Gilets Jaunes : révélateurs d’une dictature naissante

par LATOUILLE
vendredi 29 mars 2019

 

À la suite d’un billet sur Facebook je me suis fait prendre à parti par une personne qui me reprochait de ne pas savoir ce qu’est une dictature ; entendait-elle que je ne connaîtrais pas la définition du mot et du concept ou supposait-elle que je n’aurais jamais vécu dans un pays « sous dictature ». Concernant ce deuxième point qu’elle se rassure j’ai séjourné en Chine une quinzaine de fois entre 1992 et 2008 et j’ai travaillé de décembre 2010 à août 2015 dans un pays d’Afrique. Il y a sans doute pire comme « dictature » mais avoir sa vie sous surveillance policière, ne pouvoir ni dire se déplacer en totale liberté, côtoyer une presse libre qui chaque jour court le risque d’être supprimée, subir les contrôles policiers rudes qui risquent au moindre mouvement de devenir violents, etc, j’ai connu.

 À propos des dictatures Maurice Duverger[1] écrit : « À l’origine, la notion de dictature correspond à un régime transitoire, basé sur la force, non conforme au système de légitimité admis généralement par la société où il fonctionne, dont le but est, soit de maintenir l’ordre en face de circonstances exceptionnelles, soit d’accélérer la mise en place d’un système nouveau. Mais, une fois établies, les dictatures tendent à se perpétuer et leur caractère transitoire s’atténue. Certaines s’affirment d’ailleurs permanente dès l’origine : l’hitlérisme prétendait créer un “Reich millénaire”. En fait le terme “dictature” désigne aujourd'hui tous les régimes autoritaires non héréditaires. »

 

 Ce n’est pas sur une hypothétique illégitimité d’E. Macron, même si nous devons interroger sa légitimité « populaire » (ou charismatique), que peut reposer l’analyse d’une proximité entre le pouvoir macronien et une dictature ; c’est sa survenue subite dans la sphère politique, la façon dont il est arrivé au pouvoir et la manière dont il l'exerce qui peuvent amener les questions autour d’un engendrement, lent et progressif, d’un État autoritaire puis dictatorial. Si la légitimité légale d’E. Macron n’est pas remise en cause, cela ne suffit pas à écarter la survenue d’une dictature car l’histoire montre que nombre de dictatures ont débuté par une élection « normale », comme celle de Napoléon III ou celle de Mussolini.

 

 C’est donc autour des caractéristiques de l’exercice du pouvoir qu’il faut faire porter l’analyse. D’abord rappelons-nous qu’un pays, qu’une société, ne sont pas des objets amorphes et inertes, ce sont des systèmes vivants qui changent et qui évoluent. Comme l’écrit Maurice Duverger « Aucun système social ne fonctionne de façon régulière, sans à-coup. Tous sont traversés en permanence de crises plus ou moins nombreuses, plus ou moins aiguës. Mais ces crises courantes, habituelles, normales, ne dépassent pas un certain niveau. Au contraire, surgissent parfois des crises beaucoup plus graves, correspondant à un ébranlement profond du système. Tel est le type de crise qui engendre les dictatures. » Depuis le mois de novembre 2018, la société française vit une de ces crises paroxystiques comme elle en a déjà connu. Si E. Macron n’est pas seul responsable des causes de cette crise, il est, seul, l’auteur des conditions de son éruption. De multiples symptômes avant‑coureur se sont montrés durant les 18 premiers mois de son mandat. E. Macron n’a traité ces symptômes que par le mépris, campé qu’il est dans ses certitudes comme tout narcissique. Un examen clinique minutieux de la société et de son malaise aurait permis de poser un diagnostic et de proposer un traitement. E. Macron a choisi, le 10 décembre 2018, de ne répondre que partiellement à la problématique du pouvoir d’achat en lançant à la volée10 milliards d’euros mais beaucoup sont exclus de cette manne et rapporté aux individus le gain est faible et en grande partie ponctuelle et éphémère, et de proposer une opération d’enfumage digne de la meilleure des propagandes le Grand Débat National. Il fallait un traitement de choc : faire une pause dans les réformes, poser de nouvelles orientations politiques avec de nouvelles bases de gouvernance ce qui imposait le renvoi du gouvernement et la dissolution de l’assemblée nationale, mais n’était-ce pas se désavouer ?

 

 Face à l’échec de son traitement et à la persistance des manifestations il a choisi d’étouffer la « rébellion » et de couper les manifestants du reste de la population comme on le fait dans une dictature[2] par l’usage de la force et par celui de la propagande : « Dans les bouleversements si radicaux, on recourt à la manière forte pour faire face à la situation, parce que les institutions normales paraissent insuffisantes. » L’usage de la force débute par la répression qui vise à mettre les opposants hors d’état d’agir, on se souviendra des perquisitions surprises chez Jean-Luc Mélenchon et chez de nombreux membres de la France Insoumise, et à Médiapart. Cette répression s’est portée surtout, bien évidemment, sur les principaux marqueurs de l’opposition à la politique d’E. Macron : les Gilets Jaunes, avec une incroyable, et jamais vue, quantité d’arrestations, de condamnations et d’incarcérations dont d’ailleurs la ministre de la justice se vantait le samedi 23 mars à l’aube du 19ème samedi de manifestation : « Nous serons sans merci pour les casseurs [...] Ce que veulent ces gens, ce n'est pas le dialogue, leur seule revendication c'est la violence », et de vanter quelques jours plus tard les 9000 interpellations. Le pouvoir sera sans merci ! Au-delà de la détermination à maintenir l’ordre et à assurer la sécurité il y a une volonté forte à détourner le reste de la population d’imiter les opposants au pouvoir.

 

 Jusqu’à présent nous échappions à deux autres caractéristiques d’une dictature : le recours à l’armée et la torture et les exécutions. Le « renforcement » des forces de la mission Sentinelle et l’autorisation qui leur a été donnée de faire usage de leurs armes doivent interroger notamment quand on entend les propos de la députée Claire O’Petit qui annonçait[3] que « l'armée pourra tirer sur les Gilets jaunes » ou encore ceux du premier ministre qui au JT de 20h de France2 n’excluait pas qu’il puisse y avoir des tués en précisant qu’ils ne devraient leur mort qu’à eux-mêmes puisqu’ils n’auraient pas dû venir manifester. Si la France échappe à la mise en œuvre de la torture, nous ne sommes pas loin des exécutions programmées par le Pouvoir quand nous relevons les propos de Luc Ferry qui préconise que les policiers fassent usage de leur arme, et qu’à chaque manifestation nous pouvons joindre des actes de brutalité policière dénoncés par la commission des Droits de l’Homme de l’ONU. Ne faut-il pas voir dans les propos de Benoît Barret secrétaire général adjoint de Alliance (France Info samedi 23 à 15h12) la volonté du gouvernement d’installer, sournoisement, un État policier : « la peur doit changer de camp  », « la tolérance zéro, toutes les personnes interpellées doivent être condamnées sévèrement  » ; ainsi aujourd’hui la police aux ordres du gouvernement (je l’évoque dans mon livre Gilets Jaunes, et en même temps) tend à indiquer à la justice (indépendante ?) comment elle doit juger.

 

 C’est dans ce cadre organisé sur deux axes : répression et propagande visant à discréditer les manifestants que le commentaire d’E. Macron à propos de la dame blessée à Nice doit être vu : « Je souhaite d'abord qu'elle se rétablisse au plus vite et sorte rapidement de l'hôpital, et je souhaite la quiétude à sa famille. Mais pour avoir la quiétude, il faut avoir un comportement responsable. », « Quand on est fragile, qu'on peut se faire bousculer, on ne se rend pas dans des lieux qui sont définis comme interdits et on ne se met pas dans des situations comme celle-ci. » Il soulignait « cette dame n'a pas été en contact avec les forces de l'ordre » et dans Nice Matin du 25 mars il ajoutait qu’il souhaitait à cette dame « un prompt rétablissement, et peut-être une forme de sagesse ». Nous passerons sur l’irrespect et l’irrévérence de ces propos d’un freluquet qui s’adresse à une personne qui a l’âge d’être sa grand-mère et dont la vie militante ne montre pas qu’elle ne soit pas pleine de sagesse.

 

 La propagande et la séduction sont les stratégies favorites d’E. Macron, c’est la raison pour laquelle il s’est entouré d’autant de communicants plus formés à vendre de la lessive qu’à faire de la politique, c’est-à-dire à s’occuper du bien public, mais ils ont lu Edward Bernays[4] et ils savent que les règles de la communication commerciale sont les mêmes que celles de la communication politique. Ainsi, la façon dont a été organisé le Grand Débat imposé par E. Macron, notamment sa rencontre avec 64 « intellectuels » puis avec des enfants de 10 ans dans une école, montre cette volonté de propagande dont le déploiement sert à masquer le caractère conservateur du régime macronien qui tend, en matière de droit social des salariés, à faire revenir la France sur des pratiques proches voire identiques à celle de la fin du 19ème siècle. Cette volonté conservatrice est dissimulée par la mise en avant de la jeunesse d’E. Macron (on oublie son inexpérience) et par à la fois la rapidité dans les propositions de réformes sociales et économiques et par une volonté réformiste du régime « pour donner à celui-ci un caractère très novateur, voire révolutionnaire[5] ». Sauf que les quelques bribes de propositions lâchées par E. Macron à propos de la réforme des institutions montrent qu’il souhaite affaiblir la représentation populaire donc l’opposition à son pouvoir : diminution du nombre de députés, fusion du sénat avec le conseil économique, social et environnemental, affaiblissement des prérogatives de la cour des comptes, la mise sous véritable tutelle des collectivités territoriales par la suppression de la taxe d’habitation (imparfaitement compensée) et par le contrat[6] financier État-collectivité à l’objectif louable mais aux intentions sataniques : « À contrario, des pénalités sont prévues pour les collectivités qui ne respecteront pas leur contrat, ainsi que pour celles qui refuseront de signer. » Peut-on penser que la suppression des jurés populaires dans les procès aux assises serait une avancée démocratique alors qu’il n’y a que dans les dictatures où cela existe ?

 

 Toutefois, le « chef » ne peut rien tout seul, il a besoin d’une cour comme l’explique Maurice Duverger : « Cependant, le dictateur n'est jamais séparé du parti. Au contraire, les dictatures capitalistes déifient la personne d’un dictateur. » E. Macron a créé son parti : La République en Marche, pour le servir et servir son ambition. Relayant le travail de propagande, les discours monocordes et surtout monosémiques des députés de la République en Marche propagent la glorification de l’action du chef. Dans une dictature on fait du leader « un surhomme, un homme providentiel, doué de plus de clairvoyance que les autres, capable de comprendre et d’exprimer les forces mystérieuses de la collectivité. L’idée des rois-dieux ou de rois élus de Dieu réapparaît ainsi sous une forme nouvelle, en se combinant bizarrement avec les théories démocratiques.  », écrit Maurice Duverger. Ainsi naît Jupiter qui dès le début voulant donner un « statut » à son épouse essaya de réinstaller le roi-dieu, s’il a reculé sur ce point les dépenses exorbitantes de la présidence pour la convenance personnelle du couple Macron est significatif de la posture intellectuelle et psychologique de ces deux personnages.

 

 Si ce n’est comme étant la manifestation d’un pouvoir absolu, comment comprendre la protection ubuesque accordée à une fripouille qui usait de ses fonctions de chargé de la sécurité du président pour se livrer à des actes délictueux ? Jupiter s’installe comme roi élu de Dieu pour qui le pouvoir ne se partage pas, pas plus que les décisions ni même les idées. Un roi élu de Dieu se vénère et on lui obéit sans mot dire.

 

 Asservi volontaire au Pouvoir et aveugle à ce que le mouvement des Gilets Jaunes révèle de la nature du Pouvoir qui sévit en France, le peuple finira bien par guérir, fusse que la mort soit son salut, car souvent aux peuples on peut dire : « Tu prends ces théories‑là pour des paroles oiseuses, mais il arrive un moment où elles se transforment en coups de fusils ou en guillotine[7]. » À moins qu’un subit réveil du peuple entraîne le postulant dictateur à disparaître comme tous finissent par le faire, sort inéluctable de ces gens tel Napoléon (s) I et III, Mussolini…

 

[1] Maurice Duverger, Institutions politiques et droit constitutionnel, PUF.

[2] Maurice Duverger, ibidem

[3] https://www.youtube.com/watch?v=bvcjpqwkQxY

[4] Edward Bernays, Propaganda, Comment manipuler l'opinion en démocratie, ed La Découverte.

[5] Maurice Duverger, Institutions politiques et droit constitutionnel, PUF.

[6] https://www.vie-publique.fr/focus/depenses-collectivites-circulaire-fixe-contrat-type-avec-État.html

[7] Honoré de Balzac, Un grand homme de province à Paris, Les illusions perdues 2ème partie.


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