ipso facto la mort de l’UE, victime de sa fuite en avant libérale et de son mépris des peuples.


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