Gilets Jaunes, la fin et les tartufferies macroniennes

par LATOUILLE
samedi 6 avril 2019

 

Que sera le 22ème samedi du mouvement des Gilets Jaunes ? Même si les chiffres que donnera le Ministère de l’Intérieur, complaisamment relayés par les médias, seront très en-dessous de la réalité du terrain des manifestations, nous constaterons l’affaiblissement, en marche depuis quelques semaines, du mouvement. Est-ce la fin des Gilets Jaunes ? Peut-être pas, mais force est de constater que le mouvement s’étiole comme le ferai une gangrène vaincue par la chirurgie et les antibiotiques. L’installation d’un climat de peur et l’instauration d’un ersatz de forum citoyen auront eu raison du soutien qu’une grande majorité des Français accordait au mouvement. Sans doute faudrait-il ajouter aux causes de l’affaiblissement d’autres raisons comme l’éparpillement des revendications, l’absence de structuration et de représentativité, mais les causes principales sont celles qui ont rencontré le manque de courage et d’engagement des gens ; les Français ne sont ni les Algériens ni les Vénézuéliens. Comment le seraient-ils alors qu’ils n’ont pas suffisamment faim ni de biens ni de démocratie ? Les Français, depuis les « Trente Glorieuses », se sont embourgeoisés, ils aiment la sécurité, l’ordre et baignent dans un pseudo confort. Ils attendent de l’Etat qu’il leur assure cette aisance, physique et morale, fusse au prix d’une perte de liberté. Les Français veulent de l’ordre et de la sécurité.

Le président de la République et son gouvernement savent cela et ont tout mis en œuvre pour pouvoir montrer qu’ils savent faire respecter l’ordre voulu par les Français. L’usage massif et souvent excessif des forces de maintien de l’ordre n’a pas d’autre fin que montrer l’autorité d’un Etat qui ne veut pas répondre aux revendications des manifestants que la prose des suppôts du macronisme largement relayée par une grande partie des médias a transformés en « casseurs » malfaisants comme s’ils n’avaient pas de revendication et que la violence soit leur seul objectif. Ainsi, de semaine en semaine les Gilets Jaunes n’ont été montrés dans la presse par une majorité de médias que sous l’angle de la violence. Dire qu’il n’y eut pas de Gilets Jaunes violents serait une faute, mais au regard du nombre de « casseurs » et de l’importance assez relative des dégâts, même si parfois elles ont touché des « symboles », des questions se posent.

Tout d’abord comment se fait-il en comparant les chiffres de participation aux manifestations extrêmement bas annoncés par le ministre de l’intérieur et le nombre considérable de forces de l’ordre que les violences puissent avoir été aussi considérables ? Alors que le ministre Gérard Collomb et le préfet de police Michel Delpuech avaient réussi à contenir les débordements face à 1200 blacks blocs à Paris ce 1er mai 2018, comment se fait-il que sous les ordres de Castaner ce fut un échec ? On a argué que la stratégie suivant laquelle les policiers étaient statiques serait la cause de cet échec, mais le 1er mai les policiers étaient tout aussi statiques. Surtout ce que montrent les vidéos des manifestations c’est, que statiques ou mobiles, les policiers chargent les manifestants jusqu’à les mettre en position d’être battus, dégommés, appréhendés, on l’a vu à Nice où Madame Legay a été grièvement blessée par les policiers lors d’une charge injustifiée sinon pour jouer les gros‑bras, à Toulouse où les policiers ont agressé un homme handicapé dans son fauteuil roulant, ou encore récemment à Besançon.

Comment expliquer que le 1er mai les policiers ont pu intercepter des blacks blocs et que maintenant ils nous racontent que ces blacks blocs sont tellement aguerris qu’il est quasiment impossible de les attraper ? Interrogeons-nous sur les discours des policiers qui nous parlent de la volatilité, à moins qu’il ne s’agisse de virtualité, des blacks blocs en même temps qu’ils nous disent savoirs qui ils sont, où ils sont et quand ils interviendront, et qui affirment ne pas pouvoir les empêcher préventivement d’agir alors qu’ils y avaient parfaitement réussi au moment de la COP21 (ce qui au passage montre qu’il n’était pas besoin d’une nouvelle loi).

Comment, par exemple, expliquer la survenue de prétendument blacks blocs ou « casseurs » venus d’autres départements sur un rond‑point au Pouzin, ville de 2861 habitants à 25km au sud de Valence, où s’étaient réunis moins de 200 Gilets Jaunes, et que des violences y aient éclaté et que la gendarmerie mobile soit intervenue dans un temps record ? Nous pourrions multiplier l’énumération des situations qui interrogent, est-ce nécessaire ?

Il s’installe un doute dans l’esprit des gens : y a-t-il réellement des blacks blocs ? Pour les tenants de l’ordre il devient évident que les casseurs ne peuvent être que les Gilets Jaunes, preuve en étant le nombre d’interpellations et de condamnations. D’autres, notamment après avoir vu le reportage de France3 Occitanie montrant des policiers déguisés en Gilets Jaunes interpellant de vrais Gilets Jaunes au milieu d’une manifestation à Montpellier, s’interrogent sur une vraisemblable infiltration des manifestations par des provocateurs à la solde du pouvoir (policiers ou autres, les services de police savent entretenir des « moutons »).

Jamais les médias n’ont interrogé ces faits, n’ont entrepris de véritables analyses des situations, n’ont comparé avec des situations antérieures ; ils se sont contentés voire satisfaits de mettre en avant la violence confortant ainsi la politique de la peur mise en place par le gouvernement. Les médias ont aujourd’hui agi comme leurs aïeux en 1882 dans l'affaire de la Bande Noire[1] de Montceau‑Les‑Mines[2] : « Ce sont d’abord les dépêches de l’agence Havas qui fournissent les informations. Répondant à l’exigence de délivrer l’information le plus rapidement possible, sans réelle volonté d’envoyer des reporters sur place, tous les journaux de Paris et de province, exceptés bien sûr ceux de Saône‑et‑Loire, se contentent de publier ces dépêches qui présentent d’abord les auteurs des troubles comme des individus organisés en bande qui parcouraient les rues pendant la nuit, des brigands et des bandits recrutant parmi les vagabonds et les rôdeurs. », dans l’actualité des Gilets Jaunes on voit que le ministère de l'intérieur, seul à diffuser des chiffres et des informations de terrain, joue le rôle que joua l'agence Havas en 1882. Les méthodes violentes proches de celles utilisées par les anarchistes permit au Pouvoir de créer un fantasme collectif par une diffusion outrancière et augmentée des méfaits ; les chercheurs ont montré que ce fantasme collectif générateur de peur fut amplement entretenu par la presse de l’époque. Le pouvoir joua sur le besoin de sécurité des « bourgeois » et sur l’exploitation du thème de la république pour renforcer l’appareil législatif, judiciaire et policier. Cette affaire de la Bande Noire, avec ses arrestations nombreuses et souvent injustifiées avec les peurs qu’elle suscitât dans le public, présente beaucoup d’analogies avec le mouvement des Gilets Jaunes. La politique de la peur n’est ni une nouveauté ni une spécificité française, elle existe depuis longtemps et on en trouve une grande partie de l’histoire, les fondements et les mécanismes dans un remarquable livre[3] « La République à l’épreuve des peurs ». La seconde moitié du 19ème siècle et la première moitié du 20ème sont riches en situations montrant comment la peur a été utilisée comme moyen de gouvernement. Quels que soient les évènements (crimes ou attentats notamment ceux perpétrés par les anarchistes) le droit à la sécurité étant rappelé, les forces de l’ordre sont mises en avant : « le service rendu par la gendarmerie est le premier de ceux que les citoyens réclament de l’Etat : la sécurité[4]. »

La peur engendre un accroissement du besoin de protection, c’est ce que propose l’Etat en créant un espace public de sécurité pour faire face à l’espace oppositionnel qui s’est fait jour. Pour convaincre que la peur est bien là on met en avant les forces de maintien de l’ordre comme agent de protection de tous les citoyens, on exacerbe les violences voire on les crée ‑de façon réelle ou de façon fantasmatique‑ et on donne une face hideuse aux opposants décrits comme violents, mettant en danger le pays dans son économie comme dans sa structure politique. Le Pouvoir met alors en opposition un espace « bourgeois » (par opposition aux humbles) considéré comme espace légitime de formation et de diffusion de l’opinion contre un espace oppositionnel regroupant ceux qui mettent en péril les biens des personnes, l’économie du pays et les libertés (liberté de circuler, de travailler…) et donc la République voire la démocratie. La création de cet espace « bourgeois » permet au Pouvoir de mettre en place une régulation des idées et des argumentaires politiques ainsi que de réguler la diffusion de certaines idées.

La diabolisation des Gilets Jaunes dans le cadre d’une politique de la peur permet de séparer le bon grain de l’ivraie. Si vous rejoignez les Gilets Jaunes vous serez responsables des blessures que vous pourriez subir, vous aurez rejoint le camp des « malfrats », c’est là tout le fondement de la stratégie de discréditation de ce mouvement dans laquelle le gouvernement n’a cessé de mentir sur les chiffres de participation aux manifestations, sur l’effet délétère du mouvement sur l’économie, jusqu’à envoyer les policiers pleurer sur les plateaux de télévision et nous annoncer qu’avec la nouvelle stratégie, plus offensive, de maintien de l’ordre « la peur allait changer de camp ». Fallait-il en attendre plus d’un gouvernement dont la porte-parole fraîchement nommée avait déclaré : « pour protéger le président j’assume parfaitement de mentir ».

Une fois les citoyens séparés en bons et en mauvais, il faut diriger la pensée des bons, c’est l'objectif fixé au Grand Débat National dans lequel E. Macron qui en avait borné l’ampleur des sujets, vint renforcer le processus de développement du fantasme collectif de peur en s’étonnant que les Français n’aient pas évoqué le terrorisme, oubliant que ce thème ne faisait pas partie des questions qu’il avait proposée. Mais, ne fut qu’un Grand Monologue National pendant lequel le président, des ministres et des députés vinrent déballer leur propagande. Ce qui devait être un forum pour les citoyens a été organisé par E.Macron comme l’espace « bourgeois » de régulation des idées et des argumentaires politiques amplement orientés par le Pouvoir.

Ainsi, la politique de la peur entretenue par la création d’un espace « bourgeois » comme espace légitime de formation et de diffusion de l’opinion constituent une des plus belles et des plus remarquables des tartufferies et des manipulations politiques qu’a pu connaître notre pays. Les Gilets Jaunes n’avaient sans doute pas l'organisation ni la culture politique pour y faire face ce qui les amènera vraisemblablement à disparaître, sauf à créer une structure de communication, sans que la « masse molle » de la société n’en dise rien tout en profitant des rares produits obtenus à la suite des manifestations comme le gel de la taxe sur les produits pétroliers, l’augmentation de la prime d’activité, la ré‑indexation des retraites… autant de mesures temporaires et limitées à quelques citoyens seulement mais à propos desquelles chacun dira que le gouvernement a fait des efforts considérables parce qu’il a su « entendre » bien qu’en « même temps » il continue son œuvre progressiste dans le cadre d’un mode de gouvernement organisé autour de la peur et du mensonge.

 

[1] On attribuât la dénomination de « Bande Noire » à un groupe d’émeutiers rassemblés à l’issue de l’échec de la grève des mineurs de cette ville.

[2] Bogani L., Soulier S., Péril social et société assaillie, dans La République à l’épreuve des peurs.

[3] Bogani L., Bouchet J., Bourdin Ph., Caron J‑C., La République à l’épreuve des peurs, Presses Universitaires de Rennes.

[4] Lopez L., Sauver la France, défendre la République, protéger les citoyens, dans La République à l’épreuve des peurs.


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