« Front républicain » : un concept dépassé
par Fergus
dimanche 1er novembre 2015
Le Parti Socialiste étant menacé d’une nouvelle et sévère raclée électorale, Manuel Valls s’est récemment exprimé sur la conduite à tenir en vue du 2e tour des Régionales. Et le moins que l’on puisse dire est qu’il a fait preuve d’une rare hypocrisie en évoquant sans le nommer la possibilité d’un « front républicain »...
Invité du Bondy Blog le mardi 27 octobre, Manuel Valls a bien évidemment été interrogé sur la possibilité d’un succès du FN dans une ou plusieurs régions aux Élections régionales de décembre. « Tout devra être fait pour l’empêcher », a affirmé le Premier ministre.
Eu égard à l’état de déliquescence de la gauche socialiste, entraînée vers les grands fonds par la mise en œuvre d’une politique contraire aux engagements de campagne de 2012, ce n’est pas à l’illusoire victoire, dans les régions menacées, du PS sur le FN que faisait allusion Manuel Valls, mais bel et bien à la mise en œuvre d’un « front républicain » destiné à barrer la route du pouvoir régional aux listes du FN.
En l’occurrence, Manuel Valls se garde bien d’expliciter ce qu’il a véritablement en tête. Ce qui ne manque pas, soit dit en passant, de susciter une belle confusion avec les commentaires de Jean-Christophe Cambadélis, ci-devant « patron » du PS et inénarrable promoteur d’un récent référendum en forme de gag qui n’a pas été sans rappeler le regretté Coluche : entre les électeurs de gauche et ceux de droite, « La France est divisée en deux, je veux qu’elle soit pliée en quatre ! » a semblé dire le boss du PS, l’homme au look de conseiller général de la 4e République visitant un Comice agricole. Mission réussie, Camba ! Merci pour ce moment de franche rigolade.
Mais revenons à Valls et ses moutons électoraux. En réalité, deux scénarios sont possibles :
1) Le front républicain classique : Valls demande, entre les deux tours des Régionales, aux candidats des listes socialistes arrivées en 3e position derrière le FN et LR dans les régions menacées de sortir du jeu pour laisser le champ libre aux candidats de droite et battre ainsi le Front National. Inconvénient pour le PS : il n’aura plus d’élus durant 6 ans et ne pourra plus peser, ni dans les débats, ni dans les réseaux locaux ! Avantage attendu pour le PS : il conforte son image – on ne rit pas ! – de « seul adversaire sincère » du FN.
2) Le front républicain d’union : Valls propose à la droite LR-UDI une fusion de leurs listes avec celles du PS entre les deux tours dans les régions où le FN a de réelles chances de l’emporter, soit au détriment de la gauche, soit à celui de la droite. Inconvénient, et il est de taille dans l’optique des rendez-vous électoraux de 2017 : donner du grain à moudre au FN et à son discours sur la consanguinité des deux grands partis « de gouvernement » qui ont accaparé le pouvoir depuis des décennies en privilégiant le capital à l’intérêt des classes populaires ; « l’UMPS » n’ayant plus cours, vive « L’herpès* », encore plus dévastateur ! Avantage escompté : les compères LR et PS écartent le danger FN et se partagent le gâteau régional : la présidence et la majorité régionale pour la droite, la minorité pour la gauche socialiste. Elle n’est pas belle, la vie politique ?
Christian Estrosi, clone de Marion Maréchal-Le Pen
Tout cela est évidemment du cirque pour électeurs naïfs : à droite comme à gauche, l’on veut avant tout conserver les postes de pouvoir dans le giron d’un bloc politique plus ou moins libéral, et plus ou moins soumis aux exigences du grand patronat, selon les sensibilités (affichées à défaut d’être réelles !). Avec, à la clé de ce manège, une alternance de connivence tacite visant à écarter toute voie politique alternative.
Or, clairement, dans le contexte socio-économique actuel la voie de l’alternance la plus plausible est celle que propose le Front National. Ce n’est pas réjouissant pour tous ceux qui, comme moi, rejettent le contenu d’un discours nationaliste et démagogique, principalement centré sur la désignation de boucs émissaires, et pour le moins avare de propositions crédibles. Mais le FN fait désormais partie de la vie politique française, au point d’en être devenu un acteur incontournable, au centre de toutes les manœuvres, de toutes les stratégies des partis traditionnels.
À cet égard, l’agitation des caciques de ces partis a quelque chose de pathétique : plus les uns tentent de décrédibiliser le FN, plus celui-ci monte, porté par l’exaspération des cocus d’un système doux pour les puissants et dur pour les faibles ; et plus les autres tentent, a contrario, de copier sa ligne politique, notamment en matière de sécurité et d’immigration, plus ils confortent eux aussi le vote Front National.
Dans de telles conditions, en appeler à un « front républicain », quelle qu’en soit la nature, n’a plus guère de sens au moment où un nombre croissant de Français se tourne vers le FN. Sauf à démontrer que ce parti ne respecte pas les règles démocratiques en vigueur, ce qui n’est pas le cas. Qui plus est, qui peut croire qu’une éventuelle alliance LR-PS au 2e tour en Paca n’aurait pas pour but de préserver coûte que coûte le gâteau – pouvoir et avantages afférents – à la lecture et à l’écoute du discours de Christian Estrosi, quasiment calqué sur celui de Marion Maréchal-Le Pen ?
Certes, le Front National peut l’emporter dans une ou deux régions au soir du 13 décembre 2015, et ce sera incontestablement le symptôme d’une grave maladie de notre système politique, gangréné par les dérives libérales et la course déraisonnable aux profits, au détriment des classes populaires et des droits sociaux. Rien d’étonnant pourtant dans cette probable avancée du FN : depuis longtemps, les caciques de la droite et de la gauche socialiste jouent avec le feu en méprisant le peuple de France.
Dès lors, de deux choses l’une : soit le FN fait la démonstration en région qu’il est capable de bien gérer, dans le respect des droits de tous, une entité politique dotée de responsabilités importantes et d’un budget significatif, et nombre d’entre nous devrons reconnaître notre erreur de jugement ; soit il n’est pas à la hauteur de ses nouvelles missions, et il disparaitra très vite de la vie politique. Mais au moins cet épisode aura-t-il ouvert la voie à l’urgente nécessité d’inventer un nouveau modèle politique, plus respectueux des attentes populaires et débarrassé des hideuses combines politiciennes qui ont prévalu jusqu’ici.
* Sorte d’acronyme phonétique sur les sigles LR et PS, de plus en plus utilisé sur les réseaux sociaux.