Génocide arménien, la démagogie en action

par Marc Bruxman
lundi 16 octobre 2006

Les députés de l’Assemblée nationale ont voté une loi criminalisant la négation du génocide arménien. Bien que cette loi parte d’un bon sentiment, elle est lourde de conséquences. En empêchant le débat contradictoire, on contribue à entretenir le doute sur le génocide, qui devient un dogme plus qu’un fait historique.

Car finalement, il y a deux façons d’enseigner l’histoire. La première, c’est d’asséner une suite de vérités comme on assènerait le dogme d’une religion. C’est très bien pour créer une cohésion commune au sein d’un même pays, mais à part cela, l’intérêt intellectuel est nul.

L’autre façon, c’est d’émettre des hypothèses et d’appliquer une démarche et un raisonnement qui permettent de comprendre le passé. Dans la suite, je prendrai l’exemple de la shoah, car je connais mieux ce génocide que le génocide arménien.

On sait aujourd’hui qu’on a retrouvé des corps issus de la shoah ainsi qu’un certain nombre de preuves qui indiquent qu’il y a eu un génocide. A partir de ces preuves, on a estimé le nombre de morts et reconstitué l’histoire de ce qui s’est passé. Les nombreux témoignages laissent penser que la vérité reconstituée est quasi exacte. Si des différences existent, elles sont mineures, et ne viennent pas remettre en question l’existence du massacre des juifs d’Europe.

Dans certains pays, comme les Etats-Unis, la shoah reste un fait historique. On est libre de le nier à condition :

Visiblement, les Américains sont convaincus que le génocide a eu lieu. Il faut dire que, vu les preuves existantes, il serait difficile d’établir une quelconque théorie du complot. Bien sûr, certains s’y amusent. On trouve sur Internet nombre de textes infâmes, comme le Rapport Leuchter, qui tentent de faire croire à qui veut bien les lire que les chambres à gaz n’ont pas existé. Heureusement, une simple recherche Google pour trouver ce texte renvoie en premier lien le site de Nizkor.org, un site qui s’occupe à démonter les écrits révisionnistes de façon méthodique. Les gens de Nizkor ont fait un pari : ils ne disent pas : "C’est n’importe quoi, on refuse même de commenter", ils lisent et réfutent point par point le texte révisionniste, comme s’il était digne d’intérêt. Et bien sûr, à l’issue de cette réfutation, le peu de crédibilité qui restait à ces documents révisionnistes est anéanti. La création de ce genre de sites est un travail remarquable contre les révisionnistes.

Au contraire, en France, on adopte la méthode du dogme. Il faut croire que le génocide a existé, et ne pas le remettre en cause. Or, cela crée une grande fragilité pour les individus qui vont se retrouver confrontés à des écrits révisionnistes qui circulent sous le manteau (sur Internet). Ces personnes pourraient en déduire que si le pouvoir leur interdit la lecture de ces documents, c’est qu’il a quelque chose à cacher. Le pire, c’est que ces documents sont suffisamment bien faits pour instiller le doute dans un esprit faible qui n’aurait pas été préparé. D’où l’importance d’insister sur l’esprit critique, et donc de tolérer une remise en cause du génocide. Il sera de toute façon difficile de faire croire à des gens sains d’esprit que celui-ci n’a pas existé.

Un bon cours d’histoire sur les génocides devrait justement couvrir l’étude du fait révisionniste en présentant ces documents et en montrant (comme le fait Nizkor) pourquoi ils sont infondés, et pourquoi des gens ont intérêt à publier ces documents ignobles.

Cela ne nous rendra pas plus antisémites que les Américains (qui abritent et respectent une très importante population juive) et garantira que la mémoire des génocides restera longtemps présente dans nos esprits.

Certes, il restera le problème des gens qui peuvent être blessés par la négation du génocide. Mais, d’une part, c’est un problème limité dans le temps (par la mort de ceux qui ont vécu le génocide soit directement, soit par la mort d’un proche) et d’autre part, il est possible de les aider en leur montrant que leur travail de mémoire est utile. C’est avec l’aide de ceux qui ont vécu le génocide qu’on pourra faire taire un par un ceux qui le nient. Et chaque porte ouverte par les négationistes et fermée par les autres est une brêche colmatée qui ne pourra plus être enfoncée !

C’est pour ces raisons que je pense que l’Assemblée nationale a commis une énorme bêtise en interdisant la négation du génocide arménien. Non que je souhaite le nier, mais, au contraire, parce que qu’il existe réellement dans le débat historique, il est nécessaire de pouvoir le contredire.


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